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Lettre ouverte à mon minot de 5 ans et demi

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Mon p’tit bonhomme,

Il y a encore quelques mois, j’aurais commencé en te disant « mon boutchou » mais je pense de moins en moins à toi ainsi. Je te vois comme un petit bonhomme, un petit mec, de plus en plus. D’ailleurs, depuis que tu as perdu tes bouclettes et tes rondeurs de bébé, les passants sont moins nombreux à te prendre pour une fille, en dépit de tes longs cils. Toi, tu n’aimes pas les surnoms de toute façon, tu me dis : « mais je m’appelle R… et je suis un petit garçon, pas un bonhomme ! »

Je n’ai aucune raison de t’écrire aujourd’hui dans le sens où ce n’est ni ton anniversaire, ni celui de ta conception, ni ta fête… Tu as 5 ans et demi, c’est tout, c’est presque rien, tu as plus de souvenirs à créer qu’à revivre.
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Je suppose que je t’écris parce que j’ai été influencée par cette jolie lettre, mais pas seulement. En fait, j’ai aussi reçu ce document transmis par ton école :

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Ma première réaction a été : « Bin encore heureux qu’il passe en CP dis-donc ! » Je t’avoue que j’aurais été assez inquiète quant à ton avenir si tu avais redoublé la maternelle. En fait, à dire vrai, je le suis, mais surtout par peur de tout ce sur quoi tu n’as pas encore de contrôle, de l’air que tu respires aux lois érigées par les énarques, et tutti quanti.

Tu vas entrer au cours préparatoire bientôt. Maternelle, cours préparatoire, il y a une telle différence entre ces deux mots. Les choses vont commencer à devenir sérieuses. Tu vas connaître l’école des contrôles, des notes et des devoirs, celle que pour ma part j’ai détestée. J’espère que tu continueras à aimer y aller, à vouloir progresser. Je te comprendrais si ce n’était pas le cas, moi qui me suis mise à haïr les salles de classe en entrant au CP.

Cela dit, toi, tu es très différent de moi, même si tu as aussi appris à lire avant tes 6 ans. Tu es un petit garçon très prudent. Dès qu’on te dit que tel aliment, ou tel médicament, est bon pour ta santé, tu t’empresses de le consommer, y compris quand c’est un breuvage que tu détestes. Tu es décidé à être au meilleur de ta forme, ce que je trouve fascinant. J’y vois une maturité que je n’ai jamais acquise ou que j’ai perdue.

D’ailleurs, récemment, tu as été malade après avoir mangé un lapin en chocolat de Pâques. Dans la réalité, il n’y a aucun lien de cause à effet. J’ai même grignoté les joues du lapin et je vais bien. Mais depuis, tu refuses d’avaler du chocolat. J’ai beau t’expliquer que ce n’est pas ce qui t’as rendu malade, tu appliques spontanément le principe de précaution. De la même manière, tu ne montes sur la poutre en sport que si tu es sûr de toi. Jamais, tu ne te mets en danger. De ce point de vue-là, toi et moi, nous avons des comportements opposés.

Mon p’tit mec tellement souriant, ce week-end nous avons montré des vidéos de toi à tes grands-parents paternels. Tu étais bébé quand elles ont été faites par ta marraine. Je voulais retrouver celle, en particulier, où tu riais aux éclats, celle qui me ravissait à mes angoisses presque incessantes en ce temps-là. Et, face à toi-même, tu as dit : « je ne veux pas voir ça ! Je n’aime pas me voir bébé ! Je veux que vous arrêtiez ! ». Tu semblais avoir honte d’avoir été un nourrisson.

Pour ma part, j’ai été impressionné par une séquence où tu marches dans les rues du lotissement où vivent mes parents. Tu as déjà plus de deux ans. Comme aujourd’hui, tu cueilles des fleurs et des feuilles sur ton chemin, tu t’attardes sur des détails (un trou dans un mur, une trace colorée sur la chaussée) mais tu es tellement silencieux ! Maintenant que tu passes tes nuits et tes journées à parler, y compris quand tu es seul dans ta chambre, je pense que ça a été une vraie souffrance pour toi, encore plus que pour moi, ce langage tardif. Même si, heureusement, ton visage était très expressif.

Nous ne saurons jamais d’où ça venait vraiment. Bien sûr, il y a l’hypothèse de problèmes d’audition, d’otite séreuse suite aux rhumes attrapés lors de ta première année en collectivité. Mais dans ce cas, comment as-tu fait pour acquérir tous ces mots ? « Votre enfant de 3 ans parle comme un petit garçon de 7 ans, en termes de vocabulaire je veux dire » soulignait ton orthophoniste. En tout cas, est-ce en raison de cette période de silence que tu es resté toujours un petit peu dans ton monde, dans tes rêves ? Parfois, tu n’entends rien ni personne et, souvent, tu réponds « bonjour » quand ton interlocuteur n’est plus visible. Je t’avoue que ça m’agace et qu’en même temps, c’est mignon. C’est toi, quoi.

Avant-hier, tu m’as rendue muette quand tu as décrété avec aplomb : « Ton point de vue est un peu superficiel par rapport à l’étendue de la thématique abordée, maman. » (Il s’agissait de savoir si tu étais en âge de regarder la série « Il était une fois l’homme »).

La semaine dernière, tu as été plus malade que jamais. Tu as passé 5 jours allongé, à ne te redresser que pour vomir. Depuis ta naissance, je ne t’avais jamais vu dans cet état et aussi longtemps. J’ai passé mes nuits entières à te couver, à te surveiller en catimini ou à te prendre dans mes bas. « C’est contagieux, pas de bisous ni de câlins » m’avait dit le médecin. Quand je suis malade moi-même, je te souffle des baisers du bout des doigts pour ne pas te transmettre mes microbes. Mais quand toi tu souffres, je n’hésite pas à t’embrasser. Je veux bien être contaminée par toutes tes maladies, si jamais je peux t’aider à les affronter.

Avant d’être enceinte de toi, je n’étais allée aux Urgences que deux fois, après des tentatives de suicide. La première s’apparentait sans doute à un appel au secours, la seconde correspondait à une réelle envie de silence et de nuit. Aujourd’hui, je sais que jamais plus je n’essaierai de mourir, à moins, peut-être, que tu ne disparaisses. Au moment où j’écris, je t’entends chanter dans ta salle de jeu et c’est plus chouette que tous les petits oiseaux qui s’égosillent de l’aube au soir, en ces pluvieuses journées de mai.

Que dire de toi et de tes 5 ans et demi ? Tu affirmes « je ne suis ni un petit bébé ni un adulte et donc je suis moyen ». Tu vas rester « moyen » très longtemps alors. Tu es toujours aussi passionné par les voitures. Bébé, tu imitais leur bruit (entre nous, c’était assez crispant), maintenant tu récites : « Peugeot, Renault… » pour les désigner en poursuivant ta route.

Tu m’as fait remarquer récemment qu’une moto allait en sens interdit. Je ne sais pas trop où tu as appris tout ça, alors que nous n’avons pas de voiture et que notre dernière expérience de la conduite a plus de 20 ans, pour ton père comme pour moi. Aurais-tu développé la même obsession si tu avais grandi à la campagne ? Depuis ta naissance, je m’interroge énormément sur la part d’inné et d’acquis, sur mon rôle dans ta vie.

Tu détestes « l’eau qui pique » et toutes les boissons gazeuses en général, sodas y compris. Les bulles, tu les aimes quand elles sont savonneuses. Tu es un enfant facile pour ce qui est des repas (comme du sommeil). Bébé, tu n’aimais ni les carottes ni les betteraves mais à ce jour, tu manges tout, même si tu as une nette préférence pour l’amer : les épinards plutôt que la tarte aux pommes, le chocolat noir plutôt que le chocolat blanc, tout ça.

Tu adores aussi tout ce qui contient des œufs. En matière de viande, pour toi, c’est toujours du poulet même quand on te sert de l’agneau. Ton activité favorite est la dînette et tu aimes beaucoup participer à la cuisine, hacher l’ail et le persil, mixer la soupe, incorporer les blancs en neige, etc. Tu me demandes tous les soirs ce que je prépare et quels ingrédients j’ai utilisés.

Tu m’appelles surtout par mon prénom depuis un an, en revanche ton père est devenu « papa », systématiquement. Je t’ai demandé pourquoi et tu m’as répondu que tu trouvais mon prénom plus joli que « maman » et « il y a plein de mamans, déjà, à l’école, mais personne qui a le même prénom que toi donc je préfère t’appeler par ton prénom ». Alors soit.

Récemment, j’ai pensé qu’au moins, j’avais réussi à te donner confiance en toi et puis… Mon père t’a dit : « tu es bête là, tu es nul ! » parce que tu avais renversé ton verre de grenadine sur la table. Tu as éclaté en sanglots, avec une violence telle que même ton grand-père en a été ébahi. Je t’ai pris dans mes bras et je t’ai murmuré : « tu n’es pas bête, tu n’es pas nul, tu as fait une bêtise et tu ne l’as même pas fait exprès, ce n’est pas grave ». Tu étais inconsolable. Je suis décidée à faire tous les efforts imaginables pour te rendre plus solide, pour que tu ne sois pas trop amoché par les autres et par la vie, comme ma propre mère l’a d’ailleurs fait pour moi… Mais voilà, est-ce que ça suffira ?

P’tit bonhomme, je ne sais pas quel regard je porterai sur ce texte dans quelques années. Je l’écris en partie pour figer ce moment de transition où tu deviens plus que moyen, quand même un petit peu grand, et où le nourrisson que tu étais n’existe que dans la tête de ceux qui t’ont connu. J’ignore si tu sauras tout ça un jour.

Ici, c’est mon jardin assez secret même s’il est public. Voilà dix ans que ton père a décidé – et j’en suis infiniment soulagée – de ne plus lire ce que j’y écris. J’imagine que je ne te donnerai pas l’adresse non plus, à moins peut-être d’être très vieille ou mourante, si les textes déposés là m’empêchent de perdre complètement la mémoire, ou s’ils te permettent de conserver une infime part de ton histoire.

6 commentaires sur “Lettre ouverte à mon minot de 5 ans et demi

  1. Déjà 5 ans et demi !
    Que ça passe vite !

    Il se dégage de ce texte une infinie tendresse et m’évoque l’image d’un chocolat chaud sous une couette partagé en fratrie un soir de pluie. Me demande pas pourquoi, c’est venu comme ça.

    Ton moyen risque de finir président, il en a déjà l’élocution 🙂

    1. C’est drôle parce qu’autant les trois premières années m’ont semblé longues (alors même qu’il changeait d’une semaine à l’autre, en particulier physiquement), autant les deux dernières m’ont paru super courtes. C’est peut-être parce que je suis (comme Catnatt dans le texte mis en lien) plus à l’aise avec les enfants qu’avec les bébés. Maintenant, oui, ça me fait bizarre de penser qu’il mesurait 54 cm 5 ans et demi plus tôt.

      J’aime bien quand mes textes évoquent des images que je n’avais pas du tout en tête. En même temps, je n’ai aucune expérience de la fratrie. D’où que ça vienne, je trouve ça joli.

      Si j’ai été aussi stupéfaite, c’est parce qu’il ne s’exprime pas ainsi d’habitude. Il prononce parfois des mots compliqués, mais il est plutôt adepte des phrases surréalistes que j’ai déjà évoquées ici. Je pense qu’il a mis ensemble différents « nouveaux mots » acquis, sans forcément bien comprendre leur sens. Il lit beaucoup en ce moment, y compris des titres de livres et de magazines qui traînent sur la table basse du salon.

        1. Oh ! J’espère que tu reviendras en effet. Et moi aussi, d’ailleurs, j’espère que je finirai par revenir, quand j’aurais fini de gérer tous mes projets professionnels en cours.

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