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Quel temps étrange, dit-elle à l’homme du banc. On dirait qu’il n’arrive pas à se décider. Octobre, dit-il typiquement octobre.*

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J’ai encore trop de choses sur le cœur. Elles remontent de temps en temps, l’air de rien, sous la douche, dans un métro, dans la rue… Toutes ces phrases que je voudrais avoir prononcées face à face avec lui juste avant le point final. Elles ne sont ni blessantes, ni douloureuses, ni réellement gênantes en fait, elles sont simplement entêtantes et me laissent une sensation d’inachevé. A cela, s’ajoute une impression de malentendus. Quand je relis sa dernière “prose”, je ne peux m’empêcher d’être en colère alors que, incontestablement, ce message est gentil. Il l’a écrit de manière à éviter toute animosité future, laissant la possibilité d’une amitié. D’ailleurs, c’est là qu’est le problème, d’une certaine manière… Il a tenté de faire de son mieux pour dire ce qu’il fallait, ce que j’attendais, et ce faisant il s’est totalement trompé parce qu’il s’est basé (comme d’habitude) sur sa propre vision des choses. Quand je donnais des cours de soutien scolaire, j’étais très agacé par un de mes jeunes élèves. Si, par exemple, je lui montrais la conjugaison du verbe “prendre”, l’instant d’après je le voyais de nouveau écrire avec application “nous prendons – vous prendez – ils prendent”. Je le savais par avance d’ailleurs, uniquement à la façon dont il observait le papillon sur le balcon pendant mes explications. Je cherchais tous les moyens d’obtenir son attention mais malheureusement, je ne pouvais pas me transformer en papillon. La colère ressentie à la lecture de son gentil message s’apparente à cette expérience de professeur : l’énervant sentiment de parler dans le vide. Je serais tentée d’écrire une dernière lettre pour expulser une fois pour toutes ces non-dits, mais celle-ci pourrait amener une réponse et nous n’en sortirions pas. Alors je suppose qu’il faut les digérer petit à petit…

En rangeant mon appartement, je continue à trouver ses affaires. A chaque fois qu’il venait, il laissait des vêtements et sa trousse de toilette pour les semaines suivantes. Il fut une époque où j’avais vraiment la sensation que deux personnes vivaient là. Je me souviens d’une période où trouver l’un de ses pulls suffisait à provoquer mes larmes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, je trouve et j’entasse dans la pile “à renvoyer au propriétaire” aussi mécaniquement qu’une ouvrière travaillant à la chaine dans une usine : à moi, à lui, à moi, à lui… C’est drôle, je n’ai jamais préparé ainsi mon retour quand j’allais chez lui. Comme si je m’y étais toujours sentie de passage, sans certitude de retrouvailles les jours suivant. Peut-être que je croyais beaucoup moins à notre relation que je ne (me) le prétendais, finalement.

Je mets du rimmel sur mes cils, du rouge sur mes ongles, je sélectionne mes vêtements, j’essaie de me rendre jolie en vue d’un rendez-vous… que j’annule au dernier moment. J’étais prête, je n’avais plus qu’à sortir, une main posée sur la poignée, l’autre sur l’interrupteur, j’allais faire un pas à l’extérieur pour le rejoindre dans un café et puis… J’ai lâché la poignée, remis le verrou et sorti mon téléphone portable. Le soulagement post annulation a été intense, comme si être pomponné pour rester chez moi annonçait une soirée extraordinaire. Je m’étais débarrassée de cette peur qui m’avait longtemps empêché de mettre durablement quelqu’un dans ma vie. J’avais réussi à lui faire confiance comme à personne d’autre. Et voilà, ça revient, l’inquiétude à l’idée d’introduire un intrus dans mon petit univers soigneusement ordonné : musique, écriture, lecture, soirées amicales… Et tous mes rituels, l’attachement aux objets et à la solitude. La peur de laisser entrer quelqu’un dans ma bulle et de ne plus pouvoir l’en expulser sans douleur. L’angoisse de donner de nouveau ma confiance à la mauvaise personne, car c’est vrai j’en fais toujours trop : vivre sans l’autre ou à travers l’autre. La première solution peut paraître plus ennuyeuse mais elle est sans danger parce que je n’ai besoin de personne pour m’évader sur des routes imaginaires, je m’auto-suffis très bien… Enfin, la prochaine fois j’essaierai d’aller à ce rendez-vous malgré tout, car ce visage et cette première conversation occupent agréablement mes pensées. You got to my head and your linger like a haunting refrain And I find you spinnin ‘round in my brain Like the bubbles in a glass of champagne**

Cette soirée annulée, je l’ai passé à lire trois livres en alternance : Inira Denejkina – Vodka-Cola, Olga Tokarczuk – Dieu, le temps, les hommes et les anges, Frode Grytten – Les contes de Murbolingen. J’avais pris ces ouvrages à la médiathèque l’après-midi même. J’ai choisi le premier parce que quelqu’un m’en avait parlé ; le second parce que ce titre me tentait à ce moment là de la journée ; le troisième en revanche je ne l’ai pas vraiment choisi. Il est tombé à deux reprises quand je tentais d’en extirper un autre de l’étagère. La deuxième fois, au moment de le reposer, je l’ai regardé. Titre inconnu, auteur inconnu, la page de couverture ne m’apprend pas grand-chose non plus… Quand j’hésite à lire un livre, je lis la première et la dernière phrase. Celui-ci commence par “J’ai quarante ans maintenant, le même âge que Morrissey” et se termine ainsi : “Je reste couchée sans bouger sur sa poitrine, j’entends battre son cœur, je ne veux pas dormir cette nuit, je me dis que cette nuit je vais être réveillée, je vais être réveillée jusqu’à ce que le jour arrive”. J’ai eu envie de savoir ce qu’il y avait entre la page 1 et la page 368 donc je l’ai pris. A l’issue de la soirée, j’ai terminé le premier et le dernier livre précédemment cités. Vodka-Cola m’a déçu. Ce n’est pas un mauvais livre, il est dans l’air du temps, pas si loin d’un Lolita Pille en version russe. Sexe, musique, jeunesse, désillusions, etc. Il se lit facilement. D’ailleurs je l’avais commencé dans le bus, debout, bousculée de tous côtés, avec le baladeur allumé, et je n’avais aucun problème de concentration. Ce serait injuste d’en faire une mauvaise critique car l’auteur sait écrire correctement et ses portraits sont très justes. Oui mais, je crois que je commence à me lasser de ce type de littérature. Et puis pour moi, Murakami Ryû en écrivant Bleu transparent a décrit ces sentiments là d’une manière beaucoup plus juste que les écrivains en vogue actuellement. Enfin ce n’est pas tout à fait comparable : pas la même époque, ni la même culture ni… oui mais quand même. Le deuxième, je suis encore trop perdue à l’intérieur pour en faire le moindre commentaire. Le troisième est un recueil de nouvelles. Les personnages sont tous très différents, leur histoire aussi, chacune reflétant une difficulté existentielle. Ces nouvelles sont de qualité égale, elles se dégustent avec le même plaisir. C’est le genre de livre où les héros / héroïnes continuent à vous habiter même une fois la dernière page refermée, comme s’il s’agissait de personnes rencontrées dans la réalité. La préface dit qu’il ne s’agit pas réellement de contes car “il n’y a pas de morale”. Je décrète que le préfacier est un imbécile ou un analphabète. Il y a une morale, elle est même évidente, parfois positive, d’autres fois cruelles, elle se lit toujours à travers la dernière page. Bref, tout ça pour dire que c’est un très bon livre et je remercie la bibliothécaire de l’avoir mal rangé de façon à ce qu’il tombe sur mes pieds.

Et puis la nuit dernière dans la pénombre, quand le vent s’introduisait par la fenêtre en sifflant, la tête remplie d’histoires, j’ai regardé cette vidéo avant de m’endormir. C’était exactement parfait à cet instant là.

* “Du soleil dans une pièce vide”, In Les Contes de Murboligen – Frode Grytten
** Billie Holiday – You got to my head

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