Je n’ai même pas appelé pour les prévenir que je ne viendrais pas… pour dire quoi ? “Je pourrais être là, mais de toute façon je serais absente.” Ils ne comprendraient pas vraiment. J’écoute Thee More Shallows. Dans la journée, quand je suis concentrée sur mes dossiers, il arrive que je ne fasse plus attention à la musique déversée par mon baladeur. Et puis soudain, je m’aperçois que j’oublie de respirer, alors c’est nécessairement une chanson de Thee more shallows. Mon corps réagit, même quand je ne le sais pas encore. Cette musique m’étreint, ça m’agrippe, c’est merveilleusement douloureux. Je me rappelle d’une phrase d’un livre, lue toute à l’heure : “Il jouait avec elle négligemment, comme s’il tirait sur la patte d’un oiseau à l’aide d’une corde”. Evidemment, dans ma tête pleine de clichés, je vois d’abord une belle colombe blanche et pure. Mais en fait, ça pourrait être un vilain petit oiseau décharné, même si ce serait moins spectaculaire sans doute. Il ne sait pas où est la corde, il sent juste qu’elle le retient, en l’empêchant de rejoindre le nid douillet qu’il aperçoit non loin. Et plus il se débat, plus le bourreau tire sur la corde, la tourne, la lâche presque quelques secondes pour mieux la ramener sèchement à lui ; ça entaille tout le tour de sa patte, des petites gouttes de sang perlent sur les plumes et éclaboussent l’orangé des griffes. Il n’a plus que deux possibilités. Il réussit à casser la corde et sa patte est déchiquetée… Craquement de l’os et chute des plumes. Il s’est libéré de l’emprise du bourreau, mais il ne pourra plus jamais marcher ni prendre son élan pour s’envoler. Ou alors il cesse de se débattre et il attend que le bourreau décide de son sort. Le résultat sera sans doute tragique dans tous les cas, parce que c’est déjà trop tard, il ne fallait pas le laisser attraper ta patte… Maintenant autant t’achever. 2AM commence de manière lancinante, elle s’intensifie lentement, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun espoir, elle irait bien avec ton agonie.

Il faudrait que j’arrête de penser à ça. Il faudrait que je choisisse une autre bande son. Si je mettais les Brunettes par exemple, peut-être que je pourrais arrêter le processus maintenant, le couper net immédiatement. Mais je voudrais que tout ça sorte de moi, quitte à avoir une crise de nerfs, n’importe quoi plutôt que de ravaler tout ce qui finit toujours par ressurgir, encore et encore. Phineas Bogg, comme quelqu’un qui te dirait d’une voix douce et compatissante que rien ne s’arrangera jamais. Je résiste à la pulsion idiote – adolescente – d’écraser ma cigarette sur la marque précédente, celle que je me suis faite involontairement après avoir bu la bouteille de vodka la dernière fois. Parce qu’elle commence à cicatriser, je voudrais la rouvrir, volontairement cette fois. (ça ne cicatrise toujours qu’en surface). Freshman Thesis a une introduction inquiétante, et puis c’est léger après, mais
c’est trompeur. Au moment où on s’est habitué au rythme et au violon, ça redescend tout doucement pour mieux exploser. Dans une chanson de Belle & Sebastian, quand la musique baisse ainsi, c’est pour entraîner l’auditeur dans une danse sautillante et légère quelques secondes plus tard. Au contraire, Thee more shallows profite de ce moment d’abandon pour l’emporter tout au fond de l’obscurité dans un vacarme d’instruments, de plus en plus lourds, de plus en plus redondants, jusqu’à l’étouffement. Comme pour l’oiseau, on desserre le lien afin de mieux le blesser ensuite, car ce serait moins divertissant sans espoir et sans humiliation.

(Effet boomerang. Tu crois envoyer un poids loin de toi, tu le lances de toutes tes forces, mais il revient t’exploser les dents quand tu ne l’attends plus, et il pèse encore plus lourd au retour. Compte jusqu’à 100, et d’ici là j’aurais peut-être enfin trouvé où et comment me cacher.)

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