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morceaux de journées

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Trop de travail, encore des cartons à vider, etc. alors j’écris juste pour conserver quelques traces de ma semaine avant qu’elle ne s’estompe]

* (Mardi). Les livres centenaires jamais ouverts aux pages collées que je dévérouille soigneusement pour accéder au titre (en fait j’en découpe toujours un petit peu plus par curiosité, balayer les feuilles du regard comme comme si des trésors pouvaient s’y dissimuler), les minutes alanguies, des lapsus à répétition : “inviolable” à la place “d’indémontrable”, “condamnation” au lieu de “compassion”, “étripé” là ou il était écrit “extirpé”, “hallucinogène” à la place d’”halogène”… Je n’ai pas attendu l’arc-en-ciel quand il pleuvait au soleil parce qu’il était trop prévisible, mais sous le ciel obscur du lendemain, j’ai regretté de ne pas avoir glissé quelques couleurs pastels sous mes paupières. Le promeneur me dit : “c’est incroyable comme la nature change avec les saisons”. Votre phrase est vraiment très banale monsieur, mais je l’ai pensée aussi. Comment l’éviter face aux branches décharnées, aux brins d’herbes jaunis rêches desséchés, aux feuilles de plus en plus recroquevillées… Un petit garçon avance fièrement sur un petit mur bétonné, la main à proximité de la grille malgré tout. Moi aussi j’adorais marcher au bord d’un vide – qui me semblait immense même s’il n’était pas réellement dangereux – sur un espace aussi étroit que mes chaussures. Mon père ayant le vertige, il m’empêchait d’accéder aux endroits un peu trop élevés, alors ma mère m’y amenait en cachette et, tout en me suivant avec les bras grands ouverts, elle répétait “tu ne le lui dis pas c’est notre secret”. J’ai entendu cette phrase à de multiples occasions d’ailleurs et quelques-uns de nos secrets me paraissaient lourds à cacher… Journée mécanique distante et grise. La lune exagérément ronde au dessus de l’immeuble, les phares éblouissants, des visages tristes et fatigués dans le bus… Toute seule au milieu de la place, une femme ne cesse de répéter : “à la banque, il n’y aura pas d’argent”, de plus en plus fort, elle le crie haineusement aux passants comme pour les empêcher de détourner leurs regards, mais personne ne la voit ni ne l’entend réellement. En passant devant elle, je lui dis quelque chose de vraiment bizarre : “pardon”, énoncé d’une voix atone parce que je ne me sens nullement coupable en réalité. Alors même que je me demande pourquoi je viens de prononcer ce mot face à elle, elle se tait brutalement et me fixe de ses yeux noirs globuleux, cheveux huileux collés sur ses joues boutonneuses. J’ai envie d’enlever mes talons pour courir, malgré le troignon de pomme rouge qui se balance sur l’égoût, les mégots, la canette de bière cassée, les traînées noirâtres sur la chaussée… Perdre haleine afin de me sentir plus vivante… Mais je m’oblige à marcher calmement en réprimant mes envies de voler en éclats. Et malgré le “oui” spontané qui surgit en lisant un sms : “Tu es morte ?”, je réponds rationnellement “non, juste très occupée”.

* (mercredi) Il continue à me dire qu’il m’aime et à me demander de l’embrasser. Ni le “c’est interdit pour toi” ni le “je ne t’aime pas” ne le dissuadent. Je suis un brin attendrie en l’entendant dire d’un ton plaintif “mais je n’ai jamais embrassé de femme !” Il va finir par me persuader que je fais une bonne action si j’accepte… Non non non, rester catégorique et décidée, pour une fois. Accepter pour lui faire plaisir ne pourrait que m’attirer des ennuis. Des noix ramassées dans l’herbe humide me rappellent les paniers en osier que je remplissais avec les noix du jardin quand je vivais dans la campagne normande. A l’époque, c’était une corvée infligée par mes parents ; pourtant, me remémorer ce souvenir me rend joyeuse aujourd’hui, c’est étrange. Les roses multicolores grandes ouvertes et gorgées d’eau sont tournées vers moi, elles détournent trop souvent mon attention des livres. A 17 h 40, Mon Petit Vieux Préféré m’ordonne “vous avez assez travaillé, il est temps de se reposer”. D’habitude je finis à 18 heures mais tant mieux, j’aurais le bus précédent, me dis-je. En me montrant sa mini-chaine, il m’explique : “C’est un enregistrement que j’ai fait en 1968″. D’accord, en réalité il veut seulement me faire écouter attentivement sa musique, ce n’est pas la première fois, Mon Petit Vieux Préféré est un mélomane. “Asseyez-vous, vous entendrez mieux” en désignant son fauteuil en cuir. Adieu le bus, je m’assois donc. “Fermez les yeux”. Exécution, il augmente le son. Au début je repère surtout les toussotements dans la salle de concert, le bruit de la bande usée, et la mauvaise qualité des balances. Finalement, je commence à me concentrer sur le chant, une voix féminine particulièrement pure et éthérée, des violons l’accompagnent… “Qu’est-ce que c’est ?” “Des chants gallois” murmure-t-il. Entre deux morceaux, j’entrouvre subrepticement les paupières, il regarde loin devant lui en souriant avec ravissement. “La qualité a vieilli, mais ça me rappelle des choses…” chuchote-t-il, sa nostalgie est palpable. Je n’arrive plus à savoir si j’aime objectivement ce qu’il me fait entendre, ou si je me contente de m’imbiber de ses propres émotions.

* (vendredi) En découvrant mon nouvel appartement, ma mère constate : “c’est l’appartement idéal pour un jeune couple”. Elle a l’art d’enfoncer la lame dans la plaie à peine refermée, sans le vouloir. Comme dans l’ascenseur, peu de temps après la rupture, lorsqu’elle m’avait dit avec des sanglots dans la voix : “tu avais l’air tellement heureuse avec lui, je ne t’ai pas vu souvent heureuse ces dernières années”. Je pensais à autre chose, je n’en parlais absolument pas et et vlan, une phrase avait suffit à m’abattre. Enfin cette fois-ci c’est différent parce que je n’ai plus aucune envie de vivre avec lui de toute façon. Sa remarque ne provoque qu’une pointe de déception, comme si j’avais accidentellement posé la main sur une épine dissimulée dans un buisson de tiges toutes lisses, uniquement parce que nous avions projeté de vivre ensemble…
Bien décidée à faire un rangement digne d’une bibliothécaire, je sors mes livres des cartons. Je saisis Ensemble c’est tout d’Anna Galvada. Dedans il y a une photo de lui, enfin 4 photos d’identité. J’observe ce visage avec une curiosité étonnée : qu’est-ce qui m’a plu dans ses traits au point de vouloir conserver son image ? Après une dispute, il m’avait offert ce livre accompagné d’une ligne paraphrasant le titre “Tu ne comprends donc pas ? Ensemble c’est tout !” Ce point d’exclamation, comme un slogan ou un refrain entraînant, “ha ça ira ! ça ira !”, “l’union fait la force !” “allons enfants de la patrie !”, ces phrases proclamées pour demander à l’autre d’y croire, (lui) se donner de l’espoir, avancer à plusieurs vers un objectif commun, motiver la troupe… Par association d’idées, je me revois assise dans la petite cuisine lorsque sa mère m’avait demandé “combien de sucres ?” Il avait répondu à ma place : “1 et demi”, avant d’ajouter : “on est les mêmes”. Et puis dans le métro, nos silhouettes se reflétaient, j’avais fait remarquer : “nous sommes mal assortis” ; Il avait objecté “on a l’air de ne pas aller ensemble, mais en fait on est pareils” Mais : goûts, corps, sang, peuvent se partager, se mélanger, s’incorporer, sans nous rendre “pareils”. Avec – sur – dans – entre – pour – l’autre, sans faire de nous “les mêmes”. Alors, comment fait-on pour être ensemble ?

* (mardi soir) Je ne m’attendais vraiment pas du tout à son appel téléphonique. 1h40 de discussion calme, posée. “J’espère que maintenant tu te rends compte que j’ai réfléchi, admis mes torts et évolué pendant ces quelques mois.” Oui mais… J’avais besoin d’entendre ça il y a 2 mois, pas maintenant, parce que aujourd’hui ça n’a plus aucune importance. Tu n’as plus aucune importance. “J’ai envie de te voir parce que pour moi tu es toujours mon amie, je n’ai aucune animosité contre toi même après la façon dont ça s’est terminé”. Silence. “allo ? tu n’as aucune réaction ?” je suis souvent silencieuse au téléphone, mais en l’occurence c’est la stupéfaction qui me rend muette. “Je suis soulagé de t’avoir parlé, et donc si tu as envie de me revoir, tu me le dis, tu m’indiques une date… Tu choisis. Et si tu ne veux plus me revoir parce que tu juges que je n’ai pas assez d’importance, j’aimerais que tu me le dises aussi.” En raccrochant, je me demande pourquoi je ne suis ni soulagée, ni bouleversée, ni rien du tout en fait. Cet appel ne me fait pas plus d’effet que n’importe quelle conversation banale. En fait, si je ressens quelque chose à ce moment là, ce doit être une sorte d’auto-satisfaction, de fierté, car pour la première fois je suis dans la position de celle qui décide après plus d’un an à être suspendue à ses volonté. Je me souviens très bien des périodes “je n’aurais plus aucun contact avec toi jusqu’à ce que tu me prouves à quel point tu tiens à moi, je ne peux pas de dire combien de temps ça prendra, ça ne dépend que de toi.” Le manque ressenti alors était insupportable, j’innondais son appartement de fleurs, je ré-écrivais des lettres cent fois, je guettais mon téléphone et mes mails et à cette époque, s’il m’avait dit “indique-moi une date”, j’aurais été capable de sauter dans un train à la minute même. Maintenant, non seulement je suis libre de décider, mais surtout le fait de devoir faire ce choix ne me torture pas. Cette indifférence a un arrière-goût de victoire.

* (dimanche) ma mère : – Elle était très inquiète parce que son fils de 4 ans ne parlait toujours pas. Et puis en arrivant chez elle l’autre jour, l’ampoule était grillée, et son fils a dit “il n’y a pas de lumière”. Elle s’est écrié : “il parle ! il parle !” En fait il ne parlait pas parce qu’il n’avait rien à dire.
moi : – Et moi, j’ai commencé à parler tôt ? C’était quoi mon tout premier mot ?
Ma mère : – Tu as commencé à parlé très tôt, toi. Ton premier mot était “non”. Tu avais déjà un caractère bien affirmé !
J’étais déjà une emmerdeuse…

[Demain, entre 14 heures et 15 heures, l’un de mes textes sera diffusé sur la Radio Suisse Romande dans l’émission Journal Infime. Je suis assez intriguée, tant par le choix du texte que par l’idée de l’entendre lu à haute voix par quelqu’un d’autre. Mais je serais dans l’incapacité d’écouter l’émission à ce moment là. Si jamais il y a des curieux parmi vous ou des habitués de cette émission, je serais curieuse d’en apprendre plus après la diffusion…]

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