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Celui qui, tout au long de la journée est : actif comme une abeille, fort comme un taureau, laborieux comme un cheval et qui, le soir venu, est crevé comme un chien ; devrait consulter un vétérinaire, car il est fort probable que ce soit un âne !*

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Les feuilles ne sont pas encore mortes, ou si peu, mais elles agonisent dans les pins longilignes parsemés de tâches rousses. La semaine dernière, j’avais les doigts glacés, la toile de mon jean était raide et froide contre mes jambes. Je tenais un parapluie fin rempli d’épingles à nourrices qui cliquetaient dans le vent, prêté par Mon Ptit Vieux Préféré… J’étais au milieu d’une pelouse à peine tondue, qui avait donc perdu ses paquerettes et ses pissenlits. Trois corbeaux me tournaient autour et me témoignaient tellement d’intérêt que je me demandais si j’avais l’air d’un ver de terre. Plus loin, des écureuils se poursuivaient sur les troncs et dans les prés, comme pendant la saison des amours, sauf que celle-ci ne commence qu’en février… Mes descriptions d’écureuils doivent être lassantes à la longue, mais je fréquente surtout des animaux pendant ma semaine…

Bien sûr, il y a aussi les livres. Eux, je ne me contente pas de les regarder de loin. Je les touche, les caresse parfois, découpe leurs feuillets, rafistole leurs couvertures… Grâce à moi, ils sont dotés d’une carte d’identité informatique et d’une place dans les rayons. Aucune table des matières n’échappe à ma lecture et je parcours presque toujours leurs pages, en diagonales. Certains provoquent mon mépris, d’autres mon émerveillement, mais mon comportement avec eux est toujours le même, sans favoritisme… J’avoue avoir malmené – en le jetant par terre – ce vieil ouvrage tâché et troué en son centre. Cette réaction brutale était causée par la la surprise, sans doute, car je ne peux que ressentir de la sympathie envers un animal qui se nourrit exclusivement de papier… D’autant plus que cette bestiole a bon goût : elle a choisi les ouvrages du bon gros David Hume. Néanmoins, je suis intervenue rapidement en isolant les livres grignotés, avant que les écrits tourmentés du pauvre Kierkegaard ne finissent aussi rongés…

Quand je fais avancer le chariot grinçant de la salle à mon bureau, je ne sais jamais précisément ce qui m’attend : des pages grises, jaunes ou blanches ; fines, épaisses, qui se plissent sous les doigts ou restent rigides ; collées, séparées, déchirées ; avec des gravures ou des bandes blanches à la place des planches de photos, dérobées par un lecteur criminel ; dégageant une odeur d’usure poussiéreuse, ou exhalant la propreté ; surlignées au fluo, crayonnées dans les marges, ou dispensées de commentaires ; petits ou gros caractères, lettres droites, courbées ; lettrines et fioritures, ou police sévère ; couverture illustrée ou non, accrocheuse, discrète ou illisible… J’aime cette attente pendant que la pile diminue sur le chariot, l’espoir – souvent déçu – de découvrir l’ouvrage extraordinaire. C’est un peu comme de tomber sur un morceau génial en écoutant la radio, ou en parcourant les multiples chansons proposé chaque jour par des blogs… Bref, il s’agit du détail qui sauve un ensemble monotone.
J’ai souvent l’impression de passer mon existence à la guetter, y compris à l’extérieur du sous-sol, l’irruption de l’inattendu qui sauvera le jour écoulé, au point qu’elle m’empêche de dormir parfois, quand je voudrais prolonger ma journée malgré la nuit, l’allonger encore uniquement afin de combler ce manque inexplicable… (…)

Jeudi dernier, Mon Ptit Vieux Préféré me montrait une image envoyée par sa nièce. C’était une photo numérisée représentant sa maison d’enfance, telle qu’elle est aujourd’hui. Son doigt sur l’écran désignait une minuscule fenêtre “ici c’était ma chambre”, un bout de toit “mon école”, un champs “l’endroit où je jouais avant de rentrer mais on n’y plantait pas de maïs à cette époque”, les immeubles “tout ça c’était vide, ils ont construit partout”… Je ne distinguais rien de sa chambre en scrutant ce minuscule carré blanc, ou de son école réduite à un morceau d’ardoise, en réalité je ne percevais que sa nostalgie… Le reste, il m’était impossible de seulement l’imaginer. “Là c’était la chambre de la mama. Tous les dimanches, elle écrivait à ses fils. Un dimanche, elle a dit “je suis trop fatiguée pour écrire aujourd’hui” et elle s’est couchée dans cette chambre (un volet masqué par un arbre). Elle est morte dans l’après-midi, dans cette chambre, celle dans laquelle nous étions tous nés, ses quatorze enfants…” Il égrenne ses souvenirs et je sais qu’en quelque sorte, les mots qu’ils m’envoient sont amputés quand je les reçois, jamais je ne pourrais saisir la totalité de ce qu’il me fait partager (…)

Vendredi après-midi, en arrivant à Marseille, je devais admettre que ce n’était pas désagréable de voir du soleil après une semaine d’une pluie ininterrompue, en dépit de mon aversion pour les ciels bleus. La maison parentale ne m’est pas familière – même si je la fréquente depuis plus de dix ans – car mes parents s’y sont installés l’année où j’ai cessé de vivre avec eux. En dressant la table, je dois ouvrir chaque tiroir, à la recherche des verres, des couverts… Et le fait que ma chambre ait été remplacée par un bureau ne facilite pas mes repères. Chez eux, plus rien ne renvoie à moi. La photo qui me représentait jouant sur une plage sénégalaise a disparu. J’ignore depuis quand, un jour elle n’était plus sur la commode. Tous les objets qui m’appartenaient ont été rangés dans des boîtes empilées au fond d’un placard poussiéreux. Maintenant, deux personnes habitent ici, aucun indice ne révèle mon existence et il me semble que c’est la raison pour laquelle je m’y sens tellement mieux, chez eux…
(…)

*Chang Ying Yue
(Il n’y a aucun rapport entre le titre et le contenu de la notre, j’avais simplement envie d’utiliser cette citation rigolote.)

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