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Il doit être question de pâte à peau humaine, de ma facilité à perdre mon homme dans les croisements, d’éphémère et de trompe-l’oeil surtout

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Je reprends mon souffle entre les draps humides. Les battements de nos coeurs se confondent anarchiquement, leurs coups sourds résonnent dans ma poitrine, mon ventre, ma nuque… L’air frais s’insinue par la fenêtre entrouverte, fait frissonner les rideaux fermés, avant de frôler mon corps engourdi. Mon amant me chuchote “merci”, d’un ton si bas – infime chatouillement dans mon oreille – que je pourrais l’avoir rêvé… Je me retourne et lis la reconnaissance sur son visage, le reflet de ma propre gratitude… Un remerciement pour ce don, ce plaisir, cette extase. Je respire sa peau… J’aimerais l’absorber, la masser jusqu’à l’incorporer à la mienne, comme on pétrit une pâte du bout des doigts pour la rendre souple et homogène, par peur qu’elle ne se flétrisse ou ne s’éloigne de mes sens…

La veille, face à une intersection, nous avons pris une route différente. Il me demandait, sans la moindre méchanceté, si je pouvais arrêter de chantonner quelques minutes… Je suppose qu’il se sentait isolé, comme à chaque fois que la musique se place entre lui et moi. Je connais ce problème, mais je ne sais quasiment plus rien quand je suis ivre, à part danser, chanter et dire tout ce qui me passe par la tête (laquelle, sous l’effet de l’alcool, semble retrécir jusqu’à me donner l’âge mental d’une gamine). Alors j’ai répondu impulsivement “si t’es pas content change de trottoir, tu vas par ici et moi par là”. Ce n’était pas un ordre, je n’imaginais pas qu’il le ferait. Passé le sentiment de stupéfaction en le voyant s’éloigner, la situation ne m’a pas parue grave : en décrivant un cercle j’allais forcément le rejoindre… J’avais cessé de chantonner. L’avenue était remplie d’inconnus. En zigzaguant entre eux, dans la foule estudiantine, mes yeux commençaient s’humidifier… Je me doutais qu’il me suffisait de rentrer chez moi : tôt ou tard il m’y rejoindrait. Pourtant j’étais tentée d’aller n’importe où avec n’importe qui, parce que ces escaliers n’en finissaient pas. Et puis les gens étaient hystériques à cause du match, ils voulaient tous me voir sourire et encourager la France… Je m’en fous du rugby, j’ai égaré mon amour, allez-vous en ! Je l’ai finalement vu vingt minutes plus tard, se dirigeant vers l’entrée de mon immeuble, face à moi. Encore angoissée malgré le soulagement, cramponnée à sa main, je ne pouvais m’empêcher de m’exclamer – butée et puérile – “mais c’est vraiment stupide !” “J’ai immédiatement fait le tour et tu étais introuvable, donc je suis revenu chez toi en pensant que…” “C’est complètement débile, on ne refait plus ce genre de bêtise hein…” Essayons plutôt de jouer à ne pas nous perdre mutuellement, pour changer…

Je fais tourner la bouteille vide, la pièce est verte et déformée à travers l’épaisseur du verre. Dans une torpeur sucrée, flottant parmi les volutes fruitées du narguilé et les effluves de Gin, j’observe la métamorphose des angles, les roulements des objets familiers… Je pense à ces quelques mètres d’écart, dans deux rues adjacentes du même quartier, qui ont suffi à nous séparer l’un de l’autre. A cette ancienne amie partie à l’étranger, et retrouvée par hasard sur le large boulevard d’une ville dans laquelle elle n’était jamais venue auparavant ; à ma voisine que je n’ai dû croiser que deux fois en un an, alors qu’elle vit juste derrière ce mur. A cet instant qui semble éternel, parce que ton corps, lorsqu’il est ainsi posé contre le mien, me protège de l’ennui en me faisant perdre conscience de l’écoulement du temps… “Je n’ai pas envie de mourir un jour” ; il me regarde, désorienté par cette phrase extérieure au contexte. En fait je partage sa surprise, car ce n’est pas ce que j’avais l’intention de dire… Si mes mots n’avaient pas dépassé mes réflexions, j’aurais sans doute constaté à voix haute : “nous sommes suspendus dans un trompe-l’oeil, à moins qu’il n’y en ait plusieurs entremêlés, à moins que rien d’autre ne puisse être distingué…”

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