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C’est la deuxième fois que je fais ce rêve où je suis poursuivie par un énorme nuage dans le ciel qui s’appelle « nuage de dépression ». Même si je suis avec 3 personnes, je n’en reconnais qu’une seule quand je me réveille. La première fois, j’essayais de semer le nuage en changeant de ville. Cette nuit, je tentais de me séparer des autres personnes pour voir si elles étaient la cause de sa présence. Malheureusement, mon réveil a sonné avant la fin de cette expérience. Ce n’est pas un cauchemar, étrangement. La plupart des gens sont affolés autour de moi, la météo cherche à comprendre l’origine du phénomène, etc. En revanche moi, ça ne me traumatise pas, je trouve seulement que c’est un peu pénible dans le sens où je me dis « tout le monde va finir par comprendre qu’il me suit ». Je ressens plutôt de la honte, et l’envie de me débarrasser rapidement d’une situation gênante. En me réveillant, je suis partagée entre amusement (ce rêve est tellement explicite) et amertume (ce rêve est trop explicite).

En descendant ma rue, je remarque une jeune femme très élégante, fraîche et pimpante, caricaturale au point d’avoir l’air de sortir d’une publicité. Quand j’arrive à sa hauteur, elle s’est un peu affaissée contre le mur, le visage entre les mains. Quand je sors du tabac, elle est en larme, décomposée, affalée contre le mur sale, son élégant sac est par terre. La métamorphose a été extrêmement rapide, je me demande ce qui lui est arrivée. Elle me jette un regard haineux, comme à tous les passants d’ailleurs. Il y a très longtemps, j’ai vécu ces espèces de crise d’angoisse dans les lieux publics. Je sais à quel point on redoute que les gens s’arrêtent même si on l’espère peut-être malgré tout, plus ou moins inconsciemment. J’aimerais bien la prendre en photo, mais c’est parfaitement déplacé, donc je continue ma route vers mon bus. Son fantôme me suit un petit moment.

En ce moment, les gens ont l’habitude de me parler aux arrêts de bus, et puis dans le bus aussi. Peut-être parce qu’à force de croiser toujours les mêmes visages matins et soirs, on finit par s’intéresser à eux…. Madame en bleu marine a un parapluie à la main, elle dit :
« – ça s’est rafraîchi
– oui, un peu
– ils annoncent de la pluie pour cet après-midi, c’est pour ça que j’ai pris mon parapluie
– ah bon…
– vous auriez dû prendre un parapluie
– je n’en ai pas
– il faut toujours avoir un parapluie quand on habite à Lyon
– oui, en fait je me suis déjà dit ça, mais je n’en ai toujours pas
– vous allez être mouillée tout à l’heure
– peut-être bien oui, tant pis
– je suis bien contente d’avoir mon parapluie, c’est pénible de prendre une averse sur la tête
– euh oui
– j’espère que je ne vais pas l’oublier quelque part
(Je commence à me prendre au jeu de cette passionnante conversation et je décide d’abandonner les onomatopées polies pour engager une réelle discussion au sujet des parapluies)
– c’est le problème avec les parapluies, on les perd et on se les fait voler très facilement
– oh que oui ! Tenez, quand je suis allée à la Poste (…)
( je me permets de faire des coupures pour laisser un peu place à l’imaginaire)
– En plus il a l’air résistant, c’est un parapluie de luxe que vous avez
(se rend-elle compte que je me fous gentiment de sa gueule ?) Elle hoche vigoureusement la tête :
– Il ne va pas se casser au premier coup de vent !
(silence. Serait-on venu à bout de la conversation ? C’est presque frustrant).
– Vous avez des cils incroyables mademoiselle, qu’est-ce que vous utilisez comme mascara ?
– je n’utilise jamais le même et on me dit toujours ça. J’ai des longs cils
– quelle chance vous avez ! Vous êtes mignonne comme tout
– merci
– non mais c’est vrai. J’espère que la pluie ne va pas vous abîmer, on ressemble à rien quand on prend une bonne douche tout habillée
– peut-être qu’il ne pleuvra pas
– il pleuvra.
– bon, alors ce soir je m’achète un parapluie.
– C’est vrai ? Vous me le promettez ?
( !?!)
– d’accord.
– Ah merci !
(elle a l’air tellement ravie que j’ai envie de lui faire encore plus plaisir)
– j’essaierai de trouver le même que vous.
– je vous le recommande ! »
Plus je vis ce type de dialogue et plus je m’aperçois qu’il est vraiment possible de discuter pendant 20 minutes au sujet de choses complètement insignifiantes : c’est fascinant.
Enfin, au bout du compte il n’a pas plu, mais je me suis quand même acheté un parapluie.

Dans ma bibliothèque, mon petit vieux préféré est tout agité, il court partout dans la pièce comme un enfant. Parfois son énergie et sa vitalité m’épuisent presque. Il m’accueille par un : « Vous, vous avez l’air de quelqu’un qui a mal dormi ». Bien vu. Mentalement, je réponds : j’ai été poursuivie par un nuage de dépression, c’était épuisant ; oralement je dis : j’ai eu du mal à m’endormir hier soir (ce qui est tout aussi vrai). « Moi aussi, j’ai des difficultés à trouver le sommeil en ce moment ». Ca ne se voit pas, pourtant. Il est tout surexcité par la perspective de son voyage dans quelques heures, comme lorsque la fête en son honneur approchait. En revanche, il peut être tout ému par une mauvaise nouvelle, ou la vision de la photo d’un massacre dans le journal. Toutes ses émotions sont toujours visibles et immédiates, c’est sans doute pour cela qu’il me fait souvent penser aux enfants…
Un peu plus tard, je constate (ce n’est pas la première fois) qu’un livre du 17e est en bien meilleur état qu’un livre du XIXe. En général les livres anciens conservent un papier lisse, une plume parfaitement lisible, et même s’ils sont jaunis, ils restent bien mieux conservés que certains livres du 19e, voire même du 20e siècle. Il me dit « c’est parce qu’ils utilisaient un meilleur papier et une plume à l’époque, de ce côté là on n’a pas fait de progrès ». Et puis « ce sont de belles choses » avec un air aussi admiratif que moi. Je caresse du doigt l’écriture gothique pleine de boucles, j’observe avec attention la signature du « Roy » et les gravures… Si un jour, j’en ai les moyens, je collectionnerai les livres anciens. Même ceux dont le contenu ne me passionne pas forcément. Je n’ai pas besoin de les lire, les observer et les effleurer suffit déjà à me contenter. J’aime les détails, le type d’écriture, la noirceur de la plume, la texture des pages… J’éprouve un ravissement totalement absurde quand il y a plusieurs signatures (le roi, les recommandations, l’autorisation, etc.), et lorsqu’en plus on y trouve des souvenirs (vieilles lettres, cartes postales oubliées, souvenirs divers) j’exulte littéralement.

En repartant, à l’arrêt de bus, une dame en blanc me dit :
« – ça s’est rafraîchi aujourd’hui
(ah non, pas la même conversation deux fois dans la journée…) Presque machinalement je réponds :
– oui, on m’a dit qu’il allait pleuvoir
– oh non, en plus j’ai oublié mon parapluie
– moi aussi
– il faisait pourtant tellement beau ces derniers jours… Vivement que le bus arrive ».
Son souhait est exaucé, pourtant je préparais déjà tout un dialogue sur les changements climatiques.

Dans le bus, la femme blonde de la semaine dernière me crie « comment ça va ! Venez-vous installer à côté de moi ! » Bon mais là en fait, je n’en ai vraiment pas trop envie. Après ma journée de travail, j’envisageais plutôt de m’isoler dans l’écoute de mon baladeur. En plus, je n’ai eu qu’une conversation avec elle auparavant, laquelle m’avait passablement déprimée. Elle m’avait raconté la mort récente de sa sœur, la maladie de sa mère, le décès de son père, l’éloignement de son fils, la rapidité avec laquelle la mort survenait, la douleur de l’agonie, le manque laissé par les proches etc.
En voyant mon air hésitant elle ajoute « je ne veux pas vous embêter, on peut faire juste un brin de causette ». Alors je m’installe à ces côtés. Aujourd’hui, elle a décidé de me parler des hommes qui la draguent, c’est plus léger. « Ils sont malades quand même ! Alors que j’ai 43 ans et que je suis mariée ! ». Je regarde sa mini-jupe, ses cheveux longs blonds décolorés, ses yeux très maquillés et son rouge à lèvres vifs… Non, ça n’a rien d’étonnant en fait. Elle appartient à cette catégorie de femmes qui continuent à s’habiller comme des lolitas en vieillissant, qui se font lifter et regonfler les lèvres, etc. En général, j’éprouve pour ces personnes un sentiment bizarre, à mi-chemin entre le mépris et la pitié. Ce n’est pas de la sympathie, quoi qu’il en soit. Pourtant elle, elle m’est assez sympathique et c’était déjà le cas la dernière fois. Elle est pathétique, au sens littéral du terme. Elle rit tout le temps, en précisant sans cesse « enfin c’est la vie », « c’est pas grave », « c’est pas important », et on sent à quel point elle encaisse mal tout ça… à cause de sa voix qui se casse sur certains mots, ou de ses yeux qui se mouillent malgré le sourire. Elle est un peu hystérique, fatigante, elle dit d’énormes conneries parfois (« c’est incroyable tous les clochards qu’il y a ! Moi je leur donne jamais rien, ah non, ils n’ont qu’à se laver et bosser, nan mais c’est facile de vivre au crochet des gens. Ce sont des parasites. Faudrait pouvoir les supprimer aussi facilement que les moustiques. Vous imaginez ce qu’on serait bien dans une ville sans clochards ? ! »). Pourtant j’aime bien être à côté d’elle et l’entendre parler, parce qu’elle est émouvante. De toute façon, ça ne sert à rien de lui répondre, elle n’écoute pas, elle veut juste une oreille à côté d’elle.

En rentrant, même si je suis heureuse d’être enfin seule avec ma musique et Le Chat, je me dis que c’est quand même agréable d’avoir ces moments là dans la tête… Un joli livre, un moment de complicité avec mon petit vieux préféré, ces inconnus… tous ces riens. Pendant longtemps, j’ai été plutôt agacée par ces gens qui décident soudainement de me parler. Quand j’étais caissière, je commençais à ne plus les supporter du tout. Mais en fait, c’est chouette parfois toutes ces galeries de personnages. Je placerai volontiers certains d’entre eux dans un roman, un jour, peut-être.

[Morrissey – Ringleader of the tormentors]

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