En 2014, pour la première fois ou la seule dont je me souvienne, je me suis étourdie en dansant la Capucine plusieurs fois par mois. J’ai entendu mon fils prononcer ses premières phrases avec son intonation singulière (je veux ouvrir la por. Teuh. Pour rentrer dans la maison. Mmm.). Je l’ai accompagné dans une salle de classe. J’ai crié parfois face à lui, involontairement, chose que je n’aurais jamais faite quand il ne communiquait que par des pleurs. J’ai constaté que toutes les amies qui avaient eu un enfant la même année que moi donnaient naissance au second ou l’attendaient et je me suis sentie marginale, surtout après avoir lu cet article. (A Noël, l’une des cousines de mon amoureux, radieuse, m’a annoncé la naissance prochaine de son quatrième enfant en six ans. Elle a ajouté : « J’ai toujours déclaré que j’en aurais quatre et que je resterai à la maison pour m’occuper d’eux, c’était mon rêve. ») J’ai utilisé une vapoteuse tout en préférant mes cigarettes mentholées habituelles (j’aurais tellement préféré être accro à la cigarette électronique pourtant…). Je n’ai vu aucun concert et je ne suis allée au cinéma qu’une seule fois. Je n’ai lu qu’une dizaine de livres mais dans des genres très différents, comme pour compenser mon manque d’évasion. Je suis entrée dans une salle de sport. J’ai couru pendant une heure quinze (« j’ai dû m’arrêter parce que j’avais un peu mal là, à cet endroit, là tu vois… – ça s’appelle un point de côté Junko… – Ah c’est ça un point de côté ! J’y avais pensé mais je n’étais pas sure que ce soit vraiment ça ») et j’ai rêvé de participer un jour à la Sainté-Lyon. J’ai fini d’écrire le texte d’une pièce de théâtre et j’ai mangé du zèbre, mais pas simultanément.
Je ne sais pas si 2015 sera une bonne année ou non pour moi. De toute façon, c’est souvent quand je me crois à un tournant positif de ma vie que je me prends une impasse en pleine gueule. En corrigeant le 4 – que j’avais machinalement inscrit sur un chèque – pour en faire un 5, j’avais vaguement l’impression d’être dans le futur. Où sont les voitures volantes et les billets pour aller passer les vacances sur la Lune ? Je me rappelle que mon professeur de CM2 (nous étions donc en 1990) prétendait qu’en l’an 2000, les voyages touristiques dans l’espace nous paraîtraient moins exotiques que les embouteillages sur l’autoroute. Remarque, je suis déjà trop souvent sur une autre planète tandis que je n’ai pas de voiture. En tout cas, à la place ces progrès technologiques fantasmés, des fanatiques exécutent des dessinateurs… mais bref, je ne raconterai pas le choc face à l’inimaginable (« Putain, c’est pas vrai… » a été ma première phrase en lisant les infos), ni les sanglots de ma mère au téléphone. Je n’expliquerai pas non plus pourquoi je suis mal à l’aise à l’idée d’écrire « Je suis Charlie » où que ce soit malgré tout. Tant de textes ont été écrits au sujet de cet attentat qu’à quoi bon en rajouter. Ce n’est pas comme si j’avais besoin d’en garder une trace écrite pour m’en souvenir.
J’ai commencé l’année 2015 avec une sorte de grand ménage de passé. J’ai pris un sac poubelle pour tout ce qui me paraissait vraiment trop inutile : la carte d’abonnement à Vidéo Futur que j’utilisais en 2001 pour emprunter des nanars horrifiques avec ma copine Marion à Aix-en-Provence, des cosmétiques desséchés et probablement cancérigènes que j’avais reçus à Noël dans les années 90, ou encore ce t-shirt avec un visage mi Reine d’Angleterre-mi tête de mort tellement ridicule que personne n’en veut même à 1€ sur Le Bon Coin. Ma syllogomanie ne me gênait pas tant que je vivais seule. Avec un gosse qui semble en avoir hérité (si j’en crois sa manière de s’accrocher à ses premiers hochets de nouveaux-nés à chaque fois que j’envisage de les transmettre à d’autres bébés pour les rendre heureux et, accessoirement, pour remplir mon compte en banque vide), la situation devenait dangereuse. J’avais peur de finir ma vie comme Homer Lusk Collyer. (Est-que toi aussi, quand tu lis sur Wikipedia : « l’aîné fut écrasé par une valise et trois énormes liasses de journaux alors qu’il rampait dans un tunnel de journaux pour apporter à manger à son frère paralytique aveugle », t’as l’impression qu’il manque l’introduction de Jean-Marc Morandini : « Aujourd’hui dans Tout est possible… » ?) Je me demande si j’aurais fini avant de déménager étant donné qu’il m’a fallu une semaine pour faire le tri dans une seule commode.
Les visites d’appartement ne m’aident pas à être efficace. Heureusement, je commence à décrypter la langue des petites annonces et à savoir que « haut potentiel pour cet appartement » signifie « logement délabré et insalubre, compter 200 000€ de travaux au minimum », ou que « rafraichissements à prévoir » veut souvent dire « appartement de vieux décoré de manière hideuse. » On progresse toujours mieux en territoire inconnu quand on maîtrise le jargon. D’ici six mois au maximum, je cesserai d’écrire sur un bout de canapé rouge ou sur le coin de table noire dans la salle à manger. J’aurais un bureau où recevoir des gens pour écrire à leur place. Vis à vis de moi-même aussi, cet espace propre m’est indispensable. Comment pourrais-je me concentrer sur un texte quand, à chaque fois que je lève les yeux, tous les éléments de la pièce – inanimés ou non d’ailleurs – me rappellent que j’ai des tâches moins plaisantes mais plus urgentes à faire ?
Dans deux jours, j’irai découvrir le spectacle dans lequel des comédiennes interprétent le texte que j’ai écrit. Ce sont elles qui jouent mais je ressens quelque chose qui ressemble à du trac tous les soirs depuis la première. Le théâtre se situe à côté du dernier appartement que j’ai occupé à Lyon, alors je me revois dire à mon amoureux qu’il faudrait qu’on y aille pour voir une pièce un jour, 5-6-7 ans auparavant. M’y rendre pour la première fois en tant qu’écrivaine après avoir déménagé à soixante kilomètres de là, c’est simplement insensé. Face à ce constat, toute tentative pour prévoir les évènements à venir est absurde, n’est-ce pas ? Je n’ai pas trop peur de 2015 car j’ai cessé d’être effrayée par les routes qui ne mènent nulle part. En revanche, j’aimerais que cette blagueuse d’existence, à l’humour parfois trop noir, épargne mon gosse aux genoux bleutés par la témérité, et qu’elle m’amène de temps en temps à sourire en lisant les nouvelles du jour, pour changer. Que 2015 nous soit belle et agréablement surprenante, à tous.
(Que j’aime ton écriture, un peu « à bout de souffle » et pourtant pleine de souffle).
J’ai du mal à souhaiter bonne année, depuis la semaine dernière. BIzarre.
Mais je vous souhaite bien des bonheurs, individuels, familiaux, collectifs, et tout ça.
Et pour les enfants, y en a bien qui mettent 8 ans entre le premier et le deuxième, alors… (et puis parfois, il y a des enfants uniques et ce ne sont pas nécessairement des enfants malheureux).
(J’ai écrit le texte dans l’urgence le jeudi soir tard. Je devais partir à Lyon le lendemain soir après plusieurs visites d’appartement pour voir la pièce le samedi soir. Je savais que je n’aurais pas la possibilité de me connecter avant dimanche. Si j’avais attendu de pouvoir me relire ou travailler sur mon texte, le début du troisième paragraphe n’aurait plus été d’actualité, alors j’ai préféré poster mon brouillon. C’est surement de là que vient cet aspect « à bout de souffle » : beaucoup de choses en tête à écrire et très peu de temps pour le faire… Quoi qu’il en soit, je suis contente que tu l’aimes.)
Je te remercie d’avoir fait cet effort quand même alors. Et je te souhaite tout autant de bonheurs, petits et grands.
Je suis une fille unique de parents enfants uniques. Sans que je sache très bien l’expliquer, je suis certaine qu’il y a un lien. Ceci dit, je n’exclue pas la possibilité d’avoir un autre enfant un jour… Je suis seulement à peu près sure que je n’aurais aucun regret si je devais n’en avoir qu’un.
Une bonne année aussi !
Pour le déménagement à venir, je te rassure : tu mets tout dans des cartons et tu ne t’en occupes qu’après le déménagement suivant 😉
Merci !
🙂 C’est plus ou moins ce que j’ai fait lors de mon premier déménagement lyonnais. Après coup, c’était une bonne idée puisque je l’ai quitté un an plus tard. Mais là, je m’apprête à devenir propriétaire et à passer plusieurs années dans cet appartement, alors bon… En revanche, comme je vais avoir énormément d’espaces de rangement dans ce nouveau logement, je crains d’être tentée d’entasser encore plus de trucs inutiles pendant les années suivantes…
Kowalsky +1, c’est ce que j’ai fait la dernière fois (je n’aurais jamais eu le temps de faire autrement…).
Je me souviens du découragement ressenti à cause des cartons entassés que je ne trouvais pas le temps de vider à la naissance du petit… Pour ma part, je n’ai aucune envie de revivre cette situation !
Que ton année soit belle, Junko! et quelle belle façon de la débuter que d’assister à une pièce que tu as écrit 🙂
Quand je me dis « quand même, est-ce que c’est bien raisonnable de garder ça? », on me répète « tu n’as qu’à déménager, tu feras le tri à ce moment là. » Le déménagement n’étant pas à l’ordre du jour, des crises de tri aiguës me prennent de temps en temps, suffisamment pour que l’appartement reste vivable. Une famille « on garde ça, parce qu’on ne sait jamais »… qui a laissé son empreinte plus profond que je ne le croyais.
Bon chasse au « chez-vous »!
Merci ! Oui, quelque part, symboliquement, c’est bien de la débuter ainsi… La salle était pleine et les retours positifs. Même mon amoureux, toujours sincère quitte à être blessant, a aimé mon texte et a jugé qu’il pouvait être publié en faisant quelques modifications. Que ce soit vrai ou non, ça donne de l’espoir mine de rien…
c’est amusant car je suis plus ou moins dans la situation opposée. Ma mère adore ranger et jeter. Je l’ai vu mettre à la poubelle des jouets, des vêtements, des chaussures, et même des lettres qui m’appartenaient et que j’aurais aimé garder. Je me demande si ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai tendance à accumuler autant. D’ailleurs, elle est toujours consternée par « tous ces trucs inutiles » que j’entasse. Ceci dit, la description que tu faisais de ton appartement dans une note récente me donnait l’image d’un endroit très agréable, petit, peut-être encombré, mais chaleureux et vivant.
Je crois qu’on a trouvé notre nouveau chez nous… Enfin, on hésite entre trois appartements mais dans tous les cas, je sens qu’on va y être bien.
Je te souhaite aussi une très belle année.
Tant de choses à dire sur ce post.
D’abord merci, je sais désormais que j’ai une syllogomanie.
Ensuite, bon courage dans la recherche de cet appartement. Mais tu as déjà fait 50% du boulot : maintenant que tu sais décrypter une annonce, tu sauras mieux les trier.
Enfin, as-tu vu la pièce comme annoncé ? Ta réaction ?
Bon courage et bonne année (oui, bon, c’est un peu tard mais avant j’avais pas internet pour pouvoir la souhaiter…)
il faut croire que les syllogomanes ont des affinités car tu es loin d’être le seul de mes amis à faire cette découverte.
Pour l’appartement, il y a une certaine pression quand on souhaite acheter et non louer. Pour plein d’appartements, nous nous sommes dit (mon amoureux et moi) : si c’était pour une location, on le choisirait sans hésiter mais bon, quand même, on s’engage pour quelques années… Ceci dit, nous sommes dans une ville où il y a beaucoup d’appartements à vendre à un prix extrêmement bas, ce qui nous pousse aussi à faire de longues recherches. J’ai beau avoir horreur des déménagements, j’ai hâte d’y être, autant pour des raisons financières que pour pouvoir démarrer ma reconversion professionnelle.
A propos de la pièce, voir interpréter son propre texte est une expérience très étrange. Je n’arrivais pas vraiment à m’émouvoir en entendant mes phrases et en connaissant d’avance l’évolution de l’histoire. Je trouvais la mise en scène intéressante et l’interprétation juste dans l’ensemble, mais j’étais aussi occupée à dire leurs répliques avec les comédiennes dans ma tête. Par conséquent, il m’était impossible d’avoir le même aperçu qu’un autre spectateur. Heureusement (ou non, ça dépend de la situation), j’ai un amoureux parfaitement sincère, qui dit tout ce qu’il pense sans prendre la peine de se demander s’il risque de me blesser ou non, alors quand il m’a dit qu’il avait aimé le texte et que même s’il y avait quelques défauts selon lui dans l’évolution de la pièce, il y avait vraiment une bonne base pour faire un spectacle super intéressant, ainsi qu’une publication de la pièce, je le crois. Je vais essayer de la retravailler et de voir si elle peut être publiée. Je n’ai rien à perdre à essayer… De leur côté, suite aux premiers retours, les comédiennes vont aussi modifier certaines choses. Une vidéo de la pièce est également prévue. Je te tiendrai au courant de tout ça si tu veux…
Merci et bonne année tardivement à toi aussi. J’avais prévu de répondre à tes mails beaucoup plus tôt et quelque part, ça me rassure de savoir que tu n’aurais pas pu les lire de toute façon. Bon là, entre les recherches d’appartements, les discussions avec les banques et les concours de nouvelles dans lesquels je me suis lancée, les journées passent à une vitesse folle. Je t’écriai très bientôt néanmoins.
Chère Junko,
J’ai tapé ton pseudo alors que je m’arrachais les cheveux en cherchant un nouveau pseudo pour commencer mon 50e blog. Je me suis souvenue de toi et je me suis dit : ça c’était un chouette nom, de ceux qu’on n’oublie pas. Je me souviens de ce café il y a maintenant plus de 10 ans alors que j’allais passer le concours de Sc-po Aix 🙂
Contente de te retrouver ici, c’est toujours un plaisir de te lire.
Caroline
Chère Caroline,
Si peu d’entre nous tiennent encore des blogs 10 ans après avoir été sur ublog que je suis toujours émue quand je retrouve une blogueuse que j’aimais lire. Cette « résurrection virtuelle » est une très bonne surprise ! Et puis tu es aussi la première personne que j’ai rencontrée grâce à mon blog… C’était une première fois dans un contexte un peu particulier, mais ce n’est pas un mauvais souvenir pour autant.
Je vais immédiatement aller découvrir ce que tu deviens.