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« On oublie très vite tu sais, la douleur, l’hôpital et le reste. D’ailleurs, la preuve, c’est qu’on recommence. »*

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Mon bébé aurait dû naitre dix jours plus tôt, donc mon accouchement sera déclenché une quinzaine d’heures plus tard. Moi et mon amoureux, nous suivons une sage femme dans les couloirs de la maternité. Avant d’ouvrir la porte d’une des chambres, elle nous avertit, gênée : “il y a dedans une jeune femme qui a été déclenchée et qui souffre énormément, mais cela ne doit pas vous inquiéter, sa situation n’a rien à voir avec la vôtre. On va la transférer ailleurs d’ici 10 minutes”. Je ne la remarque pas tout de suite car elle s’est dissimulée sous les draps. Je l’entends avant de la voir. Elle gémit entre deux hoquets, elle hurlerait sans doute si ses sanglots ne lui coupaient pas le souffle. Autour d’elle, trois individus – sans doute ses parents et le père de son enfant – essaient de la rassurer. Ils lui murmurent des paroles dans une langue latine inconnue. J’ai un désagréable sentiment de voyeurisme face à cette situation intime… Mon amoureux a la même réaction que moi et nous sortons simultanément : “on va se promener dans la cour en attendant…”

Il manque des espaces verts dans les allées qui bordent l’hôpital, ne serait-ce qu’une pelouse ratatinée et un banc factice, un habillage quelconque, n’importe quoi pour alléger cet espace rempli de bâtiments rectangulaires bétonnés, de goudron et de camions d’ambulanciers. Nous errons sans savoir que dire ni que faire dans ce curieux contexte. Je pourrais surement trouver une remarque phatique – “phatiquante” – à faire, mais pas avec lui, pas avec celui qui rend les silences acceptables… “Elle doit être partie maintenant”, dis-je au bout de vingt minutes. Il me raccompagne. Les crampes dans mon ventre deviennent de plus en plus gênantes, alors au moment de lui dire au revoir j’ajoute : “reste quand même près du téléphone… malgré ce que nous a dit la sage-femme, je suis presque sure que je vais accoucher dans la nuit”. “De toute façon je sais que je n’arriverai pas à dormir” me répond-il.

Comme prévu, il y a une autre femme dans la chambre. Elle est cramponnée à son téléphone portable. Elle parlera dans le combiné durant les deux heures suivantes, ne s’interrompant que pour composer un autre numéro. D’après son ton de voix et les termes qu’elles utilise, elle contacte tout son réseau : familial, amical et professionnel (dans cet ordre là). Le discours est toujours plus ou moins le même : “je suis à la maternité car je risque d’accoucher prématurément, mais surtout ne vous inquiétez pas pour moi”. “Ne vous inquiétez pas pour moi” c’est sa ponctuation, l’expression qui remplace tour à tour la virgule, le point virgule et le point, elle la répète encore et encore… tout en donnant énormément de détails préoccupants : le faible poids du bébé, son peu de chances de survie, des saignements durant la journée, des contractions anormales… Je trouve ce comportement contradictoire, car finalement ses propos pourraient se résumer ainsi : “inquiète toi pour moi mais ne t’inquiète pas pour moi mais inquiète toi quand même mais ne t’inquiète pas…” Est-ce un moyen pour elle de se rassurer ?

Si oui, je constate qu’elle a un comportement opposé au mien. Lorsque j’ai dû me rendre aux urgences, j’ai prévenu mon entourage professionnel pour ne pas avoir à mentir pour justifier mon absence, j’ai averti le père mon compagnon parce que c’était tout de même la moindre des choses, mais les amis et les parents n’ont été informés qu’après le verdict. En partie pour ne pas les inquiéter inutilement, mais en partie aussi à cause de cette vieille superstition qui me pousse à croire que tout propos négatif énoncé oralement va se réaliser. Alors que je suis la première à imaginer les pires issues possibles (y compris les plus improbables), alors qu’il ne me viendrait jamais à l’idée de prendre un médicament sans lire la totalité des effets secondaires, y compris quand la liste est aussi longue qu’une journée sans musique (à dire vrai si la notice fait plus de deux pages, je renonce à prendre le remède), je vais systématiquement dire à haute voix les scénarios positifs.

Heureusement pour mes oreilles lasses de l’entendre rabâcher le même texte, la téléphoneuse décide enfin de raccrocher en voyant arriver les plateaux repas. C’est sans doute le seul instant de connivence entre ma partenaire de chambre et moi : un regard consterné face à nos assiettes où s’alignent : une salade jaunâtre sans sauce, un poisson blanc nature accompagné d’un amas verdatre et filandreux (qui s’avère être, à la première bouchée, une platrée de haricots verts bouillis dépourvue de sel), et un kiwi. Elle commente : “un kiwi le soir, ils veulent nous empêcher de dormir”. Dans la liste des excitants, le kiwi ne me vient pas spontanément à l’esprit, c’est plutôt son absence de maturité qui me dérange… Je repose le plâteau à côté du lit, puis j’entreprends de tromper la douleur en utilisant successivement mon baladeur, les romans que j’ai amenés, les films que j’ai transférés sur mon ordinateur portable avant de venir… non, rien n’y fait. Dans les cours de naissance, on m’a répété qu’il fallait bouger pour rendre les contractions tolérables, alors j’entreprends une virée – oh combien excitante ! – dans les couloirs de l’hôpital.

Tout en marchant, je relis les brochures que je connais déjà, épinglées sur les murs : “L’allaitement maternel est ce qu’il y a de mieux pour votre enfant”, “La bronchiolite et les moyens de l’éviter”, “Comment prévenir le risque de mort subite du nourrisson”, “Le drame du bébé secoué”… Finalement, j’interpelle la sage-femme que j’ai vue précédemment : “vous ne voudriez pas me réexaminer s’il-vous-plaît ?” Elle prend un air qui se veut rassurant mais que je trouve condescendant : “vous savez, les contractions peuvent durer très longtemps, surtout pour un premier enfant, alors tant qu’elles ne se sont pas rapprochées…” Je lui coupe la parole : “…Mais elles sont rapprochées justement !” (en tant que jeune femme bien élevée, je n’ai pas l’habitude d’interrompre autrui, mais là j’ai distingué ce léger mouvement de talons qui annonce la fuite indigne – non assistance à personne en danger – face à une malheureuse femme enceinte). Elle persiste : “j’ai vérifié tout à l’heure, la situation n’a pas pu changer aussi rapidement.” Je la supplie : “si ce n’est pas encore le moment, je promets de ne plus vous déranger de toute la nuit”.

Quelques minutes plus tard, je demande : “alors, qu’en pensez-vous ?” “Alors j’en pense que vous n’aurez pas besoin de déclenchement car on va vous transférer en salle d’accouchement immédiatement, vous aurez un bébé cette nuit. Si vous voulez prévenir votre mari, il faut lui demander de venir maintenant” (je ne suis pas mariée mais j’ai constaté, à partir du moment où mon ventre est devenu proéminent et jusqu’à maintenant, qu’il était impossible d’avoir un bébé sans être mariée… je peux répéter continuellement “mon compagnon”, ou “mon concubin”, tout le monde s’obstine à dire “votre mari”, j’ignore pourquoi). “Mon mari” arrive dix minutes après, tout essoufflé. Cette course pour me rejoindre a un petit côté “cliché cinématographique” que je trouve émouvant. Il me demande bêtement : “ça va ?” Euh… En réalité, je suis partagée entre la douleur et son analyse : comme c’est étrange de souffrir aussi intensément de manière intermittente, de ressentir un tel contraste entre l’instant où la contraction se produit, et l’instant où elle cesse. Lorsque je me sens perdre connaissance, je me résous à réclamer la longue aiguille. Ensuite je m’excuse auprès de l’anesthésiste : “je ne peux pas m’empêcher de trembler, ça doit être difficile de me piquer”. “J’ai l’habitude, ne vous en faîtes pas”, rétorque-t-elle en souriant. Sa voix est réconfortante.

Malgré tous ces tuyaux et cette position somme toute gênante (mais certes, exhiber ma nudité durant 7 mois a fini par me rendre assez blasée et impudique malgré mes nombreux complexes), je suis bien, quelque part dans une brume réconfortante. Le Nirvâna – en tant que détachement absolu – doit ressembler à une péridurale, me dis-je en plânant. Je n’arrive pas à savoir à quelle vitesse passe le temps donc je demande régulièrement l’heure à mon amoureux. Celui-ci somnole, quand il ne fait pas des remarques à propos de l’intensité des contractions, apparemment fasciné par cette courbe lumineuse qui me laisse indifférente. Néanmoins il s’écoule assez peu d’heures finalement, à peine 4 heures, jusqu’au moment où une sage femme s’écrit : “c’est super, continuez ce que vous faîtes, parfait, super.. encore un effort… oui super…!.” Je trouve qu’elle en fait trop. En l’entendant, j’ai l’impression saugrenue d’être un coureur athlétique encouragé par son fan club à quelques mètres de l’arrivée. Cependant, je me rappelle de ces témoignages dans lesquelles une personne en blouse blanche vociférait : “mais poussez ! je vous dis de pousser !”, et je la remercie d’être un coach sportif. Mon amoureux me dira ensuite : c’était super rapide, enfin pour toi ça a dû être long mais en vrai c’est dingue comme ça avait l’air simple et rapide”. A la famille il répètera avec une fierté amusante, comme un gamin admiratif devant sa meilleure copine : “elle a été géniale, elle lui a donné naissance vachement vite”.

J’entends : “54 cm, 3,640 kilos”. Elle pose mon bébé sur ma poitrine sans soulever ma chemise, puis déclare : “je vous laisse vous rencontrer en toute intimité” avant de refermer la porte. J’aimerais le sentir contre ma peau mais je n’ose pas le déplacer par peur de lui faire mal. Mon amoureux est également paralysé… Il tend la main vers la tête du bébé, hésite, abandonne. C’est si petit et si mou, ça a l’air d’être en caoutchouc…

La chaleur est insupportable. Le cathéter me brûle le bras de l’intérieur, je meurs de faim, j’ai soif et les effets de l’anesthésie s’atténuent… Je ne me sens pas très bien. “Je vous laisse vous rencontrer en toute intimité” : l’intention était louable, mais elle est longue, cette rencontre intime… D’autant qu’à dire vrai, une matinée entière ne suffirait probablement pas pour créer la moindre intimité dans ce contexte. Nous sommes deux adultes épuisés, à côté d’un bébé que nous osons à peine effleurer maladroitement par peur de le blesser, avachis sur un lit impersonnel entouré de tuyaux.

Environ un siècle après nous avoir quitté, elle resurgit enfin : “comme tout s’est bien passé, nous pouvons vous mettre dans le Pôle physiologique*, enfin si ça ne vous dérange pas”. Franchement je me fous complètement de l’endroit où je vais aller pourvu qu’il y ait un lit, de quoi manger, et qu’il fasse moins de 40 degrés. “Non ça ne me dérange pas”.

C’est seulement en poussant le chariot-berceau sur lequel elle a posé mon fils tandis, qu’aveuglé par cette lumière inconnue il cligne des yeux à proximité des fenêtres, que je commence à l’observer réellement : ses cheveux bruns étonnamment nombreux pour un nouveau-né, ses très longs cils, sa bouche pulpeuse et rosée, ses poings fermés… Par peur de la facilité et des clichés, je n’ose pas dire ce que je m’exclame intérieurement mais mon amoureux s’en charge à ma place : “qu’est-ce qu’il est beau ! Et en plus il est de plus en plus beau !” (à mesure que son visage se défroisse, que ses yeux s’ouvrent…), puis il rit, un petit rire forcé pour s’excuser de sa niaiserie. Moi aussi, je le trouve sublime, et j’en suis surprise.

Un mois plus tard, lorsque j’expliquerai à une amie que durant ma grossesse, je redoutais de trouver mon bébé laid à sa naissance ou de ne pas l’aimer, elle rétorquera : “mais quelle drôle d’idée ! On est toutes folles de nos bébés !” Euh… non, pas forcément.

J’avais en mémoire des articles de (pseudo) psychologie : l’histoire de l’opposition entre le bébé imaginé et le bébé qui naît, l’amour maternel fantasmé et la déception de certaines mères face à la réalité. Cependant, au fond, cet espect là de la grossesse ne me concernait pas car j’étais absolument incapable de m’imaginer dans la situation d’une mère. J’ai essayé à plusieurs reprises de me représenter mon quotidien avec un bébé… en vain. A mesure qu’un personnage avec un comportement maternel se dessinait dans mon esprit, ma perception de moi disparaissait derrière cet(te) étranger(e). D’ailleurs, aujourd’hui encore, être désignée comme une “maman” par autrui suscite un fort sentiment d’irréalité.

C’était probablement en lien avec mon rapport aux bébés en général : ils sont moches, ils bavent, ils sentent tantôt le vomi, tantôt le lait caillé, tantôt la merde ; ils braillent, ils font un peu peur avec leur crâne chauve et leurs gencives sans dent. Je n’ai jamais eu de photos d’Anne Geddes dans mon agenda, ni de posters d’homme torse-nu tenant un bébé dans ma chambre, contrairement aux amies qui m’entouraient durant mon adolescence. Les vidéos toutes mignonnes mettant en scène des bébés provoquent au mieux ma consternation.

Ceci dit, ma crainte du bébé monstrueux mal-aimé était essentiellement liée aux phrases que ma grand-mère maternelle avait prononcées quelques années plus tôt. Je ne me souviens pas clairement du contexte… Je suppose que c’était sur la terrasse provençale, quand le pastis de l’apéro au soleil commence à faire son petit effet… En fait non, ma grand-mère maternelle était la seule de la famille à ne boire que du whisky (“sans glaçon, ça gache le goût, et les gens qui mettent du coca dedans c’est scandaleux”). Je me rappelle qu’elle s’est adressée à moi sans hésiter, sur le ton de la confidence malgré la présence de son mari, de son gendre et de sa fille : “quand on a mis ta mère dans mes bras, je me suis dit : “mon Dieu qu’elle est laide ! Dés que je sors de la clinique, je la jette dans une poubelle ! Finalement je n’ai pas osé, mais elle est restée hideuse très longtemps. Elle était tellement vilaine que j’ai préféré prendre la pillule pour ne pas avoir d’autre enfant. Pourtant à mon époque, prendre la pillule c’était plus difficile qu’aujourd’hui…”. Certains ont souri nerveusement. Ma mère a regardé ailleurs, résignée. J’ai supposé qu’elle avait déjà entendu cette histoire de nombreuses fois, et j’ai eu honte pour ma grand-mère. C’est probablement une caractéristique familiale même dans une famille aussi étriquée que la mienne : chacun se sent partiellement responsable des propos de l’autre, chacun a une influence ne serait-ce qu’inconsciente.

Plus récemment c’était ma “belle-mère” qui, l’air de rien, me parlait ainsi de mon amoureux : “quand il est né, je l’ai trouvé très laid, je le lui ai dit d’ailleurs, il le sait. Heureusement ça s’est amélioré ensuite. Mais pour ce qui est du caractère tu as choisi le plus réussi de mes fils, tous les autres ont des tares”.

Pour toutes ces raisons, je fais partie de cette minorité (?) de mères qui n’espérait rien. Je n’ai jamais cru à l’instinct maternel. Et par dessus tout, je méprise les parents qui se vantent – tout en geignant – de se sacrifier pour leurs enfants. Pourtant j’ai admiré et adoré mon fils dans l’heure qui a suivi sa naissance, j’ai immédiatement su que sa perte serait inadmissible. A dire vrai, je reste incapable de m’expliquer pourquoi, pourquoi pas elle et pourquoi moi, la mère inconcevable…

Nous nous arrêtons devant la chambre 212, laquelle n’a à voir avec celle de la veille. C’est une chambre d’hôtel pourvue d’un matelas à langer et d’un tiroir rempli de couches. Le petit bouton rouge d’urgence est quasiment invisible, caché derrière le lit. D’ailleurs la puéricultrice qui m’accueille m’explique qu’il est inutile : “vous avez été admise ici car normalement il n’y aura aucune complication, rien à soigner. Ici ce n’est pas comme dans le reste de l’hôpital, on n’appuie sur ce bouton qu’en cas d’extrème urgence. Il y aura toujours quelques sage-femmes et des puéricultrices dans le couloir en cas de besoin”.

Dans un lieu dit “physiologique”, c’est en balbutiant que j’annonce ma décision de ne pas allaiter, mais finalement personne ne me tient de discours culpabilisant. Les femmes en blanc, chaleureuses et attentives, frappent à la porte avant d’entrer et proposent de repasser s’il y a un visiteur. Même si elles appliquent la “proximité mère-enfant” (autrement dit : empêcher la mère de se reposer pour son plus grand plaisir masochiste), ce sont elles qui me proposeront de le garder à la nursery le troisième soir après 48 heures sans sommeil (mon bébé ayant décidé de dormir durant toute la journée et de pleurer tant qu’il fait nuit). La nourriture servie pourrait être le seul indice permettant de deviner qu’il s’agit d’un hôpital, si mon amoureux n’avait pas décidé de m’apporter mes repas. Il arrive tous les matins pour participer au biberon et au bain, puis il repart cuisiner et revient avec des mets en sauce extraordinaires accompagnés d’excellents vins. Il ne me manque guère que ma cigarette d’après le repas pour me sentir comme avant et comme chez moi.

Le quatrième matin, jour du départ, tandis que mes parents font le trajet depuis le bord de la Mediterranée pour venir nous récupérer une heure plus tard, une puéricultrice m’annonce : “votre bébé a perdu du poids tous les jours. Si jamais il a encore perdu du poids par rapport à hier, nous serons obligés de vous garder lui et vous jusqu’à ce qu’il se remette à grossir”. Comme elle me voit devenir livide, elle précise : “mais normalement tout ira bien, je vous dis ça au cas où”.

Vient le moment du bain – mes mains tremblent, je dois m’y reprendre à deux fois pour l’habiller – suivi de la pesée qui me propulse dans un jeu télévisé. Derrière la vitre, les spectateurs mes parents nous regardent. Sous leurs yeux attentifs l’animatrice la puéricultrice clâme : “bon, le record à battre c’est 2,250 kilos et il fait… (dans ma tête, j’entends la petite musique pour créer le suspense)… 3 kilos 100 ! Il a réussi !” Là j’envisage de faire une bise au bébé et aux spectateurs avant de remercier ma famille et mes amis… enfin presque. En réalité, j’essaie surtout de respirer normalement après avoir frolé la crise de nerfs.

Nous mettons énormément de temps à quitter la pièce. Une femme de ménage chargée de nous pousser dehors commence à s’énerver : “il y a une maman qui attend et je dois nettoyer avant”. Oui, j’ai une pensée compatissante pour cette maman qui patiente péniblement, probablement dans l’intimité d’une salle de naissance avec son bébé en caoutchouc sur la poitrine et son cathéter dans le bras, mais nous n’arrivons pas à comprendre comment fonctionne le siège auto qui fera office de premier berceau. Ah ça y est mais oups, j’ai failli partir sans mon ordinateur portable.

A l’arrivée dans mon appartement en partie vidé par le prochain déménagement, nouvel instant de panique : personne n’a pensé à acheter de l’eau minérale ni de la poudre pour faire un biberon… Quelque peu perdus, les nouveaux parents.

Je regarde rêveusement le minuscule bureau dans lequel le berceau d’appoint a été posé, sous l’ordinateur de mon compagnon… ce petit lit est incongru dans ce décor. J’envie ces parents qui ont pris le temps d’aménager patiemment la future chambre de leurs bébés. Nous, nous ne savons pas encore où nous allons vivre, mis à part que ce sera quelque part à St-Etienne, ville inconnue dont le nom m’évoque L’Un Des Endroits Les Plus Déprimants Au Monde.

Dix jours plus tard, mes beaux-parents déplacent les derniers cartons. Assise sur la moquette, j’échappe à cette corvée grâce à mon amoureux qui a su s’opposer à sa mère autoritaire : “non, elle ne doit pas faire d’effort après un accouchement et de toute façon elle s’occupe du bébé pendant ce temps”. Ce dernier dort paisiblement contre moi, Il sursaute de temps en temps, mais ils se rendort vite grâce à mes bras pluis puissants que ceux de Morphée. Je ne suis pas soulagée en refermant définitivement la porte du 41 rue des Tables Claudiennes. Déménager ne m’a jamais procuré de sentiment plaisant de toute façon. D’ailleurs peut-être est-ce caractéristique des “déracinés” ?

Dans la voiture, j’essaie de contempler ma ville adoptive préférée pour me remémorer les lieux dans lesquels j’ai vécu durant sept ans, mais Lyon refuse de se montrer. Il fait nuit et il pleut. Je discerne uniquement les phares des voitures, le brouhaha d’une station de radio parasitée par la distance et la voix de mes beaux-parents. Mon amoureux a dû leur dire que j’étais très attachée à Lyon, alors ils s’efforcent de me rassurer : “Tu vas voir, l’appartement est très grand, il y a plein de rangements, Tu vas très vite te faire des amis, au parc pour enfants tu rencontreras d’autres mamans, dans les commerces aussi….” Ils veulent me rassurer, mais ce faisant ils m’infantilisent. Ils me prennent pour une gamine qui va passer sa première année en maternelle : “tu vas voir, l’école est jolie, la maîtresse est gentille et tu vas avoir plein d’amis !”J’acquiesce malgrés tout, poliment, distraitement. C’est alors que je reçois ce sms : “joyeuse nouvelle vie !” Sans comprendre pourquoi, je sens des larmes couler, peu abondantes – pas de quoi rougir vraiment mes yeux – sans sanglot, sans déformation de mon visage… des pleurs sans signification que personne ne perçoit…comme un avant-goût des semaines à venir.

* m’a dit, pendant un cours de naissance, une femme qui attendait son deuxième enfant. Alors j’écris avant d’oublier (je n’ai aucune envie de recommencer).

** Le Pôle physiologique de la Maternité Croix-Rousse. Le personnel a été tellement réconfortant que je lui fais de la pub, surtout après les nombreux témoignages négatifs que j’ai lu concernant d’autres maternités.

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