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J’ai quinze minutes pour tartiner du vide

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Du flou et des contours brouillés, encore. Octobre me nargue, en changeant constamment, du bleu au blanc, de la chaleur au froid, quand je suis indéfiniment grise et tiède. J’étais obnubilée par ce voyage, pourtant je n’ai pas été déçue en l”entendant annoncer “pour Venise c’est annulé… C’est dommage”. Tant pis, une autre fois… “C’est tellement dommage…” Oui sans doute, ai-je dit d’un ton absent parce que j’essayais d’ouvrir un sachet de chips d’une seule main, ce qui est délicat. Elles étaient suintantes de graisse et tâchetées de sel, alors j’ai compris que j’avais plutôt envie d’une bière finalement, une douce blonde, pétillante et glacée sur ma langue. J’ai calé la canette entre mes cuisses avant de la décapsuler, assez aisément. En réalité l’annulation de ce voyage a été assimilée sans émoi particulier. Je suppose qu’au fond, ce n’était qu’une de ces rêveries dont on sait qu’elles ne se réaliseront pas. Mes tentatives de fuite n’aboutissent pas ces temps-ci, je m’y habitue.

J’ai lu de vieux livres sur la sorcellerie, le diable, les maléfices… Cette lecture m’a surtout appris qu’il suffisait, pour un auteur, de mettre en sous-titre les mots “étude”, “scientifique”, “médicale” et “recherche” pour devenir très convaincant. L’heure et le lieu sont primordiaux aussi, comme si les détails spacio-temporels étaient les garants d’une réalité. Submergée par ces témoignages, ces références et ces citations, j’ai sursauté quand une porte s’est ouverte derrière moi. Ce n’était pas Satan qui arrivait pour me posséder, juste un Ptit Vieux Préféré avec une bouteille d’eau fraîchement remplie. Néanmoins il m’a dit “il faut boire, sinon on termine comme ça” en me montrant, dans le vase, les roses fanées prêtes à tomber en poussière au moindre frôlement, et cette menace m’a troublée. Je n’ai pas bougé de mon fauteuil pour autant… Je m’arrose suffisamment le soir pour ne pas avoir besoin d’en rajouter dans la journée. S’il m’arrive de me dessécher, ce n’est que par manque d’air et de lumière.

Après le passage du facteur, en notant les articles des journaux, j’ai envoyé des supplications télépathiques aux journalistes, pour qu’ils cessent de “pousser un cri”, de “tirer la sonnette d’alarme”, et d’être “interpellé” par des questions. Si par la même occasion, les sportifs arrêtaient de “tout donner” et de “se dépasser eux-mêmes”, mes revues de presse matinales seraient tellement plus reposantes. Avec tous ces gestes, ces cris et ces luttes incessantes, il est bien normal que je sois un peu fatiguée…

J’entends le bruit de la scie électrique, elle tranche les arbres du Parc. “On détruit pour replanter”. Oui, vous me l’avez déjà dit, c’est triste quand même. Et puis il y a celui-ci, qui n’est détruit que pour des raisons de sécurité, parce qu’il risque de tomber sur la maison d’en dessous, paraît-il. La victime éventuelle est laide, semblable à toutes ses voisines, minuscule pavillon de banlieue aux murs saumon et au toit orange. Le criminel potentiel à exécuter est nettement plus séduisant… “On ne peut pas habiter dans les arbres”. Etes vous aveugles ou sourds ? Des feuilles aux racines, ça vibre et murmure…

J’ai l’air de me plaindre alors que ce n’est pas le cas, en réalité. Vendredi, commenceront l’ivresse, les orgasmes, la musique et les films, comme toutes les semaines et ce sera parfait jusqu’au lundi. Et puis un lundi, tôt ou tard, je serais heureuse d’aller travailler, pleine d’espoir, puisque l’énergie succède toujours au découragement, chez moi…

D’ici là, je tourne en rond dans un dédale de lieux communs, enveloppée dans les livres, les yeux fatigués, et une migraine à se trancher la tête. J’écris du vide, à défaut de réussir à parler pour ne rien dire. D’ailleurs, je n’ai pas grand monde à qui parler, par ma faute… Je ne réponds ni aux sms, ni au téléphone, ni aux mails… Mes pensées envers eux ne se traduisent pas en actes, alors les liens s’effilochent… N., un soir de disputes, cinq ans, non six, ou plus, auparavant, me reprochait “tu nous donnes trop d’importance” parce que le moindre conflit était douloureux. Maintenant il n’y a ni dispute, ni… rien, finalement, ou presque… (J’utilise beaucoup le mot “presque” à l’oral comme à l’écrit parce que – c’est absurde – j’ai peur d’énoncer des opinions tranchées. Celles-ci me paraissent irrémédiables, comme si elles m’assenaient nécessairement un destin.) […]

Parfois, j’ai envie de sentir l’Amant se réchauffer contre moi en me chuchotant tendrement “tu sens bon, t’es douce”, alors que je ne suis qu’une femme épilée qui a pris une douche. A d’autres moments, j’aimerais bien avoir une arme, ne serait-ce qu’une fausse pour faire peur aux gens, afin de les obliger à tenir leurs promesses. La plupart du temps, je ne sais pas ce dont j’ai envie, me perds dans la musique et contemple les détails environnants, toujours les mêmes pourtant. Je détruis consciencieusement mon foie et mes poumons, laisse les listes de tâches s’allonger, en me demandant avec angoisse si j’aurais le temps d’accomplir quoi que ce soit avant de crever… J’ai connu des heures meilleures, j’en connaîtrai d’autres. Mon Ptit Vieux Préféré s’est endormi dans son fauteuil en cuir, son stylo mollement posé entre ses doigts ; ma pause est terminée, j’ai des démons à fréquenter.

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