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La ménagère et l’écriture

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Mes parents m’ont offert toutes sortes de cadeaux pour Noël au fil des années. J’ai oublié la couleur de de mon premier hochet mais je me souviens du premier walkman que mon père avait ramené d’un voyage professionnel en Asie. Il m’avait annoncé fièrement : « c’est un Sony ». Ensuite, longtemps, j’ai cru que cette marque était le gage de qualité ultime. (…) Leurs choix étaient généralement prévisibles : les jeux, les livres, ou les vêtements rouges. Occasionnellement, ils ont été un tout petit peu plus inattendus, cet iphone l’hiver dernier par exemple. Si par hasard j’utilise mon téléphone portable (pour cela je dois savoir où il est, avoir pensé à le recharger, à l’allumer, et à le mettre à proximité de moi : autant dire que ça ne m’arrive pas tous les jours) c’est uniquement pour… téléphoner, donc n’importe quel téléphone bas de gamme me suffit. Je me fous d’avoir Internet sur mon mobile et je suis nulle en écran tactile. Mais bref, en plus de trois décennies, j’ai ressenti toutes sortes d’émotions lors du déballage de cadeaux. A dire vrai, je ne m’attendais plus à être surprise le 25 décembre. Pourtant, je me rappellerai certainement de ce Noël 2013, du jour où mes parents m’ont acheté deux appareils ménagers, deux robots super performants. Ils n’essayaient pas de me transmettre de manière subtile un message déplaisant quant à l’état de mon appartement, ils souhaitaient seulement m’aider. Malgré tout, à l’instant où le carton est apparu sous le papier, j’ai vécu une sorte de révélation : socialement, j’étais devenue une vieille une ménagère.

Par le passé, je me rappelle d’avoir été « l’étudiante », celle que tout le monde considérait comme telle, dans les amphis, dans les bars, dans les gares, comme dans les petites cases administratives. A un moment donné, je suis passée d’étudiante à caissière, celle que les clients reconnaissaient dans la rue, eux que je décrivais si souvent sur mon blog. En devenant bibliothécaire, j’étais reconnue comme… euh non en fait, vis à vis de mes supérieurs, j’avais plutôt l’impression d’être rabaissée au rang de secrétaire ou de potiche. Néanmoins, pour mes proches et pour la Direction Générale des Finances Publiques, j’étais bibliothécaire. Et je me vivais en tant que bibliothécaire surtout, essentiellement. C’était la raison pour laquelle j’acceptais volontiers de me lever durant la semaine et ce que j’essayais de faire au mieux.

Au début de ma vie à Sainté, on me considérait encore aussi comme une personne en recherche d’emploi. Tout le monde me demandait régulièrement : « et professionnellement tu en es où ? », a chaque fois j’avais envie de pleurer. Et plus les mois défilaient plus les larmes affleuraient, alors j’ai fini par rétorquer sèchement : « s’il y avait du nouveau, vous seriez au courant ». Maintenant je suis uniquement la maman ménagère. Ce n’est ni ce que je voulais devenir, ni ce que j’ai l’impression d’être, ni ce que je souhaite rester. Mais à l’heure où j’écris, mon amoureux est en voyage professionnel à 540 km d’ici, et mon fils n’a malheureusement pas encore atteint l’âge suffisant pour devenir un esclave domestique utile, même s’il montre clairement son intérêt pour les éponges, le balais et les chiffons. Mais le pire, le comble, c’est que je suis contente d’avoir ces joujoux ménagers. C’est quand même très triste d’être heureux de posséder un aspirateur.

Il y a deux ans et beaucoup de poussières, je vivais entre les éviers pleins, les cendriers qui débordaient et les cannettes de bière vides. Avant hier je me suis entendue dire à mon amoureux : « non mais la cuisine je dois absolument la nettoyer tous les jours, non ça ne peut pas attendre demain ». Phrase tellement terrifiante entre mes lèvres qu’il a éclaté de rire, croyant à une blague. En même temps, je le comprends. Je me reconnais beaucoup trop bien certains soirs dans le fond du verre et certains matins dans le miroir embué. Mes amis trentenaires de Lyon et d’ailleurs – mais pas d’ici, on ne se fait plus d’amis autour de chez soi quand on a 33 ans et qu’on est sans emploi – disent des trucs bizarres comme : « ah je n’ai plus l’âge de boire toute la nuit », « je ne récupère plus comme avant quand je fais des excès »… Bah euh… moi si. En fait, je trouve que je m’en remets mieux. Au lieu de finir prostrée sur la cuvette des chiottes, les cheveux collés au visage entre des murs qui tournent, je m’endors paisiblement pour déverser l’excès d’alcool dans des rêves abracadabrants. Ne pas boire d’alcool du tout m’est toujours aussi facile, ne pas finir une bouteille entamée m’est toujours aussi difficile. Mon nouvel aspirateur est posé à côté de mes Docs préférées, celles que je portais déjà 15 ans plus tôt. Je m’interromps tous les quarts d’heure pour fumer une cigarette depuis que j’ai commencé à écrire ce texte, même si désormais je vais sur la terrasse au lieu de parfumer mon clavier… Bref, j’ai déjà écrit que je me sentais vieille parce que j’avais l’impression d’avoir tout vécu (cette phrase me fera certainement rire dans vingt ans si je suis encore en vie), mais mon comportement en général n’a pas tellement évolué depuis euh… l’adolescence tardive (je crois que j’ai commencé à me comporter comme une ado à 21 ans en réalité). D’où le décalage. Quelle serait la tête d’une adolescente si elle recevait un aspirateur à Noël ? J’exagère bien sûr. Oui mais quand même…

En tout cas, grâce à mon aspirateur ultra performant et grâce surtout à mon nettoyeur à vapeur, je peux de nouveau envisager de finir le ménage assez tôt pour écrire. Non pas uniquement une note de blog. (De toute façon il me reste 15 lecteurs en comptant ceux qui sont arrivés par désoeuvrement sans avoir l’intention de revenir… Or oui, j’ai un blog pour être lue, je l’ai déjà avoué.) Pas spécifiquement non plus la pièce de théâtre que j’espère réussir à rédiger pour cette troupe sympathique. Simplement, écrire régulièrement, à heure fixe, au minimum cent ving minutes par semaine.

Après avoir publié le texte en rapport avec mon passage aux urgences de la maternité, un ami m’avait demandé : « il y a plein de détails, tu avais pris des notes ? » J’ai repensé à cet autre ami étonné que je n’en prenne jamais. « J’ai toujours un carnet sur moi pour prendre des notes », m’expliquait-il. Moi aussi, j’ai toujours un carnet sur moi. En fait, j’ai plein de carnets, sauf que j’y note les phrases des gens dans la rue, des citations de livres ou de films, des listes de choses à faire… jamais rien qui ne soit directement en rapport avec ce que je tape ensuite sur le clavier. Certains textes contiennent autant de détails alors qu’il s’agissait de vieux souvenirs parce que je les « écrivais » déjà pendant que je les vivais. Par exemple, sur le siège du taxi qui m’amenait vers l’hôpital, je prenais mentalement des notes. On pourrait se dire que c’est un réflexe de blogueuse… Je ne crois pas que ce soit le cas. J’ai rédigé de nombreux textes sans fil conducteur, pour partager un ressenti à tel instant devant mon clavier, ou pour rien d’ailleurs si ce n’est une “démangeaison” pour reprendre l’expression de Mai.

Quoi qu’il en soit, durant ces moments où je construis mon futur article de blog tout en vivant une situation, je ne saurais dire si c’est pour la mémoriser, ou pour me distancier d’un présent désagréable. Quand j’ai copié-collé mes archives (encore incomplètes), j’ai retrouvé cette phrase : « j’écris juste pour conserver quelques traces de ma semaine avant qu’elle ne s’estompe ». Il y en a eu plusieurs du même genre. C’est drôle quand on sait que je n’ai jamais fait de sauvegarde de ce blog. Ecrire pour mémoriser un vécu sans rien enregistrer… Et puis bon, j’ai toujours veillé à sauvegarder mes travaux d’étudiante puis de bibliothécaire, ce n’est pas comme si je n’étais pas consciente du risque de tout perdre. Il doit nécessairement y avoir une part d’acte manqué dans cette histoire.

Enfin, revenons à nos écrivaillons. Je sais que de nombreux écrivains écrivent ponctuellement. Chaque jour, de telle heure à telle heure, ils se mettent devant leurs machines et y restent, même si aucune inspiration ne survient. A l’opposé de l’image de l’artiste inspiré brusquement par sa muse, ce sont avant tout des travailleurs. Ils sont studieux, et j’aimerais essayer de les imiter, sans attendre d’avoir besoin de me poser devant mon clavier. Non pas que je me prenne pour Stephen King et encore moins pour Henri Miller. Je vais prendre rendez-vous avec l’écriture en partie par curiosité, en partie pour respirer, ou plutôt pour prendre l’air, comme à la récréation. Quant à ceux qui décideraient de me faire remarquer : « tu ferais mieux de passer ce moment là à chercher du boulot petite conne » (remarque que je me suis moi-même faite avec la franchise qui caractérise toujours mes dialogues avec moi-même), sachez que j’ambitionne de devenir écrivain public et donc de faire de l’écriture mon métier… ce qui rend la démarche assez cohérente finalement (me suis-je répondue). Quoi qu’il en soit, avec de la chance et de la persévérance, mes cadeaux de ménagère me permettront peut-être de m’échapper de cette image sociale pour m’en recréer une dans laquelle je puisse me retrouver, au moins un tout petit peu plus.

8 commentaires sur “La ménagère et l’écriture

  1. Oh que c’est étonnant ! J’ai en cogitation (et pas eu le temps de l’écrire aujourd’hui) un billet sur l’écriture avec l’idée que quand on écrit, on raconte et donc, on distancie, déjà, la digestion est en cours.

    🙂

    Et alors cet aspirateur, il aspire ?

  2. Exactement. Raconter à l’oral c’est déjà se distancier, je suppose, mais la « lenteur » de l’écrit accentue le processus.

    Tu as vu la fréquence de mes textes ces derniers jours…? Je crois que tu as ta réponse ! Il aspire, il est léger, il ne fait pas de bruit, il vient même à bout des poils du Chat sur le canapé… Et puis il y a ce merveilleux vaporetto : plus besoin de gratter à genoux la nourriture que Le Boutchou a envoyé valser autour de lui. Je suis la plus heureuse des ménagères, j’te dis ! 🙂

  3. 16 lecteurs 🙂 je n’avais pas vu que tu avais ouvert un nouveau blog.

    J’ai pris ce genre de coup de vieux il y a quelques années, quand j’ai commencé à faire la cuisine et que mes copines les plus proches m’ont offert un mixer pour mon anniversaire. D’un côté, j’étais très contente, c’est un cadeau qui m’a été très utile. De l’autre, j’ai eu l’impression de rentrer dans la catégorie « ménagère de moins de 50 ans ». En fait, c’est juste dans la tête, parce que à côté de mon mixer, il y a mes mugs Red Bull Racing et Game of Thrones, la ménagère cotoie la fangirl. Un ajout, pas un remplacement.

    Je suis incapable de me mettre devant mon clavier à heure fixe et encore moins de planfier une séance d’éctiture. Je ne fais jamais de plan, je ne prend jamais de notes. Tout est dans ma tête. Je rêvasse, j’écoute de la musique en trainant sur mon lit, et puis, je me lève d’un pas décidé et je fonce sur le PC écrire la scène que je viens juste d’imaginer, de tourner et retourner dans la tête jusqu’à ce que les mots me plaisent, et je déverse tout ça dans une sorte de transe. Ensuite, le flot s’arrête et je quitte l’ordinateur, fatiguée mais contente, et je passe totalement à autre chose.

    Je suppose que chaque écrivain, en herbe ou professionnel, a sa méthode. L’erreur à ne pas commettre serait de vouloir adopter une méthode « rassurante », style « flocon », mais qui ne te correspond peut être pas, juste pour avoir l’impression de faire les choses comme elles doivent être faites.

    1. Je l’ai tweetté et mis dans un statut FB mais j’avoue que je n’ai pas essayé d’envoyer un mail à tous les anciens lecteurs que je pouvais retrouver. Je n’ai pas non plus fait plusieurs tweet ni plusieurs statuts FB pour dire : « whouhou je vous rappelle que j’ai un blog ». J’aurais eu l’impression de spammer tout le monde. Mais bon il faut dire aussi que beaucoup des personnes qui interagissaient ici n’ont plus de blogs et n’en lisent plus forcément, enfin je suppose. Ou peut-être que j’écris de moins en moins bien, va savoir avec le manque de pratique. Je suis contente que tu m’aies retrouvée en tout cas.

      « Un ajout, pas un remplacement », oui c’est sans doute ça pour moi aussi. En fait, j’en suis à me dire que le ménage est un problème et que ces outils sont une solution pour limiter ce problème. N’empêche que je ne m’attendais pas à recevoir un appareil ménager pour Noël un jour. Si c’était mon amoureux qui m’avait offert ce cadeau, je crois que je l’aurais vraiment mal pris d’ailleurs (en même temps, je l’imagine mal avoir une telle idée).

      J’ai plutôt tendance à faire la même chose que toi, mis à part que bien souvent je n’ai plus le temps d’écrire au moment où j’en ressens l’envie, ce qui est particulièrement désagréable. Et puis préoccupée par tout ce que je dois faire, j’en oublie presque de penser à rêvasser. Mais je ne sais pas si je suis incapable de planifier un moment d’écriture puisque je n’ai jamais essayé de le faire.

      Je vois ce que tu veux dire et c’est pour cela que j’ai écrit que j’avais envie « d’essayer », juste pour voir en quelque sorte. Si cette technique me déplaît ou si elle ne me correspond vraiment pas, je l’abandonnerai de toute manière… Je sais aussi qu’en ce moment, j’ai vraiment besoin d’une échappatoire, d’une pause d’au moins une heure seule sans Le Boutchou, sans mon amoureux, et sans obligations, mais au lieu d’écrire il s’agira peut-être parfois d’écouter de la musique ou simplement de lire un livre… Je verrai.

  4. j’ai la chance de te compter parmi mes quelques amis facebook, et donc d’être au courant de l publication d’une nouvelle note. Pas qu’on soit amis ni même proches ou bien, (on s’est croisés sur la blogosphère il y a longtemps) mais c’est toujours agréable de te lire et de savoir que tu as un bel aspirateur. J’espère qu’il s’agit d’un modèle sans sac 😉

    J’aimais bien cette époque où il y avait plein de blogs et tout le monde lisait par dessus l’épaule de tout le monde. Je ne sais pas pourquoi ça a disparu. Sans doute un coup des aspirateurs, des mixers, des séries télé ou de la multiplication des enfants autour de nous.

    1. Je me rappelle très bien de tes textes que j’aimais lire, et de tes commentaires élogieux qui me permettaient presque de m’imaginer en futur écrivain. Moi aussi, j’aimais bien. Oui, cest peut-être un peu tout ça. Ou c’est aussi l’avènement des Facebook, Twitter et autres Tumblr, des réseaux sociaux proches de ce que les blogs étaient au commencement : un simple moyen de partager des liens. Mais après plus de 10 ans d’archives sauvées de manière miraculeuse, je persiste et je continuerai sans doute malgré la disparition des lecteurs finalement. Et dans trente ans, perdue dans l’immensité du web, je parlerai de mes rhumatismes les jours de pluie ou du dernier gâteau que j’ai cuisiné pour mes petits enfants…

    1. Voilà déjà quelques jours que je veux t’envoyer un message pour te souhaiter un joyeux anniversaire (qui est donc devenu un joyeux non anniversaire) et en profiter pour prendre de tes nouvelles… En attendant, c’est chouette de te retrouver ici. J’espère – un peu égoïstement – que ça te démangera aussi. J’étais contente en lisant que tu envisager de te remettre à écrire car oui, je vais toujours chez toi de temps en temps dans l’espoir de te relire.
      Passe quand tu veux en tout cas !
      Je t’embrasse

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