“C’est incroyable : j’ai 27 ans”. J’ai chuchoté cette phrase lundi 24 septembre, à 5 h 52, chaudement blottie contre l’Amant, dans l’irréalité voluptueuse procurée par ses caresses… Le froid picotait ma peau dés que j’éloignais mon corps du sien. Tout en sirotant mon café au lait – trop fort, comme à chaque fois que je n’ai pas envie d’entamer une journée – j’ai regardé la nuit s’estomper, les ombres s’éclaircir de part et d’autre du lit. J’aime bien ces matinées un peu vaseuses à ses côtés, le fait de s’introduire dans la réalité avec celui qui partageait aussi ma nuit. Autrefois je supportais mal ce rituel du lundi matin quand, en silence, il rassemblait ses affaires dans sa valise… Les événements négatifs du week-end me laissaient un mauvais goût dans la bouche, que j’aurais voulu effacer avant que l’Amant ne franchisse la porte, par crainte de ne pas le revoir. Maintenant, nos moments ensemble sont doux… Je sais que dans quatre jours nous nous rejoindrons sur un quai. De toute façon, j’ai également besoin de ces soirées en solitaire, et puis les semaines passent vite…

Il y avait déjà de la lumière malgré ma demi-heure d’avance, Mon Ptit Vieux Préféré s’est exclamé “depuis samedi j’ai retrouvé mes pieds” en sautillant d’une façon démonstrative (comme souvent, je me suis demandée s’il agissait ainsi spontanément, ou si ses mimiques étaient préméditées : conçues pour me faire sourire). Il était pressé de me souhaiter un joyeux anniversaire. “Il y a quelques bricoles pour elle, près de son bureau”. Mon regard se porte d’abord sur une brochette d’éventails multicolores, “il faut souffler dessus et ça tourne”… Comme on souffle sur les soucis : j’ignore d’où m’est venue cette idée idiote en l’entendant présenter son cadeau… Comme si, en soufflant sur les soucis, ceux-ci allaient se coloriser et tourbillonner mais sans s’éloigner, en restant accrochés sur le fil, contrairement aux feuilles et aux nuages dispersés par le vent… C’était stupide, et j’ai soufflé de toutes mes maigres forces d’essoufflée chronique, déclenchant des farandoles de rouge, de vert, de jaune et de bleu. Un bouquet, des cartes et d’autres petites choses étaient cachées un peu partout. Dans un petit mot il avait notamment écrit “merci pour le travail accompli dans la persévérance, la patience… et la monotonie !” Tristement, je me suis souvenue de son départ l’année prochaine… Personne ne viendra m’extraire de mon travail monotone avec quelques pas de danse, des feuilles de papier colorées, des tasses de chocolat chaud, un vieux morceau de musique celtique ou quelques souvenirs d’une époque inconnue.

J’ai regardé cet ami équilibrer les deux lignes, méticuleusement, durant dix minutes, un quart d’heure, peut-être plus. Ses gestes appliqués m’ont parue grotesques, sans que je ne puisse expliquer pourquoi. Et puis j’ai aspiré ma grosse portion de coke, parce que je ne sais pas refuser ce type de proposition. Je n’avais plus touché à cette catégorie de poudre depuis trois ans. Comme par hasard, je venais de commencer à transférer le journal de l’année 2004, alors il y avait un peu d’elle en moi. Tandis que cette merde me faisait renifler, coulait dans ma gorge et accélérait mon rythme cardiaque, je l’entendais dire “tout l’été je n’ai pas arrêté de me droguer”… Comme en transparence, d’autres visages défilaient… L’un d’eux me ressemblait, du temps où ma chevelure était courte et violette, quand mes os tentaient de crever ma chair. “Pourquoi t’as pas de cheveux ici…?” Tu devrais renouveler ton stock de vannes, crétin, tu me fais le coup depuis des années… Oui, certaines conneries sont irréparables. Mes cheveux seront toujours moins épais qu’avant ma vingt-deuxième année ; aucun anti-cerne ne pourra venir à bout de ces marques encrées, tatouées à vie autour de mes yeux ; j’étale du font de teint épais sur mes coupures et autres cicatrices certains jours. Mais si tu savais à quelle point je suis heureuse d’être à ma place et non à la tienne… En sécurité sur la rive, je regarde ceux qui se noient. Même si, à défaut de pouvoir les aider, je préfèrerais ne plus les entendre et, peut-être, devenir incapable de distinguer celle que j’étais, laquelle rôde encore dans ma mémoire… Néanmoins je l’aime bien, malgré tout.

Entre un délicieux resto coréen, quelques livres de Borgès, beaucoup de musique, et des jeux amoureux, il y a eu ce passage dans le “Vertige XXX, strip tease, enterrement de vie de garçon…” Ne me demandez pas comment je suis arrivée là dedans… Cette question m’a traversée l’esprit alors que j’écartais les lourds rideaux pourpre et je n’ai pas su y répondre clairement. Je suppose que j’étais curieuse de savoir ce qu’il se passait précisément derrière ces pancartes tapageuses. Ensuite, imbibée d’alcool donc déshinibée, je me suis approchée de l’entrée.. C’était amusant de voir comment les filles dénudées regardaient l’Amant, un regard qui signifiait “quel porc ! il emmène sa copine dans un endroit pareil !”… Alors qu’en l’occurence, nous étions aussi pervers l’un que l’autre. Cette expérience serait certainement bloguable, tout en ne présentant aucun intérêt.
Au fond, l’intérieur, comme l’extérieur, n’était qu’une façade, une seconde vitrine. A peine ai-je pu écailler le vernis face à cette femme, qui nous expliquait avec un sérieux perturbant : “je détestais les blondasses et les strip-teaseuse… Et je suis devenue une blondasse strip-teaseuse”. “Mais je sais que c’est provisoire, mon rêve c’est d’être chorégraphe, j’y arriverai, je travaille là en attendant”. Tu ne seras sans doute jamais chorégraphe ma cocotte, et ce provisoire pourrait durer l’essentiel de ta vie, d’ailleurs tu n’es plus toute jeune… Je l’écoute et pense à d’autres personnes : aux clochards qui se prétendent artistes, aux serveuses qui se voient en actrices célèbres, aux blogueurs qui s’imaginent écrivains… [Mais non, même si j’ai spontanément terminé cette énumération ainsi, je ne les mets évidemment pas tous sur le même plan : les clochards, les serveuses les strip-teaseuses ont en commun d’avoir plus ou moins honte de leur situation ; au contraire, le blogueur est fier de ses “créations” qui ne sont qu’un loisir]… Est-ce qu’elle croit réellement à un avenir de chorégraphe ? En l’observant j’ai l’impression que ce rêve n’est qu’une façon pudique d’excuser sa présence en ce lieu, à cette heure, dans cet accoutrement. Quand son visage se plisse, la peau semble avoir été flagellée, tant les rides sont profondes et douloureuses…

“C’est incroyable : j’ai 27 ans.” “Pourquoi c’est incroyable ?” C’est difficile à expliquer… Adolescente, il me semblait que je n’aurais jamais le courage d’aller aussi loin, ce qui avait été vécu me paraissait tellement long et éprouvant… Dans le journal intime de ma dixième année, je n’avais noté que trois expériences à accomplir avant de mourir : faire l’amour, le tour du monde, et me droguer. Un peu plus tard, il ne me restait plus qu’une raison de ne pas me suicider : ma mère en mourrait. Aujourd’hui, je n’arrive plus à concevoir cet état d’esprit. J’ai honte d’avoir été aussi bête, enfin j’en ris aussi, le plus souvent. Ceci dit, en réalité, je n’avais pas ces souvenirs en tête en trouvant l’événement incroyable. Je n’étais pas remontée aussi loin dans ma jeunesse. 4 ans plus tôt – ce n’est pourtant pas lointain – à l’approche de mon vingt-troisième anniversaire, j’écrivais : “Autour de moi, certains se marient, certaines ont des enfants, beaucoup vivent en couple, ont déjà un travail… Je n’arrive pas à les envier, pourtant je crois que je devrais.” Je ne suis pas mariée, et pas prête de l’être, mais le jour de mes vingt-sept ans, j’ai été heureuse de me réveiller avec lui, de fêter mon anniversaire en couple, et de me diriger vers mon travail monotone… Ma situation actuelle, je la trouve tout à fait enviable. L’adjectif “incroyable” est donc le seul qui me paraisse approprié.
Par conséquent, il est normal que cet anniversaire soit encore célébré la semaine prochaine et le mois suivant… En tout je l’aurais fêté quatre fois : en amoureux, entre collègues, en famille, et entre amis. Diverses personnes, comme autant de couches protectrices, plus ou moins proches de mon coeur, qui gravitent cordialement, affectueusement, ou amoureusement autour de moi. Malgré l’aphasie qui m’étreint dés que j’aimerais dire quelque chose d’affectueux, je suis infiniment touchée. A l’intérieur de ces souhaits prononcés sur tous les tons, des bise polies aux baisers tendres, je suis consciente d’avoir énormément de chance…

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