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Les boîtes à souvenir

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Dans mon sac trop lourd, il y a un livre, un baladeur, un journal intime, des stylos qui n’écrivent plus, des zippos vides, du tabac, des cigarettes dans une boîte Marilyn, des mouchoirs en papier zébrés offerts il y a bien longtemps par miss immature pour “pleurer avec élégance”, un répertoire téléphonique plein de numéros qui n’existent plus, des post-its avec des listes de choses à faire, que je ne consulte jamais…

Dans le premier tiroir du bureau, il y a des listes de disques à acheter, elles s’allongent depuis des années, car à moins de devenir milliardaire, je n’aurais jamais tout. Il y a aussi les lettres écrites à ma mère, à chaque dispute, datant de tous les moments où je me suis heurté à elle… Dedans, il y a des mots qui racontent mon amour pour elle, qui parlent à ma place pendant toutes ces journées où je restais silencieuse et boudeuse au lieu de m’excuser. Depuis 12 ans, j’en ai accumulé plus de 100, qu’elle ne lira probablement jamais, même si sans doute j’espère vaguement qu’un jour elle les trouvera.

Dans le deuxième tiroir, il y a les journaux intimes, les correspondances, les poèmes, les nouvelles, tout ce que j’écris depuis 15 ans. Et puis sur le dessus, un classeur de philo les camoufle, afin de tromper le curieux qui déciderait de s’y aventurer.

Dans le troisième tiroir, c’est la place des dessins rarement achevés, des photos compromettantes, des boîtes à souvenir pleine de petits trucs plus ou moins ridicules, qui n’ont de signification que pour moi. La peinture et les crayons à papier sont soigneusement disposés à côté.

Dans la penderie, il y a du rouge et du noir exclusivement, ça fait rire les visiteurs. Sur l’étagère d’en dessous, il reste les traces honteuses de mes différentes phases vestimentaires : T shirt anarchy clouté avec une Reine d’Angleterre défigurée, collants fantaisistes à rayure et à damiers, périodes punk rock goth et pop confondues. Tout au fond, bien cachés, se trouvent les CD à ne pas montrer, ceux que j’écoutais quand j’avais moins de 14 ans et dont je n’arrive pas tout à fait à me débarasser, même s’ils prennent la poussière depuis des années. Encore plus loin, c’est la place des caricatures très méchantes des personnes que je ne connaissais pas encore assez. C’est une habitude chez moi, de voir les défauts avant les qualités.

Sur la première étagère de la commode, il y a les “inclassables”, les listes de choses à faire avant de mourir de quand j’étais adolescente, des classeurs consacrés à tout ce que j’aimais, aux diverses idoles en particulier, les chanteuses de rock et les actrices torturées auxquelles je voulais tellement ressembler…

Si je devais faire l’inventaire de tout ce que je dissimule dans des tiroirs et dans des boîtes, j’y passerais des heures. J’ai souvent eu le fantasme de tout jeter, de vider la pièce, afin de repartir à zéro sans les traces matérielles des souvenirs. Et puis un jour, hier soir exactement, j’ai tout ouvert, tout fouillé, j’ai souri parfois, j’ai eu les larmes aux yeux à d’autres moments, mais je n’ai pas eu envie de m’en débarasser.

S’apercevoir que j’ai changé à l’époque même où j’étais certaine d’être définitivement bloquée dans la case “dépression” – se rendre compte que mes parents si géniaux ne savent pas forcément tout et qu’il y a même des domaines où je m’avère plus brillante qu’eux – réaliser qu’il est possible de se supporter sans avoir à imiter Nico – cesser de rêver de lobotomie en comprenant que chaque échec, même le plus douloureux, a eu son importance – et alors s’apercevoir que le tout que je suis à l’heure actuelle ne me déplaît pas tant que ça…

J’en viens presque à me demander comment tout m’a paru un jour aussi compliqué, pourquoi j’étais certaine qu’être à la fois aimée et amoureuse n’arrivait qu’aux autres, de quelle manière j’ai pu me haïr pendant aussi longtemps… En 1994, en lettres capitales, j’avais écrit : “JE NE VEUX JAMAIS VIEILLIR”. Je suis contente de ne plus avoir 14 ans. A 24 ans, il était grand temps.

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