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Cycle circle

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Je sais, de sources sures, que l’homme assis en face de moi est mon père. Je sens qu’il cherche quelque chose à dire. Dans ma tête aussi, les sujets de conversations défilent : avenir – déjà abordé, révisions – déjà abordé, ma mère – non, pas ma mère. Je transperce méthodiquement, et noie concienscieusement, la rondelle de citron dans mon verre de coca light. Sa calvitie est de plus en plus prononcée, ces rides entre les sourcils lui donnent un air angoissé qu’il n’avait pas souvent avant, je ne sais plus quand. J’ai envie d’allumer une cigarette, mais il ne le supporterait pas. Alors je pioche une bouteille miniature rose et bleue au fond du sachet de bonbons. Machinalement, “t’en veux un ?”. Il accepte, apparemment pour me faire plaisir, pourtant, objectivement, je m’en fous, c’était une question pour la forme. Je trouve mignonne sa grimace écoeurée : “c’est acide”. “C’est acide au début, après c’est trop sucré, puis sur la fin ça a un goût de malabar”. “Ah oui”, dit-il, absolument pas convaincu. Le silence dure, dans ma tête j’entends “un temps”, parce que j’ai dû trop lire Beckett. Je regarde une fille qui fixe intensément le vide depuis plusieurs minutes, elle me fait penser à la chanson de B&S “Judy and the dream of horses”, je me demande pourquoi. “On y va ?” “Où ?” “Marcher un peu…” Le vent accroche du pollen dans mes cheveux, il l’enlève et esquisse un geste pour les caresser. J’ai l’impression qu’il les arrache, ça picote désagréablement, je lui un fais un sourire relativement hypocrite. S’il est venu à Aix, alors qu’il me verra pour l’anniversaire de ma mère dans deux jours, et qu’il a horreur de faire le trajet, c’est forcément parce qu’il a quelque chose à me dire. Je sais déjà qu’il repartira sans en avoir parlé. Un père porte sa petite fille sur ses épaules. Je me souviens que j’avais horreur d’être là haut, ça me donnait toujours l’impression d’être en train de tomber. Et puis les bras de mon père, autour de mes genoux, me faisaient mal. Mais je faisais semblant d’être ravie pour ne pas le vêxer, ou plutôt l’énerver, ça revenait au même dans ma tête. En les montrant du regard : “tu te souviens, t’adorais que je te porte comme ça ?” “Oui, c’est vrai…” Les mensonges durent depuis trop longtemps, s’est-on déjà dit quoi que ce soit de sincère ? Crise d’asthme, je sors mécaniquement mon médicament de mon sac, pour aspirer une bouffée qui fait tourner la tête. “Tu es ashmatique toi ?” “Oui”, depuis longtemps déjà en fait, mais c’est le genre de détail que tu ne remarques pas. D’ailleurs, tu ne vois jamais grand chose. “Je te raccompagne et je rentre…” “D’accord.” Devant la porte, il me fait la bise, trop bruyamment et trop près des oreilles. Les bisous de mon père ont toujours été associés à des sifflements de mes tympans. Je réalise à quel point son comportement et celui de ma mère sont opposés. Elle, elle m’étourdit de mots, de phrases sérieuses en remarques enfantines, me mitraillant constamment, mais jamais elle n’a eu le moindre geste affectif vis à vis de moi. Petite, je mettais volontairement ma main dans la sienne avant de traverser les routes, parfois ce simple contact la faisait sursauter. Pour lui, en revanche, tout ne passe que par des gestes, que j’ai toujours détesté avec une vague sensation de culpabilité vis-à-vis ce rejet, mais jamais il ne me parle vraiment. C’est sans doute mieux, si je savais ce qu’il ressent ou pense, je cesserais peut-être de l’idéaliser, perdant en même temps ma seule vraie raison de l’aimer. Malgré tout, je me demande souvent comment c’est d’être dans ses bras à Elle et de savoir ce qu’il se passe dans son cerveau à Lui. En entrant chez moi, je pleure silencieusement quelques minutes en fumant une dizaine de clopes à la suite. Et puis ça s’arrête. C’était pareil que d’habitude, de toute façon. (Bearsuit – The trembling blue stars – AS Dragon)

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