Déceler des visages et des formes dans les objets empilés dans la semi-obscurité, dans les fissures des plafonds, des portes, dans les allées, les nuages…

Ramasser les feuilles automnales, quand elles sont pleines de couleurs caramélisées.

Peindre avec les doigts et en avoir partout même sur le nez, comme à la maternelle.

Regarder ma mère cuisiner, parce que ses mélanges de couleurs font des plats qui ressemblent à des tableaux.

Expirer la fumée de cigarette dans le Demi de bière, les pétillements et les volutes en font une potion magique.

Fumer collée contre le chauffage face à la fenêtre ouverte, le mélange des températures associé à la nicotine me fait tourner la tête.

Inventer un passé incroyable et une personnalité tourmentée à l’inconnu(e) que je vais croiser chaque matin (dans le métro, dans la boulangerie…), rêver secrètement de lui parler un jour dans l’espoir de découvrir que tout était vrai.

Regarder avec commisération les caissières de supermarché et les employés polyvalents du Mc Do en sachant que je ne suis plus à leur place.

Quitter un cours au moment de la pause, pour la sensation d’avoir gagné des heures de temps libre pendant que les autres resteront enfermés.

Recopier des pages de livres, les plus jolies, celles dont on aurait tant aimé être l’auteur, puis les lire à haute voix, s’en imprégner.

Ecrire dans des cahiers les phrases étranges des conversations des gens, celles dont on ne saisit que des extraits.

Regarder les petites filles jouer dans les parcs pour enfant, en regrettant de ne plus avoir la taille nécessaire pour faire du toboggan

Faire des bulles de savon avec l’appareil à bulles, en hauteur, et voir les gens lever les yeux avec stupéfaction pour savoir d’où ça vient.

Regarder les vieilles photos, celles où je souriais tout le temps, quand la fierté des parents pour leur progéniture se voit à la façon dont la photo a été prise.

Croire tous les soirs que demain, je ferais tout ce que je devais faire il y a deux mois, et tout ce que j’ai envie de faire maintenant, parce que la journée se sera mystérieusement rallongée, par la seule force de ma volonté.

Déballer le plastique d’un CD neuf et tourner les pages du livret pendant que le premier titre commence.

Chanter des chansons dans ma tête, en fonction du ryhtme de mes pas, des bruits aux alentours, ou du ronronnement du moteur de la voiture.

Mettre ma chaîne en mode réveil avec Garbage, Sleater Kinney, Metric, Bikini Kill ou All girl summer fun band parce que c’est l’unique moyen de me faire sortir de ma couette énergiquement à 6 heures du matin.

Marcher sous la pluie en écoutant des chansons post rock, ça s’accorde à la luminosité, tout a l’air plus irréel.

Chasser la tristesse en s’emmitouflant de Belle and Sebastian.

Magnifier les déprimes avec Disintegration ou Pornography des Cure, et la mélancolie avec les Smiths.

Les Beatles, rappel de ma première histoire d’amour importante, avec un lycéen que je regardais comme une star parce qu’il avait des badges et une guitare.

Nirvana, quand les chambres de l’internat étaient couvertes d’affiches de Kurt.

Les Pixies, premières cuites, “caribou” et “where is my mind” en boucle dans mon baladeur.

Les deux premiers albums des Cranberries, cette voix qui déclenchait mes larmes, et cette personnalité arriviste qui me fascinait, grosse déception par la suite et disques reniés.

Placebo, mon premier concert, quand il y avait moins d’hystériques et que les concerts duraient plus de 3/4 d’heures, découverte de ces lieu étrange et d’une union irrationnelle.

Entendre quelque part, par hasard, les Doors ou Jimmy Hendrix, ça me rappelle l’enfance, les soirées nichée dans le fauteuil en cuir du salon à lire la collection de Tintin de mon père en l’écoutant raconter encore comment c’était Woodstock.

Renaud, Nougaro, Janis Joplin, c’est ma mère, réinterprétant ses chansons favorites sur une plage, en chantant faux, sans se soucier des personnes aux alentours. Fumant sa cigarette en jetant des coups d’oeil pour vérifier que mon père ne la voit pas, elle parle du concert contre le Vietnam, des trips aux acides, des odeurs d’opium, des transes collectives, de l’époque où elle était belle, de ses envies de “ne jamais se marier et être entourée d’amants”… “on ne peut pas être et avoir été” signe la fin des confidences nostalgiques.

Se dire que la musique sera toujours là pour m’accompagner, quel que soit le cours des événements.

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