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“Sometimes I feel like I’m seeing it all at once, and it’s too much; my heart fills up like a balloon that’s about to burst… And then I remember to relax, and stop trying to hold on to it, and then it flows through me like rain, and I can’t feel anything but gratitude for every single moment of my stupid little life.”

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* Je suis assise dans un train non-climatisé et je sens ma peau cuire sous le large rayon de soleil. Sur la banquette en face de la mienne, deux enfants inconnus, apparemment frère et sœur, dessinent consciencieusement. La petite fille se lève de temps en temps pour faire tourner sa jupe coquettement, ou pour séduire son père en minaudant (lequel semble rester indifférent). Le petit garçon, crayon entre les lèvres, me demande quel est mon “animal préféré sur la mer et en dehors de la mer”. Il s’applique à le dessiner, la petite fille décide de faire de même. Ils ne s’interrompent que pour me demander mon prénom. Et puis “voilà ! Tu trouves qu’il est beau ?”. J’ai dans les mains 2 feuilles de papier contenant 3 dessins : un chat rouge jaune et bleu avec un dos pointu, un œil au centre de la tête et quatre pattes d’éléphants ; un tout petit oiseau posé sur un grand arbre (tronc énorme surplombé d’une sorte de trèfle à plusieurs feuilles) et un oiseau gigantesque posé sur deux œufs. “Attends, j’ai oublié quelque chose, c’est très important” s’exclame la fillette en pouffant, avant d’ajouter un point sur le bec de l’oiseau. Mais oui c’est important, comment pourrait-il respirer sans narine ? En descendant du train, je m’étonne d’être aussi touchée et amusée par ces modestes cadeaux. Si j’étais sortie à l’arrêt suivant, j’aurais également eu un dauphin ressemblant à un ballon de rugby.

* Je suis dans un bus quasiment désert, un soir, quand j’entends un adolescent gringalet ordonner au chauffeur : “donne-moi ton argent”. Le chauffeur rigole. Le gringalet persiste en essayant obstinément d’avoir l’air méchant : “j’ai regardé, y a pas de caméra dans ton bus, je peux tout casser si je veux !”. Le chauffeur se marre de plus belle, tout en tournant les boutons de sa radio. “Putain file-moi tes thunes, déconne pas avec moi !” supplie l’autre nerveusement en sautillant d’un pied sur l’autre. Le chauffeur, sourire aux lèvres, sifflote joyeusement l’air de Dr Renaud, Mister Renard. A l’arrêt suivant, le gringalet sort, humilié et vaincu.

* Je suis dans un autre bus rempli, un jeudi en fin d’après-midi. La radio passe une chanson de Nirvana. Je la chantonne dans ma tête dés les premières notes. Une fille commence à siffloter la mélodie tout doucement derrière moi, bientôt suivi par un garçon qui murmure les paroles, une troisième personne tape le rythme du bout des doigts sur le dossier du siège. Echange de regards complices. La scène me rappelle ce jour où, quand j’étais caissière au Monoprix, la radio avait soudain (après Lara Fabian et Florent Pagny c’était inattendu) diffusé la chanson la plus connue des Pink Floyd. Dans la file, cinq personnes s’étaient successivement mises à la chanter aussi. Pareil événement ne s’était et ne s’est jamais reproduit ensuite sous mes yeux, mais il est vrai aussi que les clients étaient majoritairement des gens plutôt jeunes (alors qu’au Monoprix les vieilles dames sont plus fréquentes aux caisses). Dans le bus maintenant, comme derrière ma caisse à l’époque, je me plais à imaginer une suite façon films américains et comédies musicales, quand tout le monde se met à chanter et à danser dans un contexte totalement absurde. Ce serait très divertissant. Malheureusement, encore une fois, ça n’a pas eu lieu. Quoi qu’il en soit, j’ai aimé ces deux moments où des personnes sans lien apparent entre elles, placées dans un lieu en lui-même “anonyme”, se rejoignent grâce à une simple chanson.

* Je suis assise dans la fraîcheur de la pénombre et j’écoute ce jeune religieux m’expliquer qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive, “pourquoi est-ce que mon cœur bat très vite dés que je m’approche de toi ? Pourquoi est-ce que je pense tout le temps à toi ?”. Même si ses déclarations naïves sont mignonnes, je lui fais remarquer que, tout de même, il a fait un certain choix de vie… “ça ne m’empêche pas d’être humain”. Ah, certes, mais enfin…. Voilà qu’il essaie m’embrasser dans la nuque par surprise ! “Dis-le si je fais quelque chose qui te déplaît”, “mais je n’arrête pas de te le dire ! Je-ne-t’ai-me-pas !” Regard dépité. En le voyant s’éloigner, je réalise à quel point c’est pervers malgré tout : je n’éprouve ni amour ni attirance et pourtant je ne peux nier cette excitation à l’idée que c’est interdit, pour lui, dans ce lieu, dans ces conditions. C’est une excitation liée à la transgression avec peut-être un petit quelque chose de narcissique aussi parce que c’est flatteur mine de rien (”je suis prêt à griller en enfer si je peux t’envoyer une fois au ciel”). Mais il n’y a aucun sentiment derrière alors le risque n’en vaut vraiment pas la peine. De toute façon ce n’est pas de lui dont j’ai besoin pour accéder au septième ciel…

* Je suis l’unique passagère du train à 6 heures du matin. Je rédige une lettre pour une amie d’enfance qui me demande “que s’est-il passé pendant ces deux dernières années où je n’ai eu aucune nouvelle de toi ?”. Résumer cette courte période de ma vie me pose de grosses difficultés, je ne cesse de recommencer. En fait, j’ai l’habitude d’écrire avec une certaine logique, des “parce que”, des “donc”, des “alors finalement”, mais en l’occurrence je ne vois pas la moindre logique dans ce bout d’existence, donc je me disperse. De temps en temps, je lève machinalement les yeux du papier pour observer le paysage, même si je le connais déjà. J’ai fait ce trajet tellement souvent. Alors que je regarde à nouveau à travers la vitre, sans trop y penser, je vois le soleil se lever : rond écarlate nimbé de rose qui se profile derrière la montagne. Je fais défiler impitoyablement les titres aléatoires qui se lancent dans mon baladeur : pas les Raconteurs, pas Pulp, pas les Pipettes, pas les Cure, pas Bowie, Asobi Seksu… non plus, ni pop ni rock là maintenant. Ah voilà, Dead can Dance et Hildegarde von Bingen c’est exactement ce qu’il me faut. La banquette toute douce, la solitude du wagon, l’air frais, les pensées vagabondant au fil des mots, le plaisir de lui écrire, ces montagnes colorées, l’atmosphère apaisante, cette musique à la fois émouvante et planante… Cet instant est véritablement parfait.

Citation-titre : American Beauty

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