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Quand on est en retard, mieux vaut ralentir un peu le pas…*

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5H50 my love
Sur le polaroïd, il écrit au stylo “5 H 50 my love”. “My love” a le sommeil dans les yeux, la fumée dans la gorge et du liquide plein le ventre. Bonbonne d’alcool, je me déplace mollement entre les vêtements éparpillés, en disant “pardon” aux bouteilles vides que je renverse de mes pieds nus et sales. The sin and This mess we’re in and The city Sun sets over me… Entre deux rasades de whisky, il met du fard bleu vif sur ses paupières, et étale mon fond de teint sur son visage mal rasé. Je le regarde faire, fascinée. Sous la table, il y a un polaroïd d’un autre garçon : vêtu d’un caleçon bleu, il prend une pose aguicheuse, juchée sur mes talons hauts ; je suis frappée par la similitude de leurs comportements… Tous les hommes auxquels je m’attache sont des camarades de défonces jeux. A croire que c’est ainsi que je les aime ? Pourtant, tout en suppliant les murs d’arrêter de tourner, je me demande avec inquiétude si nous sommes capable d’être ensemble sans nous enivrer, sans nous perdre, sans déconner…

[ATTENTION : la photo ci-dessous peut choquer les âmes vertueuses – Mais elle illustre parfaitement mon propos, donc j’assume (enfin j’essaie)]

jeux

Juste pour voir…
Pourquoi les ciels des lendemains de nuit blanches sont-ils toujours les mêmes ? Froid, laiteux, pluvieux. Engloutie par ma capuche, je ne distingue qu’un coin de trottoir gris pâle, le tissu étouffe sa voix… Malgré tout, j’y entends toute sa tendresse, pendant qu’une tristesse diffuse me rend silencieuse. Non, nous ne sommes pas toujours en phase … Du moins si tu ne fais pas semblant de m’aimer, car il m’arrive encore d’en douter. J’ai tant de difficultés à te reconnaître… Peut-être parce qu’à la fin d’avant le début, j’avais l’impression de ne jamais t’avoir réellement connu…
Des remarques rancunières m’échappent… Ses compliments perdent leur impact émotionnel parce qu’ils ne pansent pas les blessures passées, ils me les remémorent au contraire, par contraste. J’aimerais cesser de le regarder avec la sévérité d’un juré hargneux face à un candidat injustement désavantagé. D’avoir la langue sifflante et le regard ironique alors qu’il n’est qu’amour et gentillesse jusqu’à présent.
Assise au coin de la fenêtre, dans la cachette derrière les rideaux, j’observe le vieil homme d’en face qui donne à manger aux pigeons. Ce sont toujours les mêmes qui engraissent, les plus rapides, les plus méchants aussi, ceux qui envoient des coups de becs dans les plumes de leur congénères… J’ignore pourquoi ces volatiles me rappellent un vieux fait divers, des gamins qui avaient fait dérailler un train en posant un objet sur la voie… A la question “pourquoi ?”, ils avaient répondu “juste pour voir ce que ça faisait”. Il y a un peu de ça aussi, dans mon venin rancunier, une forme de curiosité malsaine, l’envie de faire une connerie aux conséquences imprévisibles, ou celle de le tester, palper les limites…

Les racines invisibles
Les billets pour les Nuits Sonores resteront dans mon sac. Ce n’est pas le premier concert que j’annule sous prétexte qu’ici, je me sens bien, et là bas je ne sais pas si… Comme les coups d’œil furtifs aux vitrines des agences de voyage, dans lesquelles je n’entrerai sans doute jamais. Ma carte d’identité perdue avant chaque départ. Le problème que je peux avoir, certains jours, à sortir de chez moi. S’enfermer pour prolonger, le plus longtemps possible, chaque moment de plaisir, ou pour le calme, la sécurité. Je n’ose pas faire l’inventaire de toutes les occasions perdues ainsi ; si seulement je n’avais pas la mémoire des endroits où je n’aurais jamais dû aller…

Love will tear us apart again
Je lui lance : “ok, on va y aller, tu peux arrêter la chaîne ?” “T’es sure que tu ne veux pas écouter cette chanson une sixième fois de suite ?” “Euh si en fait je veux bien, je n’osais pas continuer à te l’infliger…” Et encore une fois, ce morceau :

Je me berce avec cette reprise parce que je la comprends tellement bien, au passé et par peur de l’avenir. En fait, sa lenteur me permet de saisir parfaitement la justesse de chacune des phrases, et puis j’y ressens une résignation qui me rend mélancolique, mais m’apaise aussi…

Same old shit
“Hé ! On a passé quasiment une semaine ensemble et il n’y a eu aucun problème”. Je réplique “le fait qu’on ne se dispute pas ne signifie pas que tout va très bien, la question c’est de savoir si on préfère passer ces journées ensemble ou seuls chacun chez soi”, et j’ai envie de rembobiner le dialogue et de me scotcher la bouche. “Moi je préfère les passer avec toi…” Cette réponse ne me fait aucun effet particulier, je suis seulement soulagée de ne pas entendre un “pas toi ?” assez prévisible. Je commence à argumenter sur le thème de la relation amicale, mais je m’interromps lâchement pour me nicher au creux de son épaule… Par peur de perdre l’ami en éloignant l’amant. Et l’amant me manquerait sans doute. Et puis en effet il n’y a eu aucun problème, j’en crée des imaginaires, c’est tout. Et il paraît qu’il faut se laisser du temps. Et je ne sais toujours pas ce que je veux. Et je suis incapable de me laisser vivre sans m’enliser dans les hésitations….

[”Une constatation, les notes et brouillons s’accumulent, mais je n’arrive plus à trouver ce ciment qui donne un rythme, une trame, un sens à tous ces mots“, car entre ce que je ne peux pas écrire, ce que je ne veux pas révéler et ce que je ne sais pas expliquer, il ne reste que des phrases tronçonnées… Ainsi qu’une violente envie d’appuyer sur la touche Suppr : j’en ai vraiment assez de me répéter.]

*André Siniavski, Pensées impromptues

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