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“How I know your face, all the ways you move, you come in, I can read you. You’re my favourite book.”

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Quand Free interrompt notre conversation téléphonique pour la troisième fois consécutive – toujours au bout d’une heure et cinquante huit minutes – tu me demandes sur MSN “est-ce qu’on se rappelle ?”. Je réponds “oui, rappelle-moi…” Le téléphone sonne déjà, mais c’est en me servant du clavier que j’avoue “(tu me manques, en fait)”. A l’écrit et entre parenthèses, l’aveu est tellement plus facile, alors qu’il pourrait être hurlé en majuscules grasses…
Après avoir raccroché, l’oreille brûlante et le bras engourdi, je me dirige vers la fenêtre, afin de savoir s’il y a de la vie à l’extérieur de ce cocon enfumé… En dessous, l’homme fait deux pas sur chaque marche de l’escalier, pourtant ces marches sont étroites. On pourrait penser qu’il a de petits pieds, en fait il en a trois, le troisième est une béquille. Il est vieux et courbé. Je crains de le voir basculer en arrière à tout instant, tomber droit et raide. Même si son dos est voûté, je l’imagine chutant comme une planche, alors qu’il ressemblerait plus certainement à un accordéon…
En bas, les gens regardent tous en haut. En suivant leur regard, je comprends qu’ils observent un chaton, qui miaule en grattant avec sa patte la porte vitrée derrière laquelle il est enfermé. Ils disent “le pauvre il est enfermé”, “pauvre chaton enfermé”, “il est enfermé le petit chat”, tous répètent la même phrase les uns après les autres, comme s’ils ne comprenaient pas qu’ils partagent un sentiment identique, qu’aucun mot n’est nécessaire. Lorsque sa maîtresse remarque l’animal et l’accueille, la rue se vide rapidement. Les gens semblaient déçus, comme privés d’un divertissement. Sinon, ils auraient répété les uns après les autres “ouf le chaton est sauvé”, logiquement…
Quelques minutes plus tard, il n’y a plus rien à voir : l’infirme n’est pas tombé aujourd’hui, le chat est à l’abri. Cependant, la vieille dame, accoudée à son balcon, continue à contempler les escaliers vides, la rue vide, d’un œil tout aussi vide…
Je fais un demi-tour et me retrouve face à mon tapis de détritus. Depuis plusieurs semaines maintenant, j’escalade des poubelles, des cartons, des disques, des mégots, des bouteilles vides… Je le fais de plus en plus naturellement ceci dit, je ne marque même plus un temps de pause avant de lever haut la jambe. […] Je marche de long en large, désabusée, abandonnant chacune des activités que j’entreprends.
Je fais ce test aléatoire et, en découvrant que je suis Brian Jones, je me dis sans réfléchir “le seul point commun que je vois entre lui et moi, c’est qu’il est mort à 27 ans”, et puis “mais n’importe quoi !”
J’ai peur de cette douleur, à gauche dans ma poitrine, qui s’en va puis revient. Ce n’est pas un élancement, ça ne fait pas très mal, c’est simplement bizarre. Et je frotte ma peau à cet endroit là, alors que ça n’a rien d’une démangeaison, le mal est sous la peau, on jurerait qu’il s’est agrippé à mon cœur…[…]
La rue est noire et beige, avec un immense œil blanc qui m’éblouit sans produire de lumière. Je m’imagine enfilant mes bottes et mon manteau, bravant la nuit froide, prenant le métro, puis le train, sonnant chez toi, et te serrant dans mes bras… Dans ma rêverie, le trajet dure quelques seconde, et l’étreinte plusieurs heures, le temps de ressentir ta peau ton regard ton souffle… […]
J’hésite à saisir le téléphone, tentée de te rappeler, même s’il ne s’est rien passé depuis tout à l’heure… Il sonne à cet instant précis, et je souris en voyant ton nom sur le petit écran. Il y a désormais plus de silence que de mots, mais j’aime distinguer de loin la musique que tu écoutes, entendre la théière bouillir, sentir tes gestes, me les représenter, regarder le même mauvais film que toi simultanément et émettre des critiques d’une seule voix.
Ensuite j’ouvre cette page blanche et j’écris rapidement, presque en mode automatique en fait, car les cliquetis du clavier sont réguliers, sans interruption, hypnotisants et reposants… Les lettres noires se troublent, je ne cligne pas des cils afin d’accélérer la fatigue visuelle, parce qu’il n’y aura plus personne ni en bas ni en haut, et que je n’aurais d’autre choix que de rejoindre mon lit en espérant que le sommeil m’absorbera avant que je ne puisse prendre conscience de la solitude.

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