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Bribes d’un vendredi hivernal mais ensoleillé

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La nuit dernière, dans l’un de mes rêves, je suis une petite fille dotée d’une petite sœur et maman dit “ta petite sœur a toujours été là, elle était là avant même que tu naisses”, et je trouve normal d’avoir une petite sœur née avant moi….

Je cours dans la descente jusqu’à la station de bus et l’air glacé pénètre douloureusement dans ma gorge. Je bondis dans le métro quand la sonnerie de fermeture des portes retentit. Je finis Menteur ! de Mukoda Kuniko et je pense simplement : c’était bien. Trahison, duplicités humaines, aveuglement volontaire, et autres merveilles typiquement humaines.
[Dans l’une des nouvelles, un homme aime sa maîtresse pour ses imperfections physiques et son mal-être ; lorsque celle-ci devient belle et prend confiance en elle, il la quitte. Cette histoire m’a rappelé le début de ce conte de Frode Grytten dans lequel un homme est obsédé par une caissière très belle qui porte des lunettes. Je n’ai plus le livre sous les yeux mais il se dit quelque chose du genre “ses lunettes sont sa faiblesse, ce qui lui donne une imperfection, ce qui la rend vulnérable, sans cela elle serait parfaite”, alors il ne pense plus qu’à cette paire de lunette. Sans remonter aux classiques de la chanson française (”c’est un vrai gringalet aussi laid qu’un basset mais je l’aiêêême” etc.), je me souviens aussi d’avoir vu un jour un vieux film français qui exploitait aussi ce thème. Je me demande : dans la vie réelle, est-ce que c’est possible de tomber amoureux de quelqu’un pour une imperfection, au point que sans celle-ci, tout sentiment amoureux disparaît ? Aimer le vilain petit canard et ne rien ressentir pour le cygne…]

Dans le bus, je commence La Blessure d’Anna Enquist. Encore mal réveillée et isolée du bruit par mon baladeur, je rentre totalement dans le livre. Soudainement bousculée, je lève les yeux de ma page, et je suis presque étonnée d’être dans un bus surchauffé aux lumières jaunâtres, peuplé d’individus… Si mon enveloppe corporelle était dans ce bus, mon esprit était tout entier préoccupé par la survie d’un père de famille et de ses deux fils isolés sur un bloc de glace à la dérive, en 1849….

En descendant, je choisis de marcher sur le trottoir de gauche même si mon lieu de travail se situera du côté droit, parce qu’à gauche il y a un épais tapis de feuilles mortes, oranges et rouges, parfois légèrement jaunies. J’aime bien fouler ce sol crissant et ambré. Tout en marchant, j’espère que I. ne s’arrêtera pas en voiture pour raccourcir mon trajet. Elle le fait pour me faire plaisir, mais j’apprécie ces derniers mètres de marche matinale, je n’ai jamais aucune envie d’éteindre mon baladeur et ma cigarette à moitié consumée pour la rejoindre dans sa voiture. En plus c’est quasiment le dernier moment lumineux de la journée… Après je verrai le jour entre les stores de la bibliothèque, d’où je ne sortirai qu’à la nuit tombée.

A table, voir les bras et les jambes de la mamie rabougrie à côté de moi (membres gonflés, boursouflés par d’énormes cercles au centre rougeoyant et au contour noir) me donne des frissons désagréables. Quand je la vois claudiquer péniblement avec sa canne, j’ai mal pour elle. Quand je l’entends répéter le même “bonjour, comment vous appelez-vous ?” alors qu’elle me voit depuis plus d’un an, c’est douloureux aussi. Parce qu’elle est tellement gentille cette petite mamie, bien plus que certaines personnes âgées dont la vieillesse réussie n’a d’égale que la méchanceté… Aujourd’hui, cette mamie a dit “la vie est amère quand on la prend sans sucre”, j’ai trouvé ça mignon. Ou peut-être que tout ce qu’elle dit me paraît mignon.

Plus tard il y a eu une marche sur le pont, ma main dans la sienne. “Tu penses à quoi ?” Je pense : je ne l’aime pas vraiment mais je l’aime bien quand même, le propriétaire de cette main. “Tu as maigri non ?” “Un peu” dis-je prudemment. 9 kilos perdus depuis ma rupture, c’est sans doute plus qu’un peu en réalité. C’est bizarre d’ailleurs, je peux sentir toutes mes cotes et même des sortes de boules à la jointure. Il y a toutes sortes d’os dont je connais désormais la forme exacte… Je n’en ai jamais su autant sur ma propre anatomie.
Sur le pont, nous avons croisé une jeune fille intégralement dissimulée derrière un gigantesque parapluie rose en plein soleil et, au cas où le soleil réussirait à traverser la toile, la demoiselle avait aussi des lunettes de soleil. Avec le vent, le parapluie semblait la tirer derrière elle comme un chien traînant sa maîtresse. Spectacle amusant.

Et puis : les scintillements de la gelée sur le trottoir ; le dernier album de Yo La Tengo parce qu’il y a des jours où leurs guitares me procurent un bien-être incroyable ; encore environ 7 livres à dévorer ; les billets pour Londres à réserver ; un Irish Coffee sur une banquette vert sapin ; des doigts entremêlés sur le chauffage ; et lundi j’aurais une réponse très importante de celles qui peuvent changer une destinée mais je n’en dirais pas plus parce que j’ai toujours eu l’espoir superstitieux…

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