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Noël, la famille, et tutti quanti

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Après la sonnerie du réveil, je me contente souvent d’allumer la lumière et de remuer nerveusement sous la couette, sans réussir à m’en extraire mais sans me rendormir non plus, à cause du retour du froid et de l’humidité partout sauf dans le lit.  L’instant où la vapeur de la tasse de thé viendra me réchauffer le visage et les mains me paraît de plus en plus difficile à concevoir. Je me contorsionne pour enfiler des vêtements chauds sous les draps. En général, mon amoureux fait déjà chauffer la casserole de lait et la bouilloire au moment où je m’avance dans la salle à manger.

J’écarte la frange trop longue de l’enfant qui s’accroche à ses cils gigantesques (ses cheveux sont tellement soyeux qu’ils me caressent la peau lorsque je les touche, parfois j’en frissonne d’affection). Lui, à l’heure du p’tit déj’, ma tendresse, il s’en balance. Il veut « encore du jojola jo » (du chocolat chaud). Ce matin, à cet instant, va savoir pourquoi, certaines phrases de ce texte me sont revenues en mémoire. J’ai été saisie par le contraste entre ici et mon ancien chez moi. Seuls les meubles sont restés. Je n’arrive même plus à me souvenir de l’odeur du tabac froid, de celle du café au lait, ou de comment c’était quand il y avait encore une télé sans aucun être humain à mes côtés au réveil.

Peu de temps après, au retour de ma séance de sport, j’ai croisé le voisin du neuvième étage dans le garage. « Je ne vous avais pas reconnue ! Vous avez changé de coiffure ? » Mes cheveux étaient simplement attachés en chignon grossier (« j’te fais une crotte » disait élégamment ma mère quand elle me coiffait ainsi gamine), encore humides de transpiration (devant la saleté des cabines, j’avais renoncé à prendre une douche dans le club). Il m’a affirmé : « vous faîtes très étudiante comme ça. » Ah… Une demi-heure plus tard, lavée et avec ma coiffure habituelle (séchage à l’air libre et brosse introuvable), la nouvelle voisine du deuxième me demandait : « vous êtes étudiante ? » Que se passe-t-il donc aujourd’hui ? Je me suis imaginée attendre à la maternelle un fils qui n’était pas encore né puis, au retour, voir mes cours de l’Ecole éparpillés autour de l’ordinateur à côté d’une tasse qui sent encore le café au lait… Le cauchemar, ai-je pensé avec une certitude qui m’a surprise. Après tout, à 25 ans, je n’avais pas encore choisi où aller et presque tout était envisageable à condition d’en être capable… d’où mon angoisse d’étudiante, d’ailleurs. En vieillissant, on gagne en assurance et en compréhension de soi, or c’est à ce moment là que les possibilités se réduisent. Ne serait-ce pas un tantinet mal foutu ?

Alors que je patientais devant la porte fermée de l’école, j’ai reçu un sms en provenance de mon club de sport : « Félicitations ! Vous avez gagné le prix de l’assiduité sportive. Un cadeau vous attend demain ! » Si on m’avait prédit ce message dix ans plus tôt, désespérée je me serais bourrée la gueule à la vodka-orangina rouge jusqu’à en perdre conscience pour oublier ce présage. Pas de doute : je ne suis plus étudiante. Ensuite mon fils s’est jeté dans mes bras comme pour mieux me confirmer sa délicieuse réalité. Comme toujours, parcourir les quelques mètres qui nous séparent de l’immeuble a duré une infinité de minutes. Crispée, j’ai contenu mes trépignements. Marcher dans les flaques, cueillir des mauvaises herbes, danser la capucine autour d’un arbre… Il saisit chaque occasion de ralentir. Non pas pour m’emmerder bien sûr. Lui, il a la chance de ne pas connaître l’angoisse du temps perdu.

Sur le trajet, au retour comme à l’aller, il répétait qu’il voulait de la neige. Elle est imminente. Dans le ciel blanc, je lis sa venue prochaine. A l’angle de la place, j’ai aperçu le premier marché de décembre. Petit à petit, les couleurs des fêtes hivernales vont envahir la ville autour de nous. Cette année, je n’ai pas envie de passer la Noël, la seconde dans le froid lorrain. (La premiere était vaguement morbide). Si j’aime l’atmosphère feutrée des jours neigeux, à la fin de l’année je préfère contempler la mer. Ses plages sans touristes dénudés aussi, quand il n’y a que des enfants qui étrennent, sur la jetée, leur trotinettes, leurs patins à roulettes et leurs vélos neufs à peine déballés. Sauf qu’on s’en fout de ce que je préfère, c’est de nous qu’il s’agit, même si j’entends mon père répèter dans ma tête : « si on n’a pas envie de voir une personne ou de se rendre quelque part, on n’y va pas et basta ! On ne s’oblige pas à y aller en râlant. » (Lors d’un reveillon du jour de l’An, j’avais passé la nuit dans Lyon avec mon amoureux, entre les amis, les bars et les billards. J’avais oublié mon téléphone portable chez moi donc je n’avais pas pu appeler mes parents à minuit comme les années précédentes. J’étais rentrée vers six heures du matin après toutes sortes de péripéties glauques, et je m’étais enfouie dans mon lit cuver mes bières, mes cocktails, ma cocaïne, etc. Le téléphone n’arrêtait pas de sonner donc j’avais fini par le débrancher. A mon réveil à midi, mon répondeur était saturé de messages. Sur l’un d’eux, ma mère me disait : « ton mec germanique là, il ne peut pas comprendre que pour nous, Méditerranéens, la famille c’est fondamental ». J’ai éclaté de rire.)

Je me souviens que tatie Françoise ou tonton Paul existent quelque part (au minimum leurs noms sur des pierres tombales) lors des fêtes dans la grande famille de mon amoureux. J’y entends toujours quelqu’un, souvent âgé, lui dire : « la famille c’est ce qu’il y a de plus important tu sais. » Avant ou après, vient un moment où ils essaient de me faire parler de la mienne, par politesse ou pour comparer je ne sais. Je n’ose pas avouer que selon mes parents, ceux qui ne sont pas des gros cons sont des escrocs, et qu’ « on ne va pas fréquenter des débiles uniquement parce qu’ils font partie de la famille. » Alors j’invente des histoires rocambolesques de disputes et d’héritages. Ils prennent un air compatissant. Ils ignorent que je suis venue sans en avoir envie et en râlant.

Malgré tout, il y a l’enfant. Pour moi, Noël n’a d’importance que vis à vis de lui maintenant. ll va découvrir la caverne d’Ali-Baba dans le grenier, celle dont mon amoureux me parle avec des yeux humides de nostalgie. La tante J. va lui répéter qu’il est trop mignon. Il ne l’entendra pas me redire dans la foulée : « tu réussis tellement bien les enfants que tu dois absolument en faire un autre ! » Il ne se rendra pas compte que les anedoctes des repas interminables sont celles que j’entends trois fois par an depuis dix ans. Il ne saura pas que j’ai envie de gifler sa grand-mère paternelle sans arrêt (mais elle mériterait un article à elle toute seule, un jour prochain je vais craquer).  Lui, il aura même la possibilité de s’échapper de table pour jouer. Il aura davantage de cadeaux que si je n’y étais pas allée. Il pourra probablement construire son premier bonhomme de neige dans le grand jardin. Après tout, la mer, il la voit déjà en été. Il a l’avantage de connaître à la fois la Mediterranée les montagnes et les plaines, les traditions culinaires et les accents opposés, les cigales et les fourmis, etc. Et s’il a l’air suffisamment joyeux là bas, j’en arriverai à penser que c’est bien de lui donner des racines et des branches. Lui, au moins, Il pourra choisir de les couper ou d’en prendre soin. Un jour, devenu vieux, il expliquera peut-pêtre à ses descendants que la famille, c’est ce qu’il y a de plus important. Pour ma part, en attendant, je trouve toujours que la famille, c’est plutôt ce qu’il y a de plus compliqué, tu sais.

8 commentaires sur “Noël, la famille, et tutti quanti

  1. Je crois que même maintenant que je me fabriquerais une gueule de bois à la vodka orange (ou à n’importe quoi d’autre) pour me remettre d’un truc pareil :p

    Quant à la famille, oui, c’est surtout compliqué. Pas toujours en mal, note, mais compliqué.

    1. Serait-ce la raison pour laquelle j’ai bu trop de bières et de vin blanc (je ne sais plus quand j’ai bu de la vodka pour la dernière fois mais ça fait plus de trois ans) hier soir ? :p
      Cela dit, je soupçonne le club de m’avoir remis ce prix pour m’obliger à participer au goûter avec les autres adhérents, étant donné que je fais mon asociale depuis mon inscription.

      Pas toujours en mal non, et c’est une complexité que je trouve intéressante aussi quand il m’arrive de réussir à prendre du recul.

  2. j’aime cet article (moi qui ais lu tout ton blog, en six mois quand même). et je trouve tellement chouette ce que tu es devenue… Joyeux Noël à vous 3!

    1. D’ailleurs, il reste encore des articles à ajouter, des liens à corriger et j’aimerais prendre le temps de réintégrer les commentaires passés un jour aussi… Je suis déjà très contente que tu aies eu envie de lire les 285 articles archivés. C’était pénible et fastidieux de les réintégrer ici. Même si ces archives comptaient pour moi, je me disais que personne ne s’y intéresserait, les internautes se contentant généralement du dernier article en ligne. Bref ton commentaire me fait plaisir dans sa totalité. Merci beaucoup. Joyeux Noël à toi !

  3. J’attends avec impatience l’article sur la garnd-mère paternelle. D’une ça te fera du bien et de deux ça risque d’être un des billets les plus drôle de ce blog.
    Juste fais-le !
    S’il te plait.

    1. Lorsque tu m’as conseillé de l’écrire sur Twitter, l’article que tu as commenté était quasiment terminé donc je savais que ce serait le prochain à être publié. Néanmoins, je pense que je vais me laisser aller à le faire oui, sans doute après Noël, histoire de décompresser suite aux quelques jours passés avec elle.

  4. Au-delà d’être un moyen d’avoir de tes nouvelles, te lire ouvre ma mémoire et ramène à la surface certains souvenirs puisque tu fais parfois directement référence à des épisodes vécus ensemble. En lisant ce texte, je repense donc à A. et toi même arrivant chez mon pote T. à ce réveillon du jour de l’an et j’ai un retour d’acide… Je clique sur le lien de la « première fois vaguement morbide » (tiens, je n’avais jamais lu cette note) et bim! je suis catapulté en cette soirée d’automne 2010 où notre comportement avec M. frôlait nettement l’indécence, j’en conviens, mais bon… quand la chimie entre deux corps opère et qu’on est en plein début de rush passionnel…
    Je t’imagine dans ta salle de sport, je me marre! Chapeau! Faudrait que je m’y mette aussi…
    Ta belle-mère a l’air tellement sympa. Range tes mains, gifle-là mentalement!
    Je t’embrasse ainsi que tes 2 hommes, passez de bonnes fêtes, et à bientôt!

    1. J’avais prévu que ça t’évoquerait quelques souvenirs à la lecture. C’est curieux d’ailleurs : on s’est quasiment toujours vu dans des contextes de longues nuits d’alcool voire de défonce or je m’en souviens de façon très claire, alors même que j’ai connu beaucoup de réveils amnésiques à la même « époque ». Bon pour le jour de l’An, je crois que le pic d’adrénaline lors de l’agression à la sortie m’a remis les idées bien en place.
      Quant à ton (ou plutôt votre) comportement ce soir d’automne, j’espère que mon commentaire ne t’a pas paru méchant… Non parce que je suis passée par là aussi évidemment.

      Pour le sport, précisons que je suis incapable (à part une fois de temps en temps pour le défi, pour savoir jusqu’où je peux aller) de passer beaucoup de temps à courir ou à pédaler sur place, ou encore à soulever des poids… J’aime les cours de cardio basées sur de la musique (le body bike par exemple) et les cours en général (y compris ceux de yoga même si ce n’est pas très sportif). Si je me contentais d’activités qui ne sont pas du tout ludiques, je serais incapable d’être aussi assidue. Je pense que c’est efficace à partir du moment où c’est fait avec plaisir. Il a fallu que je me force au début, maintenant je ne m’imagine plus arrêter. Et la magie des endorphines après la séance, je suppose qu’à condition d’avoir été assez persévérant pour la ressentir, personne ne peut y résister.

      Ma belle-mère est pleine de bonnes intentions donc infernale. Mais bon, c’est quand même grâce à elle que mon amoureux existe et qu’il est ma foi plutôt bien éduqué, alors je garde mes mains dans mes poches, oui.

      J’essaierai de t’appeler avant le début de l’année. Sinon, bises, bonnes fêtes à toi aussi, et à bientôt.

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