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De l’évidence amoureuse et de la magie triste des étreintes d’aéroport

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Depuis la veille, j’étais surtout anxieuse. C’était une anxiété diffuse, sans cause apparente, peut-être celle de l’évènement imprévu ou du non évènement tant attendu, alors j’avais trois heures d’avance quand je suis arrivée devant l’aéroport. J’ai dû faire des kilomètres sous les néons dans la galerie marchande, contemplant des objets que je n’avais aucune intention d’acheter, avant de me résigner à m’asseoir sur une chaise métallique inconfortable face au ciel. Dans l’avion – une demi-heure de retard – j’ai gardé les yeux fermés sans trouver le sommeil. Le rythme des battements de mon cœur dominait la musique que j’écoutais. A l’atterrissage, j’ai encore dû franchir trois escaliers et de nombreux couloirs… Je marchais de plus en plus vite en me demandant combien de pancartes “Exit” allaient encore m’accompagner jusqu’à l’issue du labyrinthe.

En sortant de la zone réservée aux passagers, j’ai eu une réminiscence de l’époque où je faisais des trajets France-Afrique avec une pancarte autour du cou “mineure accompagnée”, aux côtés d’une hôtesse de l’air, une grande dame mince très gentille qui me prenait parfois en photo avec un polaroïd (il paraît que j’étais mignonne autrefois). Ces jeunes femmes vantaient mon calme malgré des vols très longs et me prenaient en exemple (en réalité, elles ignoraient que la peur me rend systématiquement silencieuse). A l’arrivée, remplie d’angoisse (”et s’ils m’avaient abandonnée ?”), je mettais toujours longtemps à repérer mon père ou ma mère…

Mon amoureux, en revanche, je l’ai vu immédiatement. Il a couru vers moi, et l’évidence renaissait déjà. “Do you have a lighter please?” ai-je demandé au fumeur croisé en franchissant les portes automatiques. La première taffe m’a tourné la tête, à moins que ce ne soit ses bras autour de mes épaules… En tout cas je suis entrée dans la navette en titubant légèrement, avec un sentiment d’irréalité qui a mis plusieurs minutes à s’estomper. Dans le bus, nous avons parlé tout le long du trajet, sans rien dire d’important, pourtant l’évidence devenait flagrante à mesure que nos vies parallèles se recroisaient.

L’évidence est bizarre et inracontable. C’est le sentiment qui pourrait faire croire à cet idéal absurde de l’âme sœur, même pour quelqu’un comme moi qui ne crois qu’en l’éphémère et en la putréfaction des corps sans âme. C’est un dialogue, un emboîtement parfait, une complicité… Y compris dans “la lose, notre spécialité” comme il dit : quelqu’un me rattrape en me criant que j’ai oublié mon argent dans le distributeur – je suis souvent involontairement généreuse – tandis que le patron d’un Pub lui rend son portefeuille abandonné sur un comptoir… “Pas un pour sauver l’autre”, avouons-nous en chœur, mi-affligés mi-soulagés. C’est aussi cet émerveillement réciproque face à la carcasse noircie d’une voiture en plein milieu de la route : “qu’elle est belle dans cette rue là, avec cette perspective !”, ce regard qui signifie “tu sais hein – oui je sais” lors de ce concert, ses mains qui enserrent ma taille exactement au bon moment lorsque les guitares résonnent et que les lumières stroboscopiques impriment des éclairs sous mes paupières… Et le reste, de l’anecdotique à l’inoubliable, sans oublier l’introuvable ailleurs.

L’évidence n’avait pas vraiment disparu avec son absence, mais elle s’était atténuée. Comme un ancien croyant dont la foi s’était délitée et qui a soudain une révélation, comme cette nostalgie face à un lieu passé où sont contenus des souvenirs et des racines – celle que j’ai vue dans le regard des autres – comme cette émotion quand je retrouve la mer alors qu’elle ne me manque pas réellement dans ma ville aux deux rivières… C’est simplement la certitude d’être de nouveau à sa place, y compris quand celle-ci était dissimulée sous le temps ou les doutes.

J’avais en tête la dernière phrase que j’ai lue d’elle : “tu vas connaître la magie des bisous d’aéroport” et elle avait raison, mais en passant mes doigts sous le tissu rêche de son pull pour sentir sa peau, pendant que mes lèvres s’accrochaient aux siennes, à l’intérieur de la foule et entre les valises, je pensais : “la magie triste des étreintes d’aéroport” – et on se serre comme si c’était la dernière fois parce qu’on ne sait jamais : de loin rien n’est tangible… Il m’a murmuré “c’était la période difficile : deux mois sans se voir, maintenant on va se retrouver tous les quinze jours” ; j’ai acquiescé, les mots se pressaient trop pour être prononcés les uns après les autres. Comme à l’accoutumée – pudeur oblige – nous nous sommes dit au revoir avec des onomatopées… peu importe, le langage de nos corps remplaçait les discours.

J’ai quitté Dublin, avec un pull à capuche noir estampillé “Mogwaï”, un crayon du “Burlington Hotel” pour contenir mes cheveux emmêlés par le vent irlandais et les plaisirs nocturnes, un ticket d’embarquement “Dublin Airport Terminal 1″ et deux photos floues sur un téléphone portable : d’infimes preuves, presque rien, mais dans mes sens j’ai tout gravé, et si c’était possible je tatouerais sa voix, ses phrases, ces situations… Néanmoins la marque du ressenti est suffisamment profonde pour ne pas cicatriser avant la prochaine fois, je crois, j’espère…

Ce matin, quand je suis entrée dans le hall de l’endroit où je travaille, deux collègues bavardaient en me fixant. Je n’ai entendu que la seconde : “c’est peut-être le printemps qui lui fait ça”. Alors je lui ai demandé de quoi elle parlait. La première m’a expliqué “on se disait que tu étais rayonnante aujourd’hui, et je pensais que c’était le printemps qui te faisait cet effet”. J’ai souris – ce serait trop long à expliquer et ce n’est pas comme si ma vie vous concernait – avant de rejoindre mon sous-sol quotidien : je rayonne et malgré les doigts croisés, tout ira bien.

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