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Look closer…

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A travers la vitre sale du train, on ne distingue des lampadaires que leurs lumières oranges, suspendues, comme si elles ne reposaient sur rien. Elles sont troubles parce que mes yeux sont fatigués. Je les ferme et, sous mes paupières, la persistance rétinienne les transforme en nuages larges aux contours imprécis. Je pourrais pleurer, il suffirait d’effleurer le point sensible. Puisque je n’arrive pas à le localiser, puisque tu ne te rends compte de rien, je ne pleure pas.[…]
Je me suis engouffrée dans la voiture lorsque les portes se fermaient, sans même prendre le temps de te dire au revoir. On s’en moque, de ces petites attentions, je serais la première à le dire si on me posait la question, pourtant elles me manquent. J’essaie de les provoquer, à l’occasion… Sans raison apparente, je t’effleure ou je me serre dans tes bras, mais ce n’est plus exactement pareil qu’avant, ce n’est pas spontané, encore moins irrépressible… J’aimerais bien m’endormir, la fatigue noircit toujours les sentiments.

Pourtant j’étais bien pendant ces deux soirées… J’ai valsé de groupes en groupes, rencontré des gens intéressants, en réussissant à n’être ni ridicule, ni malade, ni amnésique, malgré une ingurgitation frénétique de boissons alcoolisées de 20 heures à 10 heures du matin, cependant… Peut-être était-ce mon imagination, je me souviens parfaitement de ces quelques minutes pendant lesquelles j’étais adossée au bord de la fenêtre… Tout en parlant à cette fille, je visualisais l’ensemble de la pièce, l’attitude des invités, leurs discussions, leurs rapports, comme si je les regardais à travers une caméra… Tu étais à côté de moi. Il m’a semblé qu’il n’y avait, entre nous d’eux, rien de plus qu’entre nous et cet “ami d’un ami” que nous ne connaissions pas auparavant. C’est un sentiment difficile à définir, car rien de concret ne le justifie. Nous sommes côte à côte comme un couple, mais… […]
Au même instant, quelque part dans ma mémoire, un homme – issu d’un livre ou d’un film, je ne sais plus où ni quand – serre un cadavre et sent sa chaleur. Il parvient à le croire en vie parce qu’il refuse de s’en séparer. En se souvenant de ce qu’il était de son vivant, il s’illusionne parfaitement, jusqu’à la folie. “Tout le monde est un peu superstitieux de toute façon. Ne pas être superstitieux, c’est ne pas croire à la magie. C’est triste un monde sans magie”, me dit-elle, alors que je titube, tangue… La terre ferme est liquide, les corps flous, tes yeux trop vitreux pour que je puisse réellement regarder à l’intérieur en frappant mon verre contre le tien. […]

En ce dimanche après-midi, après deux longues nuits éthyliques, je sors d’un sommeil peuplé de cauchemars, la migraine pulse dans mes tempes, ma voix est enrouée, un marteau tape bruyamment dans mon oreille gauche et mon cœur palpite à une telle vitesse qu’il me semble ne pas y avoir de pause entre chaque battement, comme à chaque fois que je bois en étant sous antibiotique. Je me sens épuisée, lourde, lassée. Lassée d’à peu près tout, et pas seulement de ce lendemain de soirée. Si je voulais trouver un synonyme du mot “lassée” tel que je l’emploie de façon récurrente depuis un an environ, je dirais “désenchantée”. “C’est triste un monde sans magie”. La lassitude, c’est quand la magie ne survient plus que par inconscience. […]

Je me souviens de l’un de mes chats, mort à cause d’une pierre lancé par un cantonnier agacé de le voir roder autour du cimetière. Ce chat avait des crises d’asthme dés qu’il était effrayé. Lorsque nous l’avons amené chez le vétérinaire, ce dernier était obnubilé par ces difficultés respiratoires. Nous lui disions “non, ce n’est pas l’origine de son état, ce n’est qu’une conséquence”, il ne nous croyait pas. Quelques jours plus tard, nous avons repéré la gangrène, de plus en plus grosse dans son flanc… Il était trop tard. D’une certaine manière, je suis ce chat et ce vétérinaire. Il y a quelque chose qui se gangrène quelque part en moi, mais je soigne d’autres troubles qui n’en sont pas vraiment. J’espère que la gangrène finira par se résorber si j’évite d’y penser, comme ces gens qui n’osent pas aller chez le médecin par peur de se découvrir malade. En attendant je m’étourdis afin de ne pas être confrontée au point sensible… Je pense à l’affiche d’”American Beauty”, on y voit un nombril et le message “look closer…” C’est précisément ce que j’évite de faire.

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