En vérité, c’est très prétentieux… Un serpent poitrinaire, une poupée amputée… Des métaphores maladroites et inutiles pour irréaliser les faits. Comme ce plat auquel je rajoutais du sel, du poivre, des condiments, en répétant “il manque quelque chose”… Le goût restait insatisfaisant, et j’ai avoué “ce n’est pas ça“. J’enjolive, romance, accentue, alourdis la mise en scène afin de donner de la profondeur à une pièce mal jouée et répétitive. L’enrobage de gélatine pour faire passer le cachet. La semaine dernière, j’ai rendu un livre avant de l’avoir terminé, parce qu’à la fin de chaque page, je pouvais prévoir la suivante. Quelle sensation irritante… Une cigarette mal éteinte enflamme du coton, le cendrier en verre explose, noircit le canapé, tombe sur le sol, brûle une lettre inachevée, et où étais-je pendant ce temps ? Juste à côté, non je n’ai rien remarqué avant d’être aveuglée par la fumée. Il s’étonne de m’entendre rire en lui expliquant la situation, parce qu’il y a longtemps que mes conneries ne me font plus pleurer. Des évènements en chaîne comme celui-ci, j’en provoque sans cesse. Ils disent “distraite”, “dans la lune”, “étourdie”… Ils utilisent des adjectifs attendrissants parce qu’ils sont gentils : c’est mignon d’être dans la lune. Je ne suis nulle part en réalité, j’essaie simplement de m’éloigner. La lune est surement plus belle à contempler que ce flou dans lequel je plonge comme on ferme les yeux devant une image pénible. Alors je me moque de moi, sans cesse, mais le comique de répétition peut être exaspérément lourd.
Encore un matin d’amnésie éthylique… En l’entendant me décrire l’inconnue que j’étais la veille, je me dis que finalement l’ignorance absolue serait plus agréable. Je m’évertue à donner sens à ces fragments, comme si je passais des heures à rendre une photo moins floue pour m’apercevoir, quand elle devient nette, qu’elle est totalement ratée et qu’il aurait mieux valu ne jamais la développer. Il y en a tant au bout du compte, des moments qui ne méritent pas d’être gardés en mémoire… Et si je cessais de me mentir en prétendant qu’il existe une forme de beauté ou d’utilité dans chaque expérience vécue ? Quelques bribes mémorielles me reviennent, une main qui écarte tendrement mes cheveux pendant que j’essaie de vomir, par exemple. Sans grand effort, je pourrais probablement rendre ces faits drôles ou pathétiques, mais autant vaporiser du parfum sur de la merde. Bien sûr, il y avait aussi cet excellent repas, l’odeur de poussière étourdissante sous la pluie, le plaisir de revoir Muji et Cracra, et d’autres moments agréables, beaucoup, ce n’est pas la question. J’en ai simplement assez d’essayer de réenchanter mon existence, démarche aussi prétentieuse qu’absurde, puisque je suis toujours la même…
La cigarette entre mes doigts, l’absentéisme dans mon regard, l’impudeur dont je fais preuve, mes conversations avec Le Chat, ma façon de repousser chaque obligation à un plus tard lointain jusqu’à l’oublier, mon incapacité à sortir de mon canapé sans répéter “une dernière clope et je m’y mets”… Je les hais. Je gonfle cet ego encombrant alors que je préfèrerais éviter de le contempler. Maman m’interroge : “tu es heureuse ?” et je me demande si qui que ce soit peut répondre “oui” sans hésiter. “Quand il est parti, tu disais que tu étais plus heureuse avec lui, alors maintenant est-ce que c’est toujours le cas ?” Je ne sais pas, reste silencieuse ou bredouille des oui et non, ni oui ni non. Mieux ou moins bien avec quelqu’un d’autre, un travail différent, un départ, un retour… Je n’en sais rien et j’en ai surtout tellement marre de me poser ces questions. Parfois, pendant plusieurs semaines, ce leitmotiv revient “quelque chose va changer” : un tour de manivelle, toujours la même rengaine. Mais cette litanie est comparable à un geste superstitieux, machinal, dont on a oublié l’origine. En attendant cet avenir qui n’a ni forme ni nom, je suis lasse de passer des jours et des nuits à la moulinette, pour servir une soupe fade et indigeste à des lecteurs que je n’ai jamais compris (mais que faites-vous chez moi ? Que cherchez-vous ici ?) “L’oiseau noir a l’air bien malade…” “oui, à mon avis il va crever”, finalement il s’est envolé avec une aile cassée, sans s’écraser, je ne l’ai pas revu le lendemain matin. Parti plus loin ou mort plus loin ? Aucune différence vu d’ici…

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Ce fanart a 5 ans, et ce désir est resté, avec toutes ses contradictions… Ecrire sur un blog sa volonté de disparaître dans l’oubli, tout en se mettant à nu en public ; souhaiter garder la trace écrite d’une progression, tout en décrivant les mêmes errances, boomerangs et chutes ; vouloir se souvenir du meilleur, et noter le pire ; désirer ne jamais être retrouvée tout en laissant assez d’indices pour être découverte à la première recherche ; lui demander de ne pas me lire quand certaines notes ne s’adressent qu’à lui ; et une vie entière ne suffirait pas pour recenser tous mes paradoxes, ces entraves qui m’engoncent dans l’identique. Je lui ai dit en m’excusant “je reproduis les mêmes échecs, je ne change pas…” “Si, quand même un peu, avant ils te faisaient pleurer, maintenant ils te font rire”. Autrefois je m’apitoyais sur moi-même, désormais je me fous de ma gueule : les deux faces d’une même lassitude de soi.

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