Eté, plaisirs et nunucheries, ou J’ai 7 minutes pour écrire une note
Catégories Non classé* J’avais envie de consacrer plusieurs lignes, et même des paragraphes, à mes nombreux plaisirs estivaux… Sauf qu’à l’idée de devoir patiemment mettre des légendes à tous les clichés qui défilent dans ma tête, je me sens aussi paresseuse que Le Chat. Mais il faut tout de même noter quelque part : le premier verre de bière fraîche – la sixième pinte aussi – accompagné d’une cigarette, sur une terrasse en milieu d’après-midi, les jambes nues chauffées par un ciel ensoleillé et le visage caressé par la brise ; le risotto de Saint-Jacques sur les hauteurs, face à la ville et aux montagnes, sans que rien ne dissimule le panorama étalé sous mes yeux ; le réveil à ses côtés, des rêves effilochées dans la tête, quand le soleil estival réchauffe déjà les draps à travers les rideaux et que nos corps engourdis se rejoignent dans une douce pénombre ; les roulements du fleuve dans lequel les lampadaires glissent des paillettes, sous le pont, au milieu de la nuit ; le vent qui transforme les couleurs des feuilles en les retournant dans des bruissements soyeux ; les délicates pousses vertes sur le tronc de l’arbre foudroyé lors du dernier orage…
* J’accomplis le rituel des livres neufs : tamponner les premières pages, coller des étiquettes sur les couvertures, chercher dans quelle catégorie les ranger, écrire la cote d’abord au crayon et ensuite au feutre… Comme d’habitude, cette activité répétitive m’apporte une curieuse satisfaction, que je suis incapable d’expliquer rationnellement… Pourtant, mes étiquettes sont toujours vaguement tordues, mes lettres aussi, alors parfois je dois décoller-recoller, gommer-réécrire, en m’appliquant. Le E est particulièrement rebelle ; il penche vers le haut ou le bas, et les trois lignes ne sont jamais identiques, parce que je suis nulle en alignement et en symétrie. Malgré tout, en dépit de ma maladresse, j’aime m’approprier ces ouvrages afin de leur donner une identité…
* Une vieille dame, dans ma bibliothèque, me demande pourquoi le mal existe. Elle me pose cette question d’une voix suppliante, tremblante d’émotion, comme si son existence dépendait de ma réponse…. Gênée par cette interrogation qui dépasse largement mes compétences de bibliothécaire, je me cache lâchement derrière des philosophes, des connaissances théoriques… Et je sens qu’elle attend autre chose de moi, “je ne suis pas intelligente” me précise-t-elle, “dîtes-moi sincèrement comment c’est possible, toute cette violence”. Alors je la fais parler d’elle et l’écoute déverser toutes ses angoisses, l’encourage, essaie de l’apaiser… Avant de sortir, elle me serre compulsivement la main contre sa volumineuse poitrine, étreinte brûlante, en répétant “merci, merci d’avoir été aussi gentille, merci pour tout ce que vous avez fait ; je vous souhaite d’être heureuse, soyez heureuse ! Soyez heureuse !” Je ne sais plus s’il s’agit d’un ordre ou d’un voeu, des deux sans doute, mais sa sincérité me bouleverse. Elle repart ; je fonds bêtement en larmes. Je crois que je n’avais jamais éprouvé cette impression auparavant, celle d’avoir réellement aidé quelqu’un…
* Dans deux semaines je reverrai la mer… Il sera là, mes parents aussi, alors comment ne pas craindre un été en forme d’éternel retour du même ? Au détour d’une ruelle, d’un bar, d’une ambiance particulière, certaines images inactuelles continuent à créer des interférences très brèves dans ma vision, à cause de tous ces lieux qui ont déjà une histoire, la notre, l’ancienne… On dirait ces films fantastiques dans lesquels des voyantes visualisent, par flash, des évènements douloureux […] mais… Non, ils ne sont pas prémonitoires… D’ailleurs “Hé, ça fait trois mois et il n’y a eu aucun problème”: nous l’avons pensé en même temps ; même pendant l’âge d’or de notre première relation, nous n’avions jamais passé trois mois ensemble sans nous disputer… Et puis j’aime cet attachement tendre, le fait de le connaître, au sens propre, par coeur… Un coeur qui ne me veut présentement aucun mal, au contraire. Dimanche, sur la petite place, je pensais que j’avais eu raison de le laisser revenir, car j’ai tellement de chance de l’avoir, moi aussi. Période d’essai terminée, même si les derniers doutes ne s’éloigneront sans doute qu’à la fin de l’été…
En dépit de ma peur des anniversaires, je n’ai jamais été aussi sincère en répondant “tout va très bien”. Je peux te le dire en te regardant droit dans les yeux, sans rire, et sans même avoir pris le temps de réfléchir, puisque cet été n’est qu’une succession d’instants parfaits…