Je souris, je boude, en colère, triste, ravie, alternant les mimiques… “Tu sais Junko, c’est normal de pas reconnaître son reflet dans la glace quand on est défoncé.” Non, ce n’est pas ça qui me perturbe, c’est mon regard. Tu vois, quelle que soit l’expression de mon visage, mes yeux sont complètement vides. “Je te confirme, vides et inexpressifs”. Alors qu’en temps normal, mon regard trahit tout ce que je ressens. “Parce que t’as les pupilles qui se dilatent énormément, tu réagis toujours plus que les autres, toi”. J’ai l’impression qu’elles ont été découpées, il y a un trou à la place, noir et infini. Sourire : la commissure des lèvres remontent, mais c’est clownesque, comme si quelqu’un en avait tracé les contours au feutre, j’aurais presque peur si mon reflet sortait de la glace… Je me fais penser à cette folle, régulièrement internée, que je croise de temps en temps dans la rue ou devant ma caisse. Elle sourit et rit toute seule tout le temps, c’est effrayant uniquement parce que ses yeux n’expriment absolument rien. Je me suis toujours demandé si ce n’était pas son maquillage qui mimait la joie à sa place. D’un côté, il y a cette multitude de sentiments à l’intérieur, affection, euphorie, émerveillement, excitation, nervosité… cette impression d’être plus vivante que jamais, en fait. De l’autre, un reflet grimaçant, titubant, machoires bloquées et regard absent. Je ne ressens pas ce que je vois, je ne vois pas ce que je ressens, comme si mon âme se dissimulait derrière un masque.

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