L’été dernier, j’avais souvent vécu cette scène en rêvant toute éveillée : il revenait pour me supplier de l’aimer, et je jubilais en le repoussant froidement, fièrement ; il aurait enfin la place de l’humilié, et moi celle de l’indifférente qui brise ses espoirs. Je ne sais si j’imaginais ce scénario par envie de vengeance ou pour me sentir invulnérable, en tout cas j’étais certaine qu’il n’aurait jamais lieu dans la réalité… Or tout s’est produit exactement comme je l’avais souhaité, sauf que… Je n’ai pas su résister à ses larmes, à sa peau, à son odeur… J’ai mollement tenté de le repousser et puis, aussi irrésistiblement qu’une héroïnomane en manque face à sa drogue, j’ai évacué tous les risques qui pourraient nuire au plaisir.
J’aurais dû m’attendre à ce que cette soirée se termine dans l’alcool, la musique et le sexe, comme avant. Comprendre que ce qui nous rapprochait – nos rires, nos conneries, nos chansons, nos peaux aimantées – ne disparaîtrait pas pendant son absence. Je devrais savoir que les décisions définitives n’existent que dans mes mots… J’use abondamment des “toujours” et des “jamais” à l’oral, alors que je suis instable, changeante. En fait, si j’étais aussi euphorique après l’avoir revu la veille à ce concert, il ne s’agissait nullement d’un point final à notre relation passée, au contraire, j’étais simplement encore amoureuse de lui. Je refusais de l’admettre, parce qu’il m’était trop pénible d’avouer que ces huit mois n’avaient rien changé à mes sentiments, même si l’amour était parfois masqué par la colère ou travesti en haine. Ces deux nuits et cette journée contre lui étaient irréelles, semblables aux meilleurs moments de notre relation, ceux que j’avais presque oubliés en m’obligeant à ne ressasser que le pire pour parvenir à vivre sans lui. “C’est dingue comme tout paraît plus beau”, “qu’est-ce que c’est bon d’être amoureux”. Malheureusement oui… Sourire stupide, régression infantile, anodin transfiguré, banalités sublimées… Je n’avais plus été aussi extatique depuis un an, et ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, désespérément, de retrouver cette euphorie passionnée avec d’autres…
Oui mais, et maintenant ? “Je me suis remis en question après tout ce que tu m’as dit, j’ai évolué”. Moi aussi : j’ai notamment décidé de ne plus me laisser piétiner par amour. “Justement, je ne veux pas que tu sois soumise ; je ne veux pas que tu te forces à faire des trucs pour moi”. Soudain, je pense à voix haute : “dans les jours qui viennent je déciderai peut-être de ne plus te revoir”. Mais je n’accorde aucune crédibilité à mes propres paroles. Et pourtant ce serait peut-être mieux d’en rester à ce bon souvenir avant de tout salir encore une fois, sauf que c’est déjà trop tard… “Des fois il faut détruire pour reconstruire”. Cette phrase me plaît et m’effraie, car si j’ai envie d’y croire, je me souviens aussi des multiples déconstruction-constructions qui précédaient… Le plus beau et le plus solide des bâtiments pouvait se métamorphoser en ruine à cause d’une phrase, d’un souffle… Il nous suffit de si peu pour passer du ciel au gouffre. Enfin… Je ne sais plus. Je m’étais toujours dit qu’il était inutile de faire renaître une histoire terminée, surtout quand elle s’est finie d’une manière aussi malsaine. Mais après tout je n’ai jamais essayé, du moins pas avec quelqu’un que j’aimais aussi viscéralement. Oui mais… Sa main dans la mienne, il chuchote “est-ce que tu crois qu’on est fait l’un pour l’autre ?” Je l’ai cru mais après réflexions, j’en étais arrivée à la conclusion que non, maintenant j’ai des doutes…
Une brosse à dent de plus, quelques sous-vêtements masculins, ces objets me rendent joyeuse tout en me rappelant d’autres matins ailleurs : il commence à appartenir à cet appartement. En manipulant mes livres, je suis dans le même état qu’aux premiers jours de notre relation, attendant les retrouvailles sur le prochain quai de gare, et pourtant… Béatitude parfaite entrecoupée d’hésitations angoissantes. Quand il murmure “j’ai tellement de chance, merci d’avoir accepté de me laisser revenir”, c’est un peu comme de l’alcool brûlant coulant sur du sucre : je fond, perds ma consistance, m’abandonne dans la fusion délicieuse et étourdissante…
Est-ce que je dois écouter ou faire taire la voix qui, au plus profond de moi, m’avertit faiblement : “et plus dure sera la chute”…?