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Du soleil, des parcs de jeux, des mamans, un mendiant, un orage et le printemps

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Avec le soleil, des mamans, des nounous parfois aussi, reviennent passer leur journée dans le tout petit parc sur la place. C’est un rectangle de béton recouvert de sable. Il contient un toboggan, une balançoire multi-joueurs tape-fesses (je ne sais pas comment on appelle ce type de manège et je ne tiens pas particulièrement à le savoir), un éléphant et une moto montés sur des ressorts, ainsi que deux bancs. Elles sont assises là du matin au soir, ne s’absentant qu’au moment du repas. Collées les unes contre les autres, elle fument des cigarettes, elles boivent de l’eau minérale et elles parlent. Il y en a toujours une qui pousse d’avant en arrière un landeau dans lequel un bébé dort, sans doute depuis longtemps. Elles sont différentes les unes des autres, mais elles se rassemblent par origine socio-culturelle : les femmes voilées sur un banc, les trentenaires aux cheveux longs sur l’autre, les assistantes maternelles sur le muret… Seuls leurs gosses se mélangent. Ou plutôt, ils se poussent pour être le premier à escalader chacun des jeux. L’un d’eux, souvent le plus jeune, tombe et reste longuement allongé sur le sol, jusqu’à ce qu’il ait perdu l’espoir d’être consolé. Les plus petits lèchent leur morve avec la langue, les plus grands s’essuient d’un revers de poignet.

L’an dernier, sous un soleil déclinant de fin d’après-midi, j’ai amené Le Boutchou dans ce parc puis sur la place notamment. Il venait d’apprendre à marcher, alors mettre un pied devant l’autre était son principal centre d’intérêt. Une petite fille de six ou sept ans, avec un corps en forme de poire Abate Fetel et des cheveux noués par la transpiration, s’est approchée de lui. Elle était maladroite comme le sont parfois les enfants de cet âge là avec les bébés, ceux qui ont l’air plus grands que leur petit frère ou leur petite soeur, tout en n’ayant pas encore la possibilité de jouer avec eux. Elle voulait « l’aider à marcher ». Je lui ai expliqué : « il sait marcher, laisse-le faire s’il-te-plaît. Quand tu le pousses, tu lui fais perdre l’équilibre et ça lui fait peur ». J’essayais d’être gentille avec elle car ce n’était qu’une petite fille maladroite, mais le regard plein de détresse que me lançait Le Boutchou à chaque fois qu’elle le touchait me rendait anxieuse. J’ai cherché sa mère des yeux sans la trouver. Aucune des femmes présentes ne me voyait. La gamine m’a demandé : « est-ce qu’il va déjà à l’école ? » « Non, pas encore ! » Elle a admis : « c’est vrai qu’il est petit. En fait ». Puis elle a ajouté : « cette année je suis au CP. Je préférais quand j’étais à la maternelle. A la maternelle on jouait, au CP on travaille ». J’ai dû répondre une banalité, quelque chose du genre : « ah oui, c’est la grande école, c’est moins drôle ». Au moment où j’allais partir, elle m’a confié : « j’en ai marre. On était déjà là ce matin. Il fait trop chaud. Je m’ennuie ». « Pourquoi est-ce que vous êtes là depuis ce matin ? » Elle a récité : « maman dit qu’il faut profiter du soleil parce qu’on n’a pas de jardin ».

Cette explication ne m’a pas totalement convaincue. Non loin de ce petit rectangle, à deux minutes à pied à peine, il y a un grand parc. On y trouve davantage de jeux, mais aussi des arbres, de l’herbe et des plantes vertes pour pique-niquer, pour faire la sieste, pour jouer à la dînette ou pour observer des insectes. Là bas juste à côté d’ici, on pourrait s’imaginer dans un jardin. J’y suis souvent et je vois également des mamans et des nounous fumer des cigarettes, boire de l’eau minérale et parler. En revanche, Je ne sais pas si elles y restent durant des journées entières car je ne les aperçois pas depuis ma terrasse et que là bas ou ici, je ne fais que passer. Quoi qu’il en soit, je ne comprends pas très bien leur comportement. Peut-être n’est-ce qu’une question d’habitude… Elles se retrouvent ici depuis si longtemps qu’elles en oublient de se demander si c’est le meilleur lieu de rendez-vous. Ou alors elles se partagent les parcs de la ville comme les mendiants se répartissent les rues…

A quelques mètres du petit parc, sur un coin de trottoir, il y a un vieux Rom assis durant toute la journée. Il ne fume pas, il boit parfois de l’eau, il ne parle pas beaucoup. Il n’attend pas le soleil pour mendier. Il n’est pas trop mal aimé pour un Rom. Les passants lui donnent souvent quelques pièces, un paquet de biscuit, un sandwich… J’en ai même entendu certains prendre de ses nouvelles même s’il ne maîtrise pas un mot de français. Quand il voit Le Boutchou, il dit des choses que je ne comprends pas mais au ton de sa voix, je sais qu’il s’agit de douceurs. D’ailleurs quand je l’envoie lui donner de l’argent, il lève ses paumes vers le ciel, ému, comme s’il remerciait Dieu d’amener ce petit garçon souriant devant lui. Je suppose qu’il est bien accepté parce qu’il a toujours été là ou presque. Et puis il n’a pas l’air d’un ivrogne, or les gens n’aiment pas donner de l’argent aux pauvres pour qu’ils s’achètent de l’alcool. Son embonpoint contribue sans doute aussi à lui donner un air bienveillant. Avec le costume adéquat, il pourrait faire un excellent Père Noël dans les écoles maternelles ou dans les supermarchés. Quels que soient le temps et la saison, il porte un gros bonnet, un manteau et il recouvre ses jambes avec une couverture, y compris quand tout le monde est en short. Je ne pense pas qu’il puisse avoir toujours froid, alors je suppose qu’il a peur de se faire voler ses quelques possessions. Pourtant, en y repensant, il m’a prouvé le contraire par le passé.

Un matin, je suis sortie avec la poussette canne d’occasion, celle qui ne contient ni ombrelle ni capuche. En raison de la chaleur, j’avais mis un short et un t-shirt à mon fils. Certes, des orages étaient prévus dans la matinée, mais j’avais uniquement une gigoteuse à donner à un inconnu en échange d’un billet de banque. Je venais de recevoir le SMS de l’acheteur : “je vous attends sur la place”, soit juste en dessous de chez moi. Ce serait vraiment un gros manque de chance qu’il pleuve précisément à cet instant là, me suis-je dit… Donc, évidemment, il s’est mis à pleuvoir immédiatement après la transaction. Je me suis abritée sous un rebord de toit, mais le vent poussait les goûttes en direction des jambes et des bras nus de mon fils. Il y avait une supérette non loin de moi. J’ai envisagé de me précipiter à l’intérieur… Puis je me suis souvenue qu’en été, la climatisation excessive la rendait glaciale. Tandis que je me demandais s’il valait mieux mettre un bébé mouillé dans un congélateur ou attendre qu’il soit encore plus trempé, le vieux mendiant s’est précipité vers moi en parlant très vite et très fort. Comme d’habitude, je ne comprenais rien au roumain, mais à son ton, je sentais qu’il était aussi catastrophé que moi. Il m’a tendu sa couverture pour protéger mon fils. J’étais immensément touchée mais j’ai refusé son aide à cause de l’odeur et de la couleur du tissu. Par le passé, pour échapper aux taches ménagères, j’ai beaucoup utilisé l’argument du système immunitaire infantile qu’il faut développer en évitant les environnements aseptisés, mais là, quand même… Je pouvais presque visualiser les petits microbes qui se régalaient à l’avance à l’idée d’envahir un organisme jeune et fragile. Alors je l’ai simplement remercié en espérant ne pas le vexer, puis je me suis décidée à courir sous l’orage pour rentrer chez moi. Le Boutchou a été courageux d’ailleurs, il n’a pas pleuré pendant que la poussette dévalait la rue à grande vitesse… ce n’est qu’à l’instant où la pluie est devenue de la grêle qu’il s’est mis à hurler, de froid et surement de peur, heureusement nous franchissions la porte d’entrée. Bref, j’ignore la raison qui pousse ce vieil homme à porter autant d’épaisseurs quelle que soit la température. Mais au moins, je comprends pourquoi il reste assis durant toute la journée au même endroit.

Peu de temps avant la naissance de mon fils, une amie de mes parents avait voulu me rassurer en m’affirmant : « même si tu n’as pas de travail, que tu ne fréquentes pas de club de sport et que tu ne connais personne dans cette ville, tu feras des rencontres… Dans les parcs de jeux, puis à la sortie de l’école, tu discuteras avec d’autres mamans ». Je ricanais intérieurement… Youpi, n’avoir que des mamans pour amies afin de parler uniquement de nos enfants, le rêve quoi ! Maintenant, cette idée me paraît rectangulairement dangereuse qui plus est. Non mais sait-on jamais, je pourrais en arriver à passer mes journées assise dans un petit coin de béton sablé à parler, à fumer et à boire de l’eau minérale, sans m’intéresser aux souhaits de mon fils. Enfin, au moins, quand ces femmes commencent à revenir du matin au soir dans ce parc de jeu, je suis sure que le printemps arrive. Ainsi je peux constater, rassurée, que le gentil Rom qui mendie sur le trottoir a réussi à passer l’hiver.

3 commentaires sur “Du soleil, des parcs de jeux, des mamans, un mendiant, un orage et le printemps

  1. (Oui, voilà que je m’auto-commente… pour me justifier en quelque sorte. En fait, quand j’ai eu le courage de relire ce texte après l’avoir posté dans l’urgence (mon fils se réveillait de sa sieste et m’appelait), j’ai eu la sensation désagréable d’être la mère parfaite qui juge d’autres mères sans les connaître or ce n’était pas mon intention. Je ne comprend pas leur comportement et lorsque j’essaie de me l’expliquer, je ne l’approuve pas. Mais bien entendu, par certains côtés (pas les mêmes), je peux être tout aussi « mauvaise mère » qu’elle.)

  2. Je vois dans ton texte plus de stupéfaction (le mot est un peu fort mais je n’en trouve pas de meilleur, disons que tu sembles décontenancée comme devant une culture inconnue et pour toi incompréhensible) que de jugement.
    J’aime ta façon de dérouler le film de tes souvenirs, puis de boucler à la fin. Cette structure fluide.

  3. Tu me rassures car oui, je crois vraiment que je suis plutôt décontenancée par ces femmes. En tout cas, je ne me sens pas donneuse de leçons malgré mon dernier paragraphe.
    Merci beaucoup pour ça et pour le reste.
    Et puis, aussi, je suis contente de te lire ici pour la première fois.

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