Le jour où, après un cours de théâtre, j’ai marché jusqu’à son appartement, je pouvais voir les manèges de la foire dans la brûme, mes mains étaient cachées dans les manches d’un pull, une petite fille jouait avec une corde à sauter bleue. Le soir où nous étions assis sur un toit, pour assister au coucher du soleil, j’ai remarqué mon prénom écrit au cutter sur l’un de ses bras. Lorsque je me dirigeais vers la salle d’examen, j’ai eu envie de ramasser une feuille morte couverte de neige. Rien de commun entre ces moments, mis à part un sentiment d’adéquation. Quand je suis très amoureuse, très angoissée, très fatiguée, ou n’importe quel “très” sentimental, il y a systématiquement un instant où chaque détail m’apparaît de façon plus lumineuse, où du vent jusqu’au bruit de mes pas, je suis soudain consciente d’un “tout”. Comme lorsque, dans un très mauvais film, il y a une scène extraordinairement belle. Ecouter un disque d’une oreille distraite et interrompre toute activité pour s’apercevoir brutalement que cet accord là est parfait. Lire un livre en diagonales et tomber par hasard sur “la” phrase qui va s’incruster dans la mémoire, naturellement, grâce à un enchaînement parfait de mots. Ce sont des moments qu’il est presque inutile d’écrire, de photographier, de mémoriser d’une quelconque manière, dans le sens où, de toute façon, ils sont déjà immortels, et pourtant tellement éphémères. Ce n’est qu’un éclair, une brève interruption du sublime dans ma banalité lourde et grise. “Pourquoi tu souris toute seule ?” Parce que je me sens bien – mais c’est tellement plus que ça en réalité.