Le ciel était à la fois gris et mordoré, étrange. Je n’avais pas réussi à trouver mes Docs avant de partir dans l’urgence, alors j’avais des Converses aux pieds qui prenaient la flotte, et flic et floc. Je me pressais sous mon parapluie, je marchais vite en essayant de ne pas glisser. Et flic, et floc.
Je mâchais un chewing-gum pour cacher l’alcool dans mon haleine parce que je n’avais pas eu le temps de me brosser les dents. Et flic et floc.
Il n’y a rien de pire que de ne pas avoir le temps. Je voulais arriver tôt, pour coucher mon enfant avant 20h30, car j’ai horreur de le réveiller comme je l’avais fait ce matin. C’est insupportable, quand il rêve avec un sourire aux lèvres, quand il s’enfouit sous sa couette, quand il semble si bienheureux au pays des songes et que je le ramène brutalement à la réalité. C’est horrible, alors qu’il est en vacances, de le réveiller de force. Il lutte, se renfonce sous le drap et je dois le priver de ce plaisir là.
Oui, je devais le réveiller, lui faire boire son chocolat chaud et slurp, le faire patauger dans les flaques d’eau et flic et floc, alors qu’il a des yeux minuscules de Boutchou encore ailleurs, on ne sait où.
En fait, ce sont mes parents qui l’ont amené au centre de loisirs ce matin. Moi je travaillais. Moi, je ne fais que ça : travailler. Et ça en devient grotesque un peu, d’avoir un bac + 6 et de bosser pour 10 euros la page, la pige. Y passer tout son temps et en avoir des insomnies.
Mais je suis allée le chercher au centre de loisirs. La lumière était belle et mauve. Les feuilles mortes étaient entravées dans leur descente par un bâton, un mouchoir en papier, un joli détail. Et je calculais comment partager mon temps entre lui, les jeux à faire avec lui, et mes clients qui attendaient autre chose. Je ne sais pas vraiment quoi. Mes clients qui attendaient d’être ce qu’il y a de plus important pour moi. Ce qui n’arrivera jamais, en réalité.
Ce n’est pas que je regrette de m’être mise à mon compte puisque je n’avais plus le choix. C’est que sans cesse je me demande comment équilibrer mon envie d’autonomie et mon rôle de maman. Comment faire en sorte que je sois dans une situation qui me convienne et qui soit positive pour mon fils ?
En attendant, le ciel était beau tout à l’heure. Il était même magnifique, sans déc’, aussi sombre que lumineux. Et mon enfant me souriait en sautant au-dessus des flaques (et pas dedans), et flic et floc, en attendant demain. En attendant demain ?
Et il me demandait : « pourquoi il fait nuit ? » « Pourquoi il fera jour tout à l’heure ? » « Pourquoi il n’y a plus d’étoiles quand il y a du soleil ? » « Pourquoi papa doit travailler ailleurs ? » « Pourquoi il y a des araignées à la maison ? » Et j’étais tellement fatiguée.
Moi, je me demandais simplement pourquoi je passais mes journées à bosser pour un salaire risible, comment j’en étais arrivée là. Et je songeais que j’étais nulle mais je ne pleurais pas car mon enfant était aussi beau que le ciel, c’était déjà ça. Moi, j’étais très déprimée, mais flic et floc j’ai souri et tout au long de la soirée, j’ai veillé sur lui.
Des bises, à défaut.. 🙂
Merci 🙂
La nuit et la pluie passèrent et au matin, je me sentis mieux.
C’était un texte « défouloir », écrit directement dans l’éditeur de WordPress, ce que je n’ai jamais fait auparavant, c’est dire.
Bises
Il est bon de lâcher par écrit pour évacuer.
C’est appréciable de savoir que la nuit et la pluie (presque la même consonance en « ui », avec ennui, tiendrait-on un triptique de la déprime ?) passées, Tu vas mieux.
Plus ça vient, plus je pense que le rôle de parent c’est avant tout faire de son mieux pour ne rien regretter. De toute façon ça ne sera jamais parfait et reproché à l’adolescence…
Et vu ce que tu nous contes du Boutchou et de la façon dont tu es avec lui, Je n’ai aucun doute sur le fait que tu fais (oh oh oh) de ton mieux.
Je ne l’avais plus fait depuis longtemps, de me servir de mon blog comme exutoire. On peut supposer qu’en effet, j’en avais besoin.
Plutôt bien vu pour le triptyque mis à part que j’aimerais assez pouvoir m’ennuyer, au moins le temps de souffler. Et puis, conjuguer le verbe « déprimer » était une erreur. C’est plutôt de stress qu’il s’agit, ça rime très bien avec « détresse » mais pas vraiment avec « ui ».
En fait, avant de faire ce job, je me disais que l’avantage c’était que je pouvais accepter ou refuser des missions à ma convenance. Sauf que lorsque tu as fidélisé des clients (et j’en ai fidélisé plusieurs, ce qui est cool en à peine plus de 6 mois d’activité), tu acceptes les missions suivantes par peur de les perdre. Or, à quelques exceptions près, je ne sais jamais quand ça va tomber, donc impossible de me faire un emploi du temps ni de prévoir un budget. C’est cette incertitude qui est pesante par rapport à un travail de salarié. Si on y ajoute un constant manque de confiance en mes capacités, le sentiment de perdre le contrôle survient vite. Je sais pourtant que c’est stupide. Hier soir, j’avais l’impression que je n’arriverai jamais à terminer mes 4 projets à gérer d’ici vendredi, or je les ai achevés aujourd’hui. Et puis je suis de mauvaise foi dans mon texte (auto-apitoiement, etc.) puisque j’ai reçu une augmentation financière.
En ce qui concerne le rôle de parents, j’avais déjà le même avis que toi avant d’avoir un enfant. Alors peut-être qu’au début, j’ai un petit peu idéalisé mon rôle de mère mais je suis assez vite tombée de mon piédestal imaginaire. Je sais que je fais pour le mieux. Mais bon, entre ce qu’on sait rationnellement et ce qu’on ressent…
allez : tête haute et démarche cambrée, tu vaux plus que ce que tu crois en tant que Mère….
Je vais essayer de m’en rappeler ! 🙂 Merci.
Tu l’as sans doute déjà fait mais sinon, dresse une liste de tous tes clients depuis ton installation, de la quantité de travail qu’ils t’ont donné et du revenu que tu en as retiré à chaque fois, et focalise toi sur les 3 qui composent plus des 2/3 de ces revenus avec le moins de travail à fournir. Ceux-là sont à privilégier et pourquoi pas proposer de développer un partenariat régulier, qui sera aussi confortable pour toi (revenu assuré) que pour eux (travail de qualité livré dans les délais). Pour les autres, tu peux te permettre de refuser du travail de temps en temps si tu as déjà d’autres projets en cours (à l’évidence source de distraction et de stress).
(En gros ta charge de travail correspond-elle à tes revenus?)
Oui, j’ai un fichier Excel avec toutes ces informations. Pour certains d’entre eux, les choses sont claires, je dois remettre une rédaction chaque mardi et j’ai déjà la liste de tous les sujets du mois, par exemple. L’entreprise qui m’apporte le plus de revenus actuellement est aussi celle qui me paie le moins et qui m’emploie de manière imprévisible (20 textes à rédiger tel mois, 1 seul le mois suivant). C’est donc un peu mal foutu.
Dans l’ensemble, je crois que je n’ai pas encore assez d’ancienneté pour me permettre de refuser du travail. Je ne l’ai fait qu’une fois avec un client que je ne « sentais » vraiment pas. Je ne suis pas certaine que ma charge de travail corresponde à mes revenus. Mais en tout cas, je peux dire que c’était bien pire au début de l’année.
Bref, je te remercie d’avoir fait l’effort de me donner ces pistes de réflexion.