J’ai des expressions toutes faites qui tournent dans ma tête, ” les nerfs à vif “, ” marcher à côté de ses pompes “, ” à se taper la tête contre les murs “, mais ce ne sont même plus des images, tant elles correspondent à des sensations réelles.

Comme si j’étais dans un tableau sans perspective ni second plan, ou tous les personnages déborderaient les uns sur les autres, sans me laisser la moindre possibilité de distinguer ce qu’il y a derrière ; ce serait une peinture au présent exclusivement, sans espace, sans horizon, sans ligne de fuite. Je suis l’une des figurants, écrasées sous le poids des autres, asphyxiée, tentant vainement de trouver un moyen de m’extraire de là. Ce n’est pas vraiment fixe ni immobile, car au fur et à mesure des heures, de nouveaux éléments s’ajoutent à cet unique premier plan, pour bloquer le moindre de mes mouvements. Dis-moi seulement que ça ne va pas durer, d’un point de vue rationnel je le sais, sauf que je n’arrive pas à y croire. Sous mes pieds, et sous mes yeux, il n’y a que de la décomposition, du pourrissement, de la moisissure… Dans la saleté qui envahit mon appartement, dans les relations (non-dits, simulacres, tensions, amis trop loin) dans mon organisme (insomnies et troubles alimentaires), ça se propage de plus en plus vite, pendant que je suis immobilisée dans ce cadre rigide. Je voudrais tout clarifier, assainir, désinfecter ce décor, tout faire exploser, quitte à me retrouver dans un paysage dévasté, du moment que je parviens à voir plus loin.

C’est normal : de déchirer mes feuilles quand je roule mes cigarettes, de casser les gobelets en plastique de la machine sans le faire exprès avant même d’avoir bu le liquide trop sucré qu’ils contiennent, d’agresser verbalement les profs alors que jamais je ne m’exprime d’habitude, de me blesser les paumes des mains en serrant trop fort les poings, de rire hystériquement toute la journée et de pleurer tout aussi violemment en rentrant chez moi, d’avoir les jambes et les mains qui tremblent, d’avoir mal quand je respire, de dépasser l’Ecole en marchant machinalement jusqu’au métro qui me ramène chez moi alors que j’en suis partie pour aller en cours et de ne pas faire demi-tour…? J’ai peur de moi-même.

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