bière – coca – vin rouge – muscat – café au lait – jus d’orange – rires – larmes – folie – écoute – dialogues – vent – chaleur – joues rouges – yeux brillants – caresses – ivresse – happy end –
Catégories Non classéJe savais que :
Je boirais deux demis avec toi vendredi à 22 h 35, tu me dirais “tu ne veux pas être aimée ?” Pas dans l’immédiat. “Alors il faut se tourner les pouces en attendant”. Parce que tu dis toujours des choses dans ce genre là et c’est un petit peu lassant à la longue. Pour toi aussi je sais, je comprends, enfin plus ou moins. Je rentrerais seule comme je l’avais déjà décidé avant de te rejoindre. J’aurais les jambes coupées par la bière, surtout après plusieurs semaines sans en avoir bu. Je serais heureuse de m’allonger dans mon grand lit vide, le vent m’empêcherait de dormir, je n’aurais aucune envie de me lever le lendemain matin et j’arriverai en retard à mon rendez-vous, presque exprès. Je transporterais des cartons d’un appartement à l’autre, j’aurais des difficultés à trouver la bonne clé pour ouvrir la porte parce que je n’y suis pas encore chez moi, je m’émerveillerai encore et toujours en le redécouvrant, j’aurais des courbatures plus tard. Je partirais pour acheter uniquement du lait et je reviendrais avec trois sacs de provisions dont du chocolat et des bonbons. J’irais chez le disquaire en m’ordonnant de ne rien acheter et j’en sortirai avec trois disques. Je les écouterais immédiatement en lisant les livrets et je serais donc en retard à mon rendez-vous suivant. Je ferais une compilation de chansons pour une amie et j’en graverai un exemplaire pour moi parce que ces morceaux me font penser à elle. J’écrirais une note sur ce blog, conçue pour être supprimée quelques heures plus tard. J’irais à une soirée d’anniversaire samedi soir, j’enchainerais les verres et les cigarettes, je raterais le dernier métro, j’écouterai de la pop légère et entêtante en titubant dans la rue avec un léger mal de tête et une gorge avide d’eau dans une nuit chaude et venteuse, je regretterais d’avoir mis des chaussures à talons, je me cognerais au côté droit de la porte en entrant dans l’immeuble, la lumière de l’ascenseur me ferait mal aux yeux, je serais effrayée par mon visage épuisé dans la glace. Je me blottirais soigneusement sous la couette en veillant à ce qu’aucune partie de mon corps ne subisse le courant d’air du velux, je pousserais le chat de mon oreiller sans réussir à l’en déloger, je m’enfoncerai dans des rêves incohérents après l’avoir caressé d’une main très lourde en regardant les nuages défiler derrière la vitre. Je me réveillerais sans me réveiller vraiment, un peu fatiguée mais pas trop, je déjeunerais d’un café au lait avec un sucre et demi, d’oursons au chocolat, et d’un verre de jus d’orange.
Je ne savais pas que :
Je buterais contre quelque chose en avançant à tâtons dans le hall à la recherche de la lumière vendredi soir. Après avoir appuyé sur l’interrupteur, je découvrirais un adolescent de 13-14 ans allongé, recroquevillé contre les poubelles, son sac à dos sous la tête et du vomi juste à côté. Je le reconnaitrais. Il habite au sixième étage avec sa mère, celle qui me déteste parce que j’ai mis dix jours à installer une plaque à mon nom sur la boîte aux lettres quand je suis arrivée dans l’immeuble. Un an après elle est toujours désagréable avec moi, les gens qui font des fixations de ce type m’effraient. Son visage respire la frustration, autant que sa démarche coincée, son parfum me donne mal à la tête quand je la croise. Elle appelle toujours l’ascenseur 10 minutes avant l’heure de partir à son travail, je l’entends s’affairer derrière la porte entrouverte et je me fais parfois un plaisir de prendre seule l’ascenseur qu’elle a si gentiment appelé pour moi, en évitant de le renvoyer au sixième, cela va de soi. Elle a une voix désagréable quand elle engueule sa fille le matin avant de l’amener à l’école. Elle fait partie de ces gens qui sont des sponsors ambulants : la marque de luxe affichée sur le tissu qui recouvre sa peau osseuse et desséchée. Je suis bien contente de ne plus l’avoir pour voisine à partir de la semaine prochaine. Je remuerais doucement l’ado ivre mort pour vérifier qu’il est en vie. En dépit de ses borborygmes, je réussirais à lui expliquer qu’il serait sans doute mieux dans son lit. Je le porterais jusqu’à son appartement et je partirais après avoir appuyé sur la sonnette. En tournant ma clé dans sa serrure, j’entendrais les hurlements maternels et je me demanderais si je n’aurais pas mieux fait de laisser le fils là où il reposait. A côté de mon nouvel immeuble, je croiserais une vieille dame tenant en laisse un caniche boiteux très mal en point. Elle me dirait : “r’gardez-moi ça comme il avance vite, ah si j’lâchais la laisse il s’rait déjà à la maison, y court y court, son maître il lui met pas d’laisse, mais hé on a toujours peur quand c’est pas à vous hein”, j’acquiescerais à cette grande vérité. Je serais très amusée en regardant s’éloigner le vieil animal qui avance difficilement et tout aussi lentement que sa maîtresse provisoire. Dans le métro, j’entendrais deux gamines se vanter d’avoir pris des substances illicites la nuit d’avant, puis ressasser longuement leurs douleurs existentielles (éloge du suicide et du parricide parce que no futur tout ça). Je penserais “ptites connes” avant de me souvenir que j’ai également été une ptite conne au même âge, plutôt fière de ses expériences chimiques, se baladant avec des T-shirts à slogan punks, et disant du mal de ses méchants parents incapables de la comprendre. Je me mettrais à pleurer à 14 h 28 en écoutant une amie en détresse, celle que j’essaierai ensuite de consoler avec un disque, des bonbons et des petits cadeaux. J’éclaterais de rire à 15 heures 56 en parlant avec une passagère de bus complètement folle mais si je retranscris le dialogue ici ce texte sera beaucoup trop long (déjà que…), alors disons juste qu’il était question d’hommes nus possédant deux pénis, de nuages dans le ciel à cause de la fumée de cigarette, et de révélations importantes sur la prochaine venue de la fin du monde. J’écouterais, surprise, 10 personnes s’exclamer : “non mais ça ne va pas, or de question que tu le revois, t’as vu le mal qu’il t’a fait, rien que pour les insultes et la façon dont il t’a trahi à la fin, non mais à quoi ça t’avancerait franchement, qu’est-ce que tu veux prouver ?” Bah rien, peut-être que je n’aime simplement pas perdre les personnes ayant fait partie de ma vie, et puis un homme avec lequel on a passé plus d’un an ne peut pas être condamné à cause des derniers mois, et tout le monde peut changer et… “Non Junko, les gens ne changent pas.” Alors je prendrais ma décision finale, puisqu’à lui je ne peux plus lui faire confiance alors qu’à vous, si. Je repenserais à mes premières soirées avec eux, chacun assis sur son petit coin de chaise sans que le ton ne monte jamais, quand nous nous contentions de parler de l’Ecole et de ce que nous ferions après. Maintenant, ça parle cul, musique, cinéma, ça crie et ça pouffe, ça dit n’importe quoi, et c’est vraiment agréable. Je partirais dans de longs fou-rires en lisant à haute voix les passages d’un livre posé sur la table, je ferais le clown en provoquant des rires autour de moi. Je manquerais m’étaler en vélo dans la rue et je me sentirais un peu dégrisée de l’alcool mais encore enivrée par cette excellente soirée. Dans mon lit, les paupières closes, je frissonnerais en sentant sa main caresser du bout des doigts ma joue, mes bras et mon dos, son souffle mentholé sur ma nuque. Je l’entendrais changer la fin triste d’un conte que j’ai inventé pour en faire une histoire où tout finit très bien. Je n’y croirais pas du tout, mais je serais rêveuse malgré tout. Il y aurait deux cafés et deux verres de jus d’orange sur la table ce matin.