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Je vous serais reconnaissante de remarquer les efforts que fait la narratrice pour transformer un lundi pluvieux et endormi en une journée contenant d’infimes pépites d’émotions

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Je m’étais endormie avec Judy and the dream of horses, je me réveille avec Stars of Tracks & Fields, d’ailleurs cette chanson est agréable en réveil parce qu’elle commence avec un volume très bas qui augmente au fur et à mesure que j’émerge. Mais je crois qu’elle ne m’empêcherait pas de me rendormir, elle pourrait aussi accompagner mes rêves. Chez moi, le réveil-CD à côté du lit se déclenche à 6 heures, la chaîne du salon à 6 h 30 et le téléphone portable (en cas de panne d’électricité) sonne à 6 h 50. Alors si je me rendors, il faudra que je descende l’escalier en courant pour empêcher Bloc Party de réveiller mes voisins, puis j’aurais encore à déterminer d’où provient la sonnerie du téléphone… Ce sont tous ces stratagèmes qui m’évitent l’irrépressible “aujourd’hui je serai en retard, ou je serai malade, ou peu importe je déciderai, pour l’instant je dors”. En m’obligeant à m’asseoir dans le lit (l’acte le plus difficile, si je l’accomplis j’ai déjà presque vaincu Morphée), je croise pendant quelques secondes le fantôme maternel. Elle déboulait dans ma chambre en hurlant chantant “debout les gars réveillez-vous ! Il va falloir en mettre un coup ! Debout les gars réveillez vous ! On va au bout du moooonnndeuh”, posait brutalement un verre de jus d’orange sur la table de chevet – éclaboussures – et se précipitait vers la fenêtre qu’elle ouvrait en grand après avoir pulvérisé les volets. Puis elle me faisait un compte-rendu météorologique, en général “il fait gris et frais, ils annoncent de la pluie” puisque c’était en Normandie. Je grelottais sous ma couette et j’avais envie de la jeter dans le ciel gris. Tous ces bruits lourds, cette agitation et sa voix forte m’énervaient tellement que je ne pouvais plus me rendormir. Plus tard, j’ai essayé de me réveiller avant qu’elle ne fasse irruption dans la pièce, mais j’ai senti une telle déception le jour où elle m’a trouvée déjà levée et habillée – “Debout les…” Hé oui, je me suis réveillée toute seule – que je n’ai pas recommencé. Les gens ont leurs petits plaisirs, il ne faut pas les leur enlever. N’empêche aujourd’hui, je me dis que ce genre de réveil serait le bienvenu, plus efficace que Belle&Sebastian Bloc Party et SFR réunis.
Dans le bus, je suis suspicieuse à l’égard de Monsieur Passager à cause de la façon dont il a débuté la conversation en parlant de post-rock alors que le mot n’avait pas été prononcé la dernière fois, de ça et de petites choses. Monsieur Passager, si tu connais mon blog, tu es prié de le signaler. Ce n’est sans doute que paranoïa injustifiée de ma part, mais on m’a déjà fait le coup à deux reprises du “en fait je te lisais avant de te croiser…” et ça ne m’a pas plu du tout. Si je l’apprends maintenant j’aurais honte, mais si je le découvre plus tard je me sentirais trahie en plus d’avoir honte.
En arrivant, la dame de l’accueil dit “il pleut dehors…?” Oui, il pleut. Elle jette un coup d’oeil à travers la vitre et ajoute “c’est tristoune” avec une petite moue. Je conclue “c’est un lundi pluvieux”, et en descendant l’escalier j’ai la sensation que ce dialogue a déjà eu lieu, mot pour mot.
Ensuite, le petit groupe de visiteurs entre timidement. Il y a beaucoup de passage à l’endroit où je travaille, et souvent la Direction suggère aux gens “allez donc voir la bibliothèque”, alors ils obéissent, dociles. Mon Ptit Vieux Préféré leur montre une collection rare : “elle est précieuse, d’ailleurs les lecteurs sont très respectueux, ils ne s’en approchent pas”… En fait, je crois que c’est à force de le fréquenter que je deviens de plus en plus ironique. En les regardant avancer entre les rayons, je comprends que cette bibliothèque est un musée. Les livres ne sont pas sous une vitrine mais c’est du pareil au même. On circule en silence, on jette des coup d’oeil et on ne touche pas. D’ailleurs, dans leurs yeux il y a la même expression que dans ceux des clients du Monoprix, quand on entourait ma caisse avec les conneries d’Halloween (”parce que tu ressembles à une sorcière, tu vas bien avec le décor”), ils disaient “on vient visiter ce qu’ils ont fait cette année”. Et ça me faisait tout drôle de constater la façon dont ils regardaient une citrouille miniature orange en plastique comme s’il s’agissait d’un tableau de Kandinsky. Poliment, avec une très légère lueur curieuse dans le regard. Enfin ici, c’est un musée particulier… A mon avis, c’est la seule bibliothèque en France (au monde ?) dans laquelle on peut découvrir un masque de plongée, un morceau de savon ou encore une petite vache en plastique dans les rayonnages (ce sont les souvenirs de Mon Ptit Vieux Préféré “faut rien jeter ça peut toujours servir”).
Plus tard, dans un couloir, il y a la mamie minuscule, j’ai déjà parlé d’elle. Celle qui a les jambes boursouflées, rouges et bleues… Je me concentre sur son visage sinon j’ai des frissons douloureux. Un visage de mamie comme dans les films ou les livres d’images, les rides de bonté autour de la bouche, la chevelure neigeuse bouclée et même les petites lunettes rondes. Depuis deux ans, à chaque fois qu’elle me voit, elle demande “et c’est qui cette demoiselle ?” Quelqu’un lui répond “c’est C…”, et elle rétorque “Ah, j’allais toutes les semaines à la chapelle Ste C… quand j’étais jeune”. Le dialogue est rigoureusement identique à chaque fois. Elle ne dit pas “ça me rappelle que j’allais toujours à la…”, ou “figurez-vous que quand j’étais jeune j’allais…” ou encore “vous avez le même prénom que…” Non. La même interrogation, et la même réaction, elle choisit des mots identiques et toujours sur le même ton. Ma mère m’a raconté comment, quand elle va promener le chien sur la plage, elle croise une vieille dame qui fait la même promenade. A chaque fois celle-ci tire sur la laisse en disant “mon chien a peur des chiens inconnus”, ma mère répond “mais ils se connaissent, ils jouent ensemble tous les matins”, “ah bon ils se connaissent ?” alors elle relache la laisse et les chiens s’amusent ; le lendemain “Mon chien a peur des chiens inconnus” etc. C’est fascinant… Pas le fait de perdre la mémoire (quoique…), mais surtout de se dire qu’une phrase peut entraîner toujours exactement la même réponse, comme si celle-ci ne dépendait pas de l’humeur, de la journée, de la fatigue… Mais de ce à quoi elle renvoie à l’intérieur de l’interlocuteur. Bref, cette mamie minuscule est aussi la vielle dame dont je parle dans la note précédente. Et son regard résigné, un peu flou à cause de l’âge et de l’humidité (celle qui signifie “je ne pleure pas mais j’en ai très très envie et si tu me frôles je ne serais plus que des larmes”)… Ce regard donc, je ne l’oublierai pas, pas plus que sa voix tremblante et pourtant tellement forte quand elle a affirmé “je vais y mourir”. Parce que c’était une affirmation, avec un vrai point final au bout. Ces trucs là vont rester dans ma tête, ces jambes gonflées aussi, avec toutes ces images que je n’ai pas envie de laisser entrer en moi, tout en étant contente qu’elles y soient, car c’est bon malgré tout, de se sentir émue.
La grêle au moment où je suis dehors était presque inévitable, mais c’était drôle car je n’étais pas seule. Nous avons couru et j’avais envie de crier “je t’aime je t’aime je t’aime” au moins 100 fois d’affilée, pas à la façon lourde d’une Lara Fabian, plutôt comme des respirations sacadées, des battements de coeur. Mais je ne te le dirai pas, jamais, ça nous porterait malheur.
En ouvrant la porte de l’appartement, j’ai d’abord été saisie par une odeur de poussière. Puis je me suis aperçue que toute ma cuisine était recouverte d’un centimètre de poussière toute blanche, comme le plâtre quand mes parents faisaient des travaux dans la maison. Ce matin encore il n’y avait rien j’en suis certaine, d’ailleurs j’ai fait le ménage dimanche. J’ai machinalement regardé vers le plafond, réflexe idiot : je sais que mon plafond est constitué de poutres. Ensuite j’ai jeté un regard soupçonneux au chat… Puisqu’il me laisse partager son appartement, toutes les bêtises dépendent soit de lui soit de moi, mais je ne vois pas comment il aurait pu produire ce résultat. Toutes sortes d’idées farfelues me sont passées par la tête : on est venu faire des travaux en mon absence, les nains de Blanche Neige qui seraient tous devenus maçons sont venus chez moi par erreur et… Révise tes classiques cocotte, c’est Blanche-Neige qui entre chez eux, pas l’inverse, de toute façon rien n’a bougé ici. J’ai tourné le problème dans tous les sens avant de conclure qu’il me dépassait. Je crois que je suis confronté à un phénomène paranormal pour la première fois de mon existence. C’est inquiétant.
Je tapote, je tapote sans relâche, mais il se fait tard… Allez, un verre de lait, un carreau de chocolat, rejoindre le lit, une caresse au Chat, et la compilation de Monsieur Passager pendant que je m’endors… Si ça se trouve, la couche de poussière aura disparu demain matin, aussi miraculeusement qu’elle est arrivée. Je n’y crois pas mais j’aimerais bien, ça donnerait une petite touche de magie à mon mardi.

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