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Mais ce qui est sacrément certain, c’est qu’on peut en raconter l’histoire

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« La vie consiste à traverser un champ de mines sur la pointe des pieds. On ne sait jamais ce qui va arriver et, si vous voulez mon avis, on n’a pas tellement prise non plus sur ce qu’on laisse derrière soi. Mais ce qui est sacrément certain, c’est qu’on peut en raconter l’histoire et se casser la tête à essayer de la raconter juste. »*

Le 1er avril 2019, mon fils m’offrait ce bouquet à la sortie de l’école. Les fleurs avaient été ramassées dans la cour de récré et le parc de jeux voisin de l’établissement. Il doit encore y avoir des arbres fleuris entre les toboggans et les tourniquets désertés. D’ailleurs, tous les enfants continuent probablement de grandir, dans l’intimité des ménages confinés.

Cependant, l’apparente sécurité du quotidien vacille, plus ou moins pour chacun. Certains n’ont pas attendu l’arrivée d’une pandémie pour redouter les jours d’après. Je fais plutôt partie des privilégiés car, depuis longtemps déjà, je ne suis plus en guerre contre qui ou quoi que ce soit. Si jamais il y a des mines autour de moi, la plupart du temps je ne les perçois pas. Je ressens de la tristesse et de la colère lorsque je consulte les cartes et les chiffres de l’épidémie, mais je n’ai jamais peur pour moi. Pourtant, personne ne sait vraiment où se posent ses pieds (ni ses mains).

Le minot se demande s’il reverra son « amoureuse » à l’école, ses grands-parents cet été, et si son monde à lui sera encore vivant après. Évidemment du haut de ses huit ans et demi, ses habitudes sont chamboulées et son sommeil parfois troublé. Mais il grandit si bien qu’il m’arrive de ressentir de la fierté. L’école à la maison s’avère nettement moins difficile que ce que j’imaginais. L’ancien élève dissipé est devenu beaucoup plus sage au fil des années, en classe et dans notre salle à manger.

Oui, à dire vrai, ici, voilà longtemps que ça va, mais je ne sais plus très bien où les autres vont. Mon fils retournera-t-il à l’école avant l’automne ? Ma mère toujours essoufflée, ex-victime d’AVC, sera-t-elle encore là ? Et je ne parle pas des isolés, des étrangers, des mal-lotis, etc., pour lesquels l’avenir, tel qu’il est partiellement écrit dans les textes de loi, s’annonce plutôt pire que ce qui était.

Pour ma part, professionnellement, je ne m’ennuie pas (assez). Mais j’aime mon métier et j’en vis, c’est une chance inouïe. D’ailleurs, je me souviens… À l’automne 2015, Pôle Emploi m’avait obligée à consulter un bureau d’étude pour analyser la « faisabilité de mon projet ». Mon interlocuteur n’y croyait pas, mais il était d’accord avec moi : « En l’absence de rentrée d’argent, vous n’avez rien à perdre à essayer ». Depuis, son entreprise à lui a fait faillite. Isn’t it ironic?

Lorsque ce sera fini, je pourrai de nouveau écrire, donc travailler, en silence. En journée, les cris, les rires et les histoires inventées par l’enfant ne pénètreront plus à travers la porte fermée de mon bureau. Quant au reste… Des amis, ici, je n’en avais (quasiment) pas de toute façon. Des sorties, j’en faisais peu, des voyages encore moins. Bref, en confinement, je suis presque dans mon élément.

Je n’avais plus écrit dans cet espace depuis juillet 2018 mais entre-temps, j’ai créé un compte Instagram. Quand je repasse parfois mes clichés du bout du doigt, je me sens réconfortée par le désordre coloré qui s’en dégage, loin des monothématiques et des images lisses. Avant comme pendant le confinement, j’aime mon existence parce que je la vis avec mon petit et mon grand compagnons. Cette famille, que j’ai tant hésité à co-fonder est, finalement, mon meilleur antidote à l’absence de prise sur les évènements.

Même si nous ne savons pas où, nous y allons ensemble tous les trois, entre confiance réciproque et vigilance partagée. Je n’ai même pas besoin de marcher sur la pointe des pieds parce qu’ils sont à mes côtés, attentifs et éveillés. Leur présence m’insuffle un rassurant sentiment d’immuabilité, malgré les temps tourmentés.

* Siri Huvstedt, Un monde flamboyant, Actes Sud/Leméac, 2014, p. 21-22

4 commentaires sur “Mais ce qui est sacrément certain, c’est qu’on peut en raconter l’histoire

    1. Je suis heureuse de savoir que tu ressens la même chose. Mine de rien, c’est une période susceptible d’exacerber les tensions et les problèmes sérieux pour les couples et les familles.

      L’expression « jolie famille » vous va très bien aussi !

      Je vous embrasse également

    1. Oh je suis contente de te revoir par ici ! 🙂

      Je voulais signaler l’existence de ce compte Instagram depuis, euh, sa création le 21 décembre 2018… Hum. Je le mentionne au moment où j’y suis moins, mais j’ai prévu d’y retourner. (Cela dit, je prévoyais aussi de réécrire un article de blog beaucoup plus tôt).

      Oui, décidément, cela passe à une vitesse vertigineuse.

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