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Pendant que les nuages éclairaient la nuit…

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Les nuages blancs tapissaient le ciel et rendaient la nuit lumineuse. « Les nuages éclairent la nuit », ai-dit à mon amoureux, assis face à moi sur la terrasse. J’ai ajouté : « c’est une jolie phrase. Ou les nuages illuminent la nuit. Je ne sais pas laquelle des deux je préfère ». Il m’a répondu : « oui mais tu sais que ce n’est pas normal, ils devraient être noirs… » « Ce sont les lumières de la ville dans les nuages, c’est ça ? » Il a aquiescé. Quelques anges sont passés. « Un monde dans lequel ce sont les étoiles qui éclairent la nuit a sans doute quelque chose de plus rassurant, au moins de manière symbolique », ai-je pensé à voix haute. « On oublie vite comment c’était », a-t-il remarqué. « Pendant le week-end en Bourgogne, quand tu es allée te coucher avant la fin du jeu… Je t’ai rejointe rapidement. Mais juste avant, je suis sorti fumer une cigarette pour accompagner ma dernière bière, et il y avait plein d’étoiles dans une nuit noire… Tellement d’étoiles que je n’avais pas besoin de les chercher, tu sais. Et j’ai vu plusieurs étoiles filantes, comme ça, sans chercher à les voir. Je ne suis pas resté longtemps pourtant. Je savais que la nuit ressemblait encore à ça dans certains endroits mais j’avais oublié comment c’était, tu vois ? » « Oui, très bien ». Il est rentré finir un travail à rendre pour le lendemain matin. Je suis restée sous les nuages blancs, il ne faisait pas froid.

J’essayais de me rappeler de la dernière fois où j’avais vu le ciel depuis un endroit suffisamment éloigné des lumières de la ville, seule la campagne normande me revenait en mémoire, peut-être parce que mes parents m’apprenaient les constellations les soirs d’été, quand je pouvais me coucher tard grâce aux vacances scolaires. J’essaie d’imaginer Le Boutchou dans la campagne… Il aimerait certainement découvrir les ciels étoilés, le petrichor, les formes dans la gadoue, des animaux différents des chiens qui caguent sur les trottoirs et des pigeons affamés. Dans le même temps, un retour à la terre ne m’attire pas du tout. J’ai déjà dû prétendre que c’était à cause du manque de divertissements, j’y croyais même sans doute. Oui je verrais certainement davantage de concerts sans la présence de mon fils, pour le reste en revanche… Je ne profitais pas de tout ce que Lyon m’offrait quand j’avais tout le temps nécessaire pour le faire. Sortir de chez moi m’est toujours difficile, en partie par flemme, en partie parce que je suis souvent bien chez moi alors qu’ailleurs je ne sais pas encore si. Je vis la sortie la plus anodine comme une expédition.

Et puis surtout, les nombreuses fenêtres partiellement éclairées des immeubles, les éclats de voix des passants en retard ou des gens qui titubent sur les trottoirs, l’anonymat dans les rues, le roulements lointain des voitures, cette impression qu’à part peut-être le dimanche matin il y a toujours quelque chose d’humain qui vit à toute heure… tout me rassure. Le quasi silence animal des campagnes m’oppresse un peu, enfin je crois. Peut-être est-ce pour cela que je me plaisais tant à faire chanter les coqs au mileu de la nuit quand j’étais gamine. Enfin… Je n’ai pas oublié cette période angoissante pendant laquelle tout me paraissait irréel et faux. Plus il y avait de passants et plus je me sentais déconnectée d’eux, exilée, mais j’ai dans l’idée que ce sentiment aurait été le même n’importe où à partir du moment où je n’étais plus qu’une ombre.

De toute façon, si j’imagine mon fils heureux à la campagne, c’est sans doute aussi parce que celle-ci était un terrain de jeu sans cesse surprenant pour moi, quand j’étais enfant. Or il faut se méfier de ce genre de projection, sinon on finit facilement en vieux con qui radote en répétant : « moi quand j’avais ton âge… » Mon père utilisait souvent cette expression, elle me valorisait rarement : « moi quand j’avais ton âge je n’étais pas tout le temps dans la lune », « moi quand j’avais ton âge, je n’avais pas du fromage blanc à la place du cerveau »… Comme je n’osais pas encore répliquer, je pensais mentalement : « toi c’est toi, moi c’est moi ». Ce qui n’était ni complètement faux ni complètement vrai. Un jour, alors que j’avais un problème de maths à résoudre, il m’avait ordonné en gueulant : « va faire le tour de la maison en marchant, on ne peut pas réfléchir le cul posé sur une chaise ! » Il n’était ni le premier ni le dernier à défendre ce point de vue. Mon Nietzsche bien aimé se moquait des penseurs assis. A l’heure actuelle, mon amoureux doit déambuler pour réfléchir. La première fois, je n’ai pas compris. Je l’ai vu aller et venir avec un oeil vague, j’ai demandé : « ça va ? » « Je réfléchis » m’a-t-il lancé comme s’il chassait une mouche. Ah. J’aime marcher, oui, mais la marche me permet surtout de rêvasser, voire même de divaguer. C’est assise (et, depuis quelques années, avec une cigarette entre les doigts) que je réfléchis le mieux.

Mon père n’a jamais pris son petit fils dans ses bras. « C’est trop fragile un bébé et – me désignant – c’était pareil avec toi ». « C’est vrai », a confirmé ma mère. Je le comprends, je n’étais pas vraiment rassurée non plus la première fois qu’on m’a tendu ce truc en caoutchouc. Néanmoins, quelque part, ce comportement lui allait si particulièrement bien. Ses peurs et ses inquiétudes s’expriment toujours par de la froideur ou par de la colère. Malheureusement, c’est un raisonnement qu’aucun jeune enfant ne peut comprendre. Au cours de ces dernières années, j’ai beaucoup réfléchi à mon éducation, à ce qui me paraissait injuste comme à ce qui nourrit encore ma reconnaissance, à ce que je voulais transmettre et à ce que je craignais de reproduire inconsciemment. C’était assez clair pour moi, jusqu’à ce que je m’aperçoive des différences entre mon éducation et celle de mon amoureux. Parmi elles, certaines n’ont aucune importance puisque nous sommes du même avis malgré tout. Par exemple, outre une partie de leur culture, mes parents m’ont transmis leur curiosité intellectuelle. Quand j’ai rencontré le futur père de mon minot, je m’étonnais qu’il puisse découvrir les films que j’avais vus dix ans plus tôt, et des groupes que j’entendais avant de savoir marcher. J’étais ébahie quand il m’avait confié : “chez moi, on n’écoutait pas de musique. Et non, je n’ai jamais entendu mes parents chanter ni même fredonner”. Au lieu d’ironiser à propos de son inculture, j’aurais dû admirer ce bon goût que personne n’avait réellement cultivé chez lui… J’étais jeunette et sans doute plus snob que j’aurais accepté de l’admettre.

Et puis, il y a le reste. Il est né parmi les fourmis, et moi parmi les cigales. Chez lui, on ne jette rien, on recycle tout, on épargne au maximum, on finit son assiette, on ne s’encombre pas de jouets car le moindre objet du quotidien peut faire l’affaire. J’admire sincèrement la capacité de sa mère a inventer un bonhomme fascinant avec un bouchon en liège et quelques cure-dents. J’aimais moins le moment où elle voulait laver un bébé de six mois dans une bassine avec un savon pour adulte qui piquait les yeux… d’où une éruption cutanée et un Boutchou qui hurlait quand on voulait le baigner durant les six semaines suivantes alors qu’il adorait jouer dans son bain auparavant. Chez mes parents, le confort est maximal, ils en arrivent à acheter les mêmes éléments que chez nous pour que l’enfant ne soit pas dépaysé, et puis il y a toujours un nouveau jouet à découvrir à chacune de ses venues car « je suis sure qu’il va m’aimer au moins et puis à cet âge là ça s’ennuie vite, comme ça il pourra s’occuper tout seul ». C’est pratique. Mais l’achat du siège bébé spécial bateau pour une semaine… C’était idiot. A cause du mistral la mer était mauvaise donc nous ne l’avons pas utilisé, or la prochaine fois que nous viendrons il ne sera plus à la bonne taille. Jusqu’à quel point réussissons-nous à trouver un juste milieu entre ces extrêmes ?

Dans la petite enfance de mon amoureux, le Père Noël, la Petite Souris et les cloches de Pâques n’ont jamais existé. Il est ravi d’affirmer : « mes parents ne m’ont pas pris pour un débile en me racontant des conneries ». Ce à quoi je réponds que la célèbre déception de l’enfant qui apprend que le Père Noël n’existe pas, je ne l’ai pas vécue. Mes parents m’ont annoncé la nouvelle en m’expliquant : « tu es une grande, tu dois savoir que… » et par conséquent, j’étais plutôt fière d’être devenue grande. J’ai bien essayé deux trois arguments : non mais ce n’est qu’une manière de rendre la réalité magique, c’était chouette d’y croire, et puis dans ce cas pourquoi raconter des histoires de fées de sorcières et de lutins puisque le petit enfant est par nature crédule et que toutes ces inventions deviennent réelles pour lui. Pourtant, est-ce vrai ? Est-ce que je ne me contente pas de vouloir reproduire une tradition stupide sans intérêt ? En tout cas pour l’instant Le Boutchou est trop jeune pour être concerné, mais ensuite « tes histoires de Père Noël et de Petite souris, tu ne comptes pas sur moi pour les appuyer, si tu décides de lui faire croire à ce genre de truc ce sera sans moi ». Est-ce dommage ou non ?

Entre temps, les nuages se sont éloignés dans le ciel, il n’y a pas plus d’étoiles visibles pour autant. J’aimerais trouver un lien entre le point de départ et mes dernières pensées avant de rentrer au chaud dans mon appartement… Je n’y arrive pas. Il surgira peut-être dans mes prochains rêves. En tout cas, « les nuages éclairent la nuit » c’est une jolie phrase, ou « les nuages illuminent la nuit », je ne sais pas laquelle des deux je préfère. Tant pis pour les étoiles oubliées.

8 commentaires sur “Pendant que les nuages éclairaient la nuit…

  1. Ça m’épate, quand même, quand avec deux cultures familiales si différentes on arrive, finalement, à se trouver tant en commun (en mode émerveillée).

    Quant aux enfants, ils croient ce qu’ils ont envie de croire, quoi qu’on leur dise 🙂

  2. Quand je vois les différences entre nos familles alors que nous sommes tous deux issus de la classe moyenne (même s’il vient d’un milieu un petit peu plus populaire que moi, d’où l’importance d’économiser probablement) et de parents athées, ce sont les couples métissés et ceux qui ont des convictions religieuses différentes qui m’émerveillent…

    Oui, en même temps que j’écrivais ce paragraphe là j’avais une pensée pour ta petite tellement résolue à y croire… Mais bon entre mes parents qui lui offriront ses cadeaux de Noël un 25 décembre au pied du sapin en faisant croire au passage du Père Noël, et les siens qui les lui donneront à n’importe quelle date en exigeant un bisou de remerciement (là je décris exactement ce qu’il a vécu en décembre 2013), la situation finira par lui paraître assez étrange !

      1. Une réponse simpliste serait de dire que ça a un rapport avec garder son âme d’enfant. Garder son innocence et son insouciance. Garder sa capacité à rêver.

        C’est aussi lié à l’amour, la compassion, la joie, le bonheur. Noël c’est un état d’esprit, une relation (« donner et recevoir »), un échange d’Amour. Dans notre société dite moderne, où l’argent est roi, on cherche à remplacer cet Amour par des biens matériels (qui souvent coutent de plus en plus chers). Mais est-ce que l’argent fait le bonheur ?

        1. Merci pour ces précisions. J’avais pensé aussi à la réponse simpliste. En même temps, c’est celle de ceux qui y ont cru enfant et je suppose qu’il y a tant d’autres moyens de rêver à cet âge là mais bon…

          L' »échange d’Amour » n’est-il pas encore plus important quand le cadeau vient de ses parents plutôt que d’un gros monsieur à barbe blanche qui en distribue à tous les autres enfants…? Surtout quand les parents répètent des choses du genre : « si tu n’es pas sage, le Père Noël ne te donnera pas tes cadeaux », l’état d’esprit de Noël ne me paraît pas flagrant.

          J’ai également l’impression que c’est dommage. Cependant je trouve que mes arguments ne sont pas suffisants pour convaincre qui que ce soit, et par conséquent je finis par douter de mon opinion.

  3. Ravie de te retrouver après tant de mois ! Ton blog, tes archives ; Tout ! Et à travers, en travers tes lignes, de nouveau ressentir ces sensations et ces sentiments. Vrais, toujours. Les étoiles, les nuages, les parents, le ressenti, toujours plus ou moins en phase avec ce que je vis.
    Possible que je t’ai déjà dit ça, mais quelques fois, les années passées, n’écrivant plus pour les autres mais lisant beaucoup, je me disais que c’était presque irréel d’être autant connectée avec tes phrases, tes mots et si peu avec 99% de tous les bouquins que je peux avaler. Année après année, expérience après expérience ; malgré ces différences entre nos vécus, nos souvenirs, nos réels, aujourd’hui, de te relire je retrouve tout cela. Par contre je ne fais plus l’amalgame entre nos émotions respectives. Après tant de temps, j’ai (ENFIN ? ) trouvé ce que j’aime tant dans tes textes, et c’était simple pourtant. C’est ton Humanité et ta façon de l’exprimer ! Si juste, authentique, émouvante, et si justement imagée. J’imagine que tous peuvent s’y retrouver ; ce n’est pas possible sinon. Ou c’est peut-être une question de synchronisation des sensibilités…
    Ton boutchou a l’air adorable ! Profites en ! Beaucoup, beaucoup. Et… et ce n’est qu’un conseil, venant de moi, pas forcément avisé, mais il faut qu’il croie en ses rêves. Et encore mieux que ça, en ses espoirs ! Tant qu’on espère, et pourquoi pas lorsqu’on redoute à la fois, on ne peut qu’avoir de bonnes surprises. On rêve. On espère. On réalise. On grandit. Une étape après l’autre. Y’a pas grand chose à faire. Et pas à imaginer. Vous arriverez tous deux à équilibrer tout cela pour le rendre heureux ! Certaine ! Si… si !!!
    Au plaisir de te relire. Bientôt !

    1. J’ai mis longtemps à te répondre parce que j’étais émue en te lisant. C’est un peu fou de savoir que tu es toujours là, depuis si longtemps. Tes textes m’avaient profondément marquée, à tel point que je revois encore la bannière de ton blog et certaines de tes phrases sans même avoir besoin de fermer les yeux… depuis tout ce temps, oui. Il doit y avoir une « synchronisation des sensibilités » entre nous, je ne vois aucune autre explication.
      En tout cas, je te remercie pour ce commentaire, pourtla manière de ressentir ce que j’écris, pour tes encouragements et pour cette confiance que tu places en moi, en nous.
      A très bientôt alors !

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