“Je prends 4 Nurofen par jour depuis 10 jours”, dit une fille, “moi aussi” répond la promo en coeur. C’est donc normal d’avoir systématiquement mal à la tête après les cours. Et des devoirs, toujours et encore, qui s’accumulent, inachevés… Je vois tout dans un brouillard de fatigue, ça pique les yeux, ça fait des élancements douloureux dans les tempes. Je frissonne tout le temps. Je fume mes cigarettes tellement vite que j’en ai la tête qui tourne, effort désespéré pour en fumer deux en 4 minutes de pause, comme si la nicotine allait me faire le même effet qu’une boîte d’épinard à Popeye, peine perdue. Euphorisante fatigue qui me fait débiter des absurdités sur un ton monocorde, tout en m’empêchant de réfléchir ou d’écrire les phrases lyriques qui pourtant surgissaient machinalement autrefois. J’ai l’impression de ne jamais me réveiller, je sors de ma couette chaque matin en grelottant, et tous les symptômes perdurent jusqu’à la nuit suivante… En cours, je retrouve la chaleur étouffante de mon lit, à l’extérieur c’est le même froid que lorsque je tente d’émerger de mon lit, alternance de sommeil et de somnolence, indéfiniment. Au moins, je ne vois pas plus passer mes journées que mes nuits, je n’ai plus le temps de déprimer, à peine quelques minutes d’angoisse lorsque je me déconcentre pendant mes cours. “Excel est un tableur, il y a des lignes et des colonnes…” bon, ça je sais, la lumière de la fenêtre m’attire irrésistiblement… L’ange passe avec une lenteur démesurée, ses ailes s’étendent, m’enveloppent, rassurantes, je commence à me sentir un peu mieux, retour vers le prof… “c’est ainsi que nous obtenons “f(x) sans nous servir de l’octe” Pardon ? Regard vers la feuille de ma copine de table… “Laisse tomber, j’ai décroché moi aussi”. Je ne sais pas si j’ai bien fait de rejoindre cette école, la phase d’adaptation tarde à venir. Je repense à l’époque où, quand je sortais du lycée et que j’en avais marre de tout, ma mère me faisait un sandwich pain-beurre-chocolat et un thé trop sucré, avant de venir me lire des poèmes de Rimbaud, assise sur le rebord de mon lit. Je me souviens de la façon dont elle se trompait volontairement en réinterprétant des chansons, dont je devenais l’héroïne, juste pour me faire rire… J’ai l’impression d’avoir régressé, d’être une petite fille qui a besoin d’être accompagnée. Alors que ces images me reviennent, je reçois son dernier mail : “J’ai passé la nuit dernière à l’hôpital, mais ne t’inquiète pas pour moi, c’est anodin. Est-ce que tu aimes tes cours ? Ton école ? Comment ça se passe ? Je languis de te revoir”. L’hôpital devient aussi banal que l’état de la météo, ma vie a toujours eu plus d’importance que la sienne… J’ai terriblement envie d’être maternée, rassurée, encouragée… de sentir, dans les yeux de quelqu’un, toute la confiance en moi que je n’ai pas et qu’elle n’est plus là pour me donner. Ce n’est qu’en quittant les gens, que je réalise leur importance, plus je désire être autonome et moins j’en suis capable.