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au gré des ciels et des visages

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Ce doit être la neige au printemps, le ciel couleur matin blême à l’heure où le soleil devrait être au zénith, l’écharpe et les gants retrouvés au fond du placard, l’envie d’une tasse de chocolat chaud entre mes mains glacées, de nourriture brûlante dans le ventre, mais l’hiver était ensommeillé et lointain cette année…
Des morceaux de conversation épars… Ces trois nénettes dans l’âge bête qui pouffent “j’le connais pas mais il a un beau cul alors j’ai bien envie de dire oui mais je sais ce qu’il attend” fou-rire des dindes copines “qu’est-ce qu’il attend ?” “bin tu vois, je sais ce qu’il veut” “c’est que pour le cul tu crois ?” “attend y me connait pas et le jour où j’arrive en mini-jupe y veut sortir avec moi comme par hasard t’sais”… Ne se rend-elle vraiment pas compte qu’”il” l’intéresse pour la même raison ?
Un vieux monsieur demande à un autre “il commence à quelle heure le printemps ?” “Le 21 mars” “Non l’heure, il y a une heure où on passe de l’hiver au printemps” Silence Je suggère sans réfléchir d’une petite voix “minuit et 1 minute, ça me paraîtrait logique, à moins que ce ne soit à minuit et 1 seconde…” Deux grands sourires me répondent. Les gens sont incompréhensibles… C’est une de ces journées à observer les uns, les autres, quand la rue joue le rôle d’une télévision, changer de chaîne au fil des carrefours… Elle conduit une poussette en courant et en slalomant entre les piétons, ce doit être drôle et effrayant à la fois d’être dedans, avec une maman qui joue au chauffeur de taxi fou. La femme au foulard me fixe et je me demande si elle sourit toute seule ou si elle grimace, sa bouche s’étend vers ses oreilles en dévoilant toutes ses dents mais il n’y a pas d’expression joyeuse sur son visage, est-ce qu’elle veut me mordre ? A tout hasard je change de place parce que c’est perturbant. Je m’immerge dans la foule en mouvement, mélange d’odeur de couleurs et de voix… Je suis attentive à ce qui m’entoure et dans le même temps, je rêve à d’autres lieux, d’autres histoires, d’autres conversations…

Ce doit être les cercles des corbeaux – Blackbird on gray sky – le chat roux écrasé que j’ai caressé la veille, la consistance spongieuse de la moisissure sur la couverture du livre que j’ai lâché en frissonnant, les arbres qui penchent à droite sous le vent, ça tangue un peu sous la flocons… Léger mal de mer mais je reste bien droite, même avec le monde à l’envers… Comme dans la boule à neige de ma grand-mère : on peut la secouer dans tous les sens, la petite figurine et la maison ne se décrochent pas.
Un collègue m’explique : “les homosexuels sont malades, il faut les forcer à aller dans le droit chemin. Pour moi l’homosexualité c’est le fléau de la société, c’est pire que le Sida”. J’essaie de lui faire comprendre à quel point il est stupide scandaleusement intolérant… Mais ses propos deviennent complètement irrationnels : “il faut les empêcher de contaminer la société” Contaminer !? “Oui, si tout le monde devient homosexuel, ce sera une catastrophe, il n’y aura plus d’enfants” Putain mais t’es vraiment très con ou tu le fais exprès Comment est-ce que tout le monde pourrait devenir homosexuel, c’est absurde, tu crois que ça se décide une préférence sexuelle ? “Oui, tout homme est fait pour coucher avec une femme, toute femme est faite pour coucher avec un homme, un homme homosexuel est donc fait pour coucher avec une femme. Il faut l’obliger à aller avec une femme, et il faut obliger une lesbienne à aller avec un homme.” Après quelques arguments, je m’aperçois que chacune de ses réponses est pire que la précédente, alors je me contente d’un “tu me déçois” pour clore le débat. En réalité je ne suis pas déçue, je suis furieuse, mes poings ont très envie d’aller se fracasser contre son visage. Comme à chaque fois que je retiens mes pulsions criminelles sous l’emprise de la colère, j’ai les larmes aux yeux. Je préfère m’éloigner…
[…]

Ce doit être le ciel bleu juste avant la tombée de la nuit, le soleil qui m’éblouit à l’heure où il s’apprête à disparaître, la luminosité matinale à 19 heures, ce décalage..
Je cherche des signes dans des détails idiots, la voiture qui tourne à droite ou à gauche, les feu-rouges, les trajectoires des gens… : s’il se passe ça, alors il se produira ça… En réalité, non seulement je n’y crois pas, mais en plus je n’attend rien, si ce n’est l’imprévisible, celui que j’essaie d’imaginer et dont la forme ne cesse de varier…
Je repense à une nuit en Irlande, j’étais sortie de la tente vers 6 heures du matin ; j’avais soif, je ne trouvais plus la bouteille d’eau et je ne voulais pas le réveiller en déplaçant les sacs, alors je m’étais glissée dans l’herbe humide de rosée. Tout le monde dormait encore, il n’y avait pas le moindre chuchotement. En face de moi les montagnes vertes s’étalaient à perte de vue sous la brûme. J’avais marché un petit peu, effectué une descente en courant – un des plaisirs enfantins qui me sont restés comme les bonbons et le nutella à la petite cuillère – le froid piquait mes chevilles nues dans mes chaussures délacées, mais c’était tellement paisible, doux, j’en avais totalement oublié ma soif… Je suis enveloppée dans ce souvenir agréable quand je vois mon reflet sur l’ouverture vitrée du métro : la fille qui me fait face est toute grise avec l’oeil absent et des cernes jusqu’au menton… Il faudrait que je comprenne que je n’ai plus 20 ans, je mets désormais plusieurs jours à me remettre des nuits blanches et des excès… Mais peu importe l’extérieur, au dedans je rayonne, et le garçon qui m’embrasse avec ses mains sur mes joues ne semble pas me trouver repoussante, je colle mon visage au creux de son cou pour sa peau et parce que j’aime entendre sa voix raisonner à l’intérieur, “ça ne va pas ?” Mais si, ça va bien…

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