Dans ma promo, j’entends régulièrement une phrase qui me donne envie de bondir toutes griffes dehors : “on apprend enfin quelque chose d’utile, après des années de fac sans aucune utilité pratique. Ici on fait quelque chose de formateur alors que la culture ça sert à rien.” Evidemment, ce n’est pas comparable. Ce master est professionnalisant, il apprend un métier. Mais pour moi, un savoir professionnel n’est pas plus important qu’un savoir culturel. Il paraît que je suis “trop éloignée des réalités”. D’ailleurs c’est pareil dans la recherche de stage. Tout le monde veut m’embaucher en stage cet été : archives, entreprises, etc., j’ai fait 8 demandes pour l’instant et j’ai 8 réponses positives, apparemment mon Ecole s’avère être un atout plus considérable que je ne l’imaginais. Alors les gens me disent : “mais pourquoi tu choisis les archives alors que tu peux être prise en entreprise ?”, ” si tu passes le concours d’archiviste, tu sais que c’est pas très bien payé après, tu gagneras plus si tu bosses dans le privé”. Bien sûr oui, travailler 40 heures par semaines devant un écran à se taper un boulot chiant en se faisant engueuler par son patron, dans un univers de stress quasi-permanent, ça me tente énormément. Non mais tu m’as vue ? Tu m’imagines vraiment en jeune cadre dynamique ? “Les archives aussi c’est sûrement chiant”. De toute façon, je ne cherche pas un travail totalement agréable et épanouissant, ça n’existe pas. Je ne serais jamais de celles qui font des heures supplémentaires par zèle et qui s’investissent au maximum dans leur vie professionnelle, car mes centres d’intérêts ne sont pas là. Je cherche surtout un travail qui ne soit pas trop désagréable et qui me laisse du temps libre pour écrire, sortir, aller à des concerts, voyager. Un salaire d’archiviste me semble tout à fait correct. Je ne désire pas être une femme riche et pressée, obnubilée par ses responsabilités. Je veux seulement avoir de quoi vivre, tout en gardant de la liberté. Je me sens de plus en plus en décalage avec les carriéristes ambitieux, les arrivistes qui arrivent une demi-heure avant le début des cours pour pouvoir faire de la lèche au profs. Ils assistent à tous les cours parce qu’il faut y être, sans être capable de distinguer ceux qui présentent réellement un intérêt. Ils sont bêtement “scolaires”, apprenant comme des machines les phrases qu’ils écrivent consciencieusement, sans même réfléchir à leur sens. Réussir, réussir, réussir, réussir… C’est leur unique motivation dans l’existence. Cependant, même s’ils passent des nuits en bibliothèque, ils n’oublient pas une chose primordiale : prendre soin de leur corps. Ils font bien attention à leur taux de cholestérol et à la quantité de phosphore (c’est bon pour la mémoire) qu’ils avalent et ils se réservent toujours un peu de temps pour faire quelques exercices physiques. Je ne leur veux aucun mal, ce sont des gens gentils en dehors du contexte de l’Ecole. Cependant, à la façon dont ils médisent en douce les uns les autres pour se mettre en compétition, je sais déjà qu’ils feront de parfaits requins en entreprises plus tard. Par ailleurs, je sais bien que j’en fais trop dans le sens opposé. Evidemment, être un peu plus pragmatique ou moins rêveuse et cesser de maltraiter mon organisme à coup de nicotine-marshmallows-chocolat-etc. ne serait pas plus mal, mais plus je les vois et plus je suis ravie d’être dans l’excès inverse. De plus, pour une fois que je prends une vraie décision, je ne me laisserais pas dissuader. Je suis ni ambitieuse, ni sérieuse, ni saine, je vous prie donc d’aller vous faire foutre. Je n’ai pas l’habitude d’être grossière mais il fallait que je le dise, clairement et sans fioriture.

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