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The only things that burn in hell, are the parts of you that won’t let go of your life. Your memories, your attachments… They burn it all away. But they’re not punishing you; they’re freeing your soul*

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Une odeur froide, piquante, d’acier et de poussière envahit la pièce : les effluves produites par le chauffage après une longue période d’inactivité. Ce réveil semble douloureux, il est ponctué de grincements au fur et à mesure que la chaleur se diffuse. Je ferme mon livre [Falaises d’Oliver Adam – j’aimerais savoir écrire comme lui, ses phrases réveillent tous les sens] et j’éteins la lumière. Le rayon de lune éclaire exactement mon oreiller. Cela ne m’est jamais arrivé auparavant, étonnée, je me rassois pour examiner le ciel. J’y vois une gigantesque lune, et à côté une sorte de lune plus pâle et plus petite. Je n’ai pas envie de réfléchir à ce reflet, je me rallonge en songeant que c’est chouette de dormir sous deux lunes. Je pense aux nombreuses informations qui doivent me parvenir la semaine prochaine : avenir professionnel, sentimental, logement, etc., en stand-by comme l’a si bien dit ma grand-mère au téléphone. “Tu es sur le fil du rasoir en quelque sorte, tout va se décider en même temps, mais le moral ça va bien ?” Oui, ça va bien, j’attends c’est tout. La lame ne me blesse pas pour l’instant. “Tu devrais faire une prière”, dit-elle, toujours fervente croyante. Bah là haut Il a surement autre chose à faire… “Mais Il est entouré d’une ribambelle de saints tu sais, il y en aura bien un pour t’exaucer, ils servent à ça”. Ils servent à ça… Elle m’amuse. Quand j’avais presque 9 ans, j’ai fait une prière, je m’en rappelle encore très bien. J’étais sur le muret près du grand portail envahi de roses, je me suis agenouillée et en pleurant j’ai dit “si Tu fais vivre mon grand-père, je croirais éternellement en Toi et je ferais tout ce que Tu veux”. Au moment où j’ai prononcé ces mots, je croyais de toute mon âme à la possibilité d’une intervention miraculeuse. Et puis mon grand-père est mort évidemment, il était en phase terminale de son cancer de la gorge. Finalement, ma supplication ressemblait à du chantage affectif…
En voyant mourir mon grand-père, j’avais décidé que je ne serais jamais fumeuse, parce qu’à cette époque je voulais vivre le plus longtemps possible. L’immortalité faisait partie de mes souhaits de petite fille, j’avais une peur panique de la mort. Un jour à l’école, j’ai lu un texte dans lequel un homme devenait immortel. Après quelques siècles, il s’ennuyait dans ce monde vide qu’il n’arrivait plus à suivre et il rêvait d’être délivré par la mort. Mais cette histoire n’avait aucunement changé mon souhait puisque je n’ai jamais su m’ennuyer. Je crois que je me représente la vie comme une boîte dans laquelle on entasse les années avec leur contenu sans savoir à quel moment elle sera pleine. J’ai toujours eu l’impression qu’il y avait bien trop d’éléments pour la capacité de la boîte, une vie n’y suffira pas… Et puis ma boîte à moi m’a souvent paru trop fragile, mal conçue, pas assez résistante aux coups… Mais peut-être que tout le monde a cette sensation, au fond.
En réalité, je n’ai pas “vu” mourir mon grand-père. La dernière fois que je lui ai parlé, il était en parfaite santé, dans son nuage de fumée habituel. Pendant son agonie, seul mon père se rendait à son chevet, et mes parents n’ont pas voulu que j’aille à l’enterrement. En 26 ans d’existence, je n’ai jamais vu aucun enterrement. Ils m’interdisaient de venir “pour m’éviter ça”. “Ce n’est pas drôle et ça ne sert à rien” m’avait dit ma mère. En tout cas ce tabou permettait à mon imagination de concevoir le pire. Je réfléchissais longuement à la pousse des ongles et des cheveux, au fonctionnement des incinérateurs, aux vers dans la terre, aux regards que pouvaient avoir les mourants (dans les films on leur fermait toujours les yeux, je me suis longtemps demandé ce que leurs pupilles pouvaient avoir d’aussi abominable). J’ai construit ma vision des cadavres et des enterrements sur des livres et des images télévisées… Et surtout les gens autour de moi disaient “l’enterrement c’est la dernière façon de lui rendre hommage”, alors je me sentais coupable de ne pas y être, malgré tout. Ma mère répondait “c’est des conneries tout ça, c’est un morceau de viande en putréfaction, il en sait rien si tu es là ou non, c’est comme le fait d’aller au cimetière à une date fixe, le cadavre n’en a rien à foutre que tu sois devant sa tombe un 2 novembre ou un autre jour.”…
(…)
Au téléphone, ma grand-mère a ajouté : “Tu n’es pas déprimée ?” Pourquoi serais-je déprimée, inquiète d’accord, mais déprimée ? “à propos de lui…” Qu’ils sont agaçants à la longue… Quoi, c’est impossible de survivre à un chagrin d’amour ? J’irais encore mieux si personne ne s’inquiétait autant pour moi. Enfin je ne peux pas leur en vouloir non plus car si je l’avais vécu quelques années plus tôt, je ne m’en serais peut-être pas remise. Je croyais que j’étais devenue plus calme et équilibrée grâce à ma relation avec lui ; en fait c’est exactement l’inverse : j’ai pu vivre cette histoire parce que j’étais devenue plus équilibrée… Finalement, il me suffisait de changer de ville et d’avoir un métier agréable pour trouver une certaine stabilité. Bien sûr, l’amour est la seule chose qui me manque pour être heureuse désormais, mais ça viendra… J’ai besoin d’un laps de temps de toute façon, une rupture n’est pas si éloignée d’un décès. D’ailleurs toutes les dernières semaines pendant lesquelles je me suis acharnée à raviver la passion sont assez proches de mon comportement de gamine agenouillée sous le ciel : “je ferais tout ce que tu veux si…”.
Je n’aimais pas le dernier album de Pony up ! à la première écoute. Je ne le détestais pas non plus, mais je le trouvais tantôt divertissant sans plus, tantôt fatigant, notamment parce que je suis très sensible aux voix féminines, or celles-ci ne sont pas assez agréables à mes oreilles. J’ai zappé le dernier titre (My lines bleed) pendant les trois premières écoutes, uniquement à cause de la façon dont la chanteuse larmoyait. Tardivement, j’ai fini par laisser sa chance à ce morceau. La fin m’a renvoyé exactement au dernier jour de notre relation : And if you leave me on a friday I swear I’ll never forgive you, please don’t leave me here / and if you leave me on a saturday I swear I’ll never forgive you please don’t leave me here / And if you leave me on a sunday I swear I’ll never forgive you please don’t leave me here … etc. Et à ce moment là j’ai compris toute l’absurdité de ma réaction quand je me répétais “non pas aujourd’hui”. Le résultat aurait été le même n’importe quel autre jour. Je refusais seulement d’assister à cette fin, même si j’avais déjà pris cette initiative le mois précédent. J’y pensais depuis plusieurs semaines en réalité, mais j’étais incapable d’exécuter cette décision. Quand j’ai expliqué à ma grand-mère que l’idée de le revoir ne me posait plus aucun problème, elle était furieuse. Mais ce n’est plus tout à fait pareil parce que… “S’il y a des fautifs alors on est fautifs tous les deux. Mais à mon avis il n’y a pas de fautifs, il fallait qu’on se sépare”, oui, avec des nuances car je crois que nous sommes fautifs malgré tout. “J’ai voulu te quitter sans te quitter”, oui moi aussi, exactement. “On est d’accord après s’être séparé”, presque, à quelques infimes détails près. Je me suis sentie profondément soulagée après avoir écrit et envoyé cette dernière lettre. Tout est clair désormais, mon amour-morte peut reposer en paix.
[Si ça se trouve on sera amis et dans quelques années, entourés de nos conjoints, on rira sous cape en se demandant des nouvelles de Séverine et Tabata**]

Bande-son : une petite chanson toute simple et très douce : Sibylle Baier – Tonight :

* citation tirée du film l’Echelle de Jacob
** Seule la personne concernée peut comprendre ce message codé.

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