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Frères ennemis

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Voici ma participation au jeux d’écriture(s) du Blog à mille mains. Il s’agit donc d’écrire un texte à partir d’une photo imposée. Cette dernière, très belle, a été prise Dame Ambre.

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Je suis une fille unique qui n’a jamais rencontré d’enfant unique. Curieuse, j’ai observé les relations entre frères, sœurs, jumelles et faux jumeaux avec beaucoup d’attention. Certains ne pouvaient vivre sans se voir, d’autres s’aimaient bien tout en s’agaçant mutuellement, parfois c’était le petit frère qui protégeait le grand… Mais jamais je n’ai connu de frangins qui se haïssaient autant que Juju et Seb. Ils ont dû arriver en Afrique juste avant ou en même temps que moi. Juju avait 3 ans de moins que moi, Seb 3 ans de plus. Juju était blond et avait un regard noir pétillant. ll ressemblait déjà beaucoup à son père. Seb était brun, grand, mince et avait la voix aiguë, le rire bruyant et les traits fins de sa mère. Nous vivions à proximité les uns des autres, autour d’un terrain vague où il n’y avait que des enseignants en mission de coopération d’une trentaine d’années, comme mes parents.

Seb martyrisait Juju à longueur de temps, de manière psychologique. Il l’enfemait dans un placard, cassait ses jouets préférés, déchirait le poster d’Astro le petit robot au dessus de son lit ou urinait sur son doudou. Juju se cachait pour échapper à son grand frère et, souvent, c’est chez moi qu’il se réfugiait. Je jouais, avec énormément de plaisir, le rôle de la grande sœur. Je partageais ce que je croyais connaître de la vie et du sens des choses. Je suis celle qui l’a accompagné à la maternelle pour la première fois, le serrant dans mes bras parce qu’il pleurait très fort. J’avais énormément d’affection pour ce petit garçon tendre qui adorait jouer à la Barbie avec moi, et ce malgré les moqueries des autres.

Alors pourquoi Seb détestait-il à ce point Juju ? Je ne sais que ce que je percevais petite. La jalousie est le motif le plus évident. La mère de Seb disait sans cesse à ce dernier qu’il était son préféré, « sa première émotion de mère ». Le père répétait qu’il préférait Juju, « moins couillon et pas teigneux comme son frère ». A dire vrai, Seb était agressif avec tout le monde à cet âge là, sauf avec moi. J’avais pourtant peur de lui quand il débarquait en cherchant son frère, à qui j’avais demandé de se cacher sous le lit. Peut-être espérait-il, au fond, que je protège le petit de lui ? Quoi qu’il en soit, je suis sure que Juju n’était pas encore jaloux, pas consciemment du moins. Il admirait son aîné sans pouvoir donner un sens à ce que ce dernier lui faisait subir. Et puis, un soir, un événement que je ne m’explique pas tout à fait s’est produit.

Une fête était organisée chez les parents de je-ne-sais-plus-lequel des enfants du terrain vague. Tout le « lotissement » était là. Il y avait une piscine éclairée, de la musique, de la danse et de l’alcool. Les adultes parlaient déjà trop fort, avec cette voix pâteuse qui m’inquiétait tant lorsque j’étais enfant. En ce temps là, je détestais l’ivresse des « grands ». Elle m’effrayait car je les voyais changer de comportement sans comprendre comment une boisson pouvait produire un tel effet, sans pouvoir prévoir leurs réactions. J’étais à côté de Juju quand un type titubant lui a, involontairement, mis un très violent coup de coude au visage. Le mec n’avait pas remarqué la présence d’un enfant derrière lui. Juju hurlait et le contour de son œil devenait bleu. J’étais tétanisée. Soudain, j’ai vu Seb arriver en courant, prendre son petit frère dans ses bras, l’embrasser et l’emmener vers ses parents en le tirant par la main. L’agresseur s’était mis à roupiller sur un banc.

Pendant que la mère courait chercher de la glace pour la victime, le père a engueulé Seb, lui reprochant d’avoir tapé son petit frère. Ce dernier n’a rien dit, absolument rien. Pire, me voyant ouvrir la bouche, il m’a fait un clin d’œil pour me faire taire. J’ai obéi. Je me sentais nulle de ne pas avoir réagi. Juju n’a rien divulgué non plus. Pendant que tout le monde s’acharnait sur Seb, il se contentait de téter son pouce avec l’air perplexe. Ce jour là, j’ai su que non, ce n’était pas moi la grande sœur de Juju. Je n’avais pas su quoi faire ni comment le protéger, son grand frère si. Néanmoins et contrairement à ce que je pensais à cet instant là, rien de visible n’a changé dans leur relation ensuite. Le lendemain, le grand persécutait de nouveau le petit.

Je les connais encore et je les vois parfois l’été lorsqu’ils viennent voir leurs parents qui fréquentent les miens. Ils ne sont jamais ensemble. Ils ne se parlent plus et se fuient. Seb est un militaire. D’ailleurs, il est devenu quelqu’un de pacifiste en rejoignant l’armée. Il le dit lui-même : « l’armée a donné un sens à ma vie ». Juju est enseignant. Il est aussi alcoolique. Ils ont deux enfants chacun. Malgré leur trentaine d’années, arrive systématiquement un moment, au cours de la soirée, où l’un reproche à ses parents de préférer l’autre. Je voudrais tant qu’ils se rendent compte que ce jour là, ils savaient qu’ils avaient besoin l’un de l’autre et qu’ils s’aimaient, qu’importait le préféré.

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