J’examine les fissures en essayant de les faire se rejoindre dans un dessin ou un langage… Lorsque je joue à ce jeu, des formes inquiétantes apparaissent, des visages déformés aux dents longues par exemple. Est-ce qu’un autre regard serait capable de révéler une figure rassurante, un bon présage ? […] Je pense à la répétition des trajets quotidiens, de ceux qui m’entourent tous les jours aux mêmes heures, des repas identiques, de ma besogne, des nuages, de la musique… Et au fait que certains paysages apparaissent différemment d’un jour à l’autre, alors qu’ils n’ont objectivement pas changé. Parfois je redécouvre ce que je reconnais et c’est délicieux – et absurde – comme le refrain d’une chanson que je peux écouter en boucle, même en prévoyant les accords et les intonations vocales, jusqu’au souffle de l’artiste. […] La nuit dernière, je me réveillais et il neigeait, mais c’était dans un Londres hivernal, dans le squat précisément, à travers la vitre cassée. […] 03 : 45 selon le réveil. Je voyais l’ombre du Chat, assis derrière le rideau, face à la fenêtre. Je n’avais pas besoin de m’asseoir à ses côtés pour savoir qu’il ne se passait rien en dessous. Toutes les nuits Le Chat contemple imperturbablement une rue vide. […] Il y a quelques minutes, la pelouse était remplie de voitures. Un homme en costume marron m’a dit – sans autre forme d’introduction – “maintenant il faut voir s’il y a assez de clés”. Il a compté les véhicules avant de m’annoncer, l’air satisfait “ça fait 42″. J’ai acquiescé, j’ignorais qui il était et de quoi il me parlait. Sur le talus, au milieu de nulle part, un escabeau était posé ; je me suis dit qu’il ne suffirait pas pour atteindre la lune dissimulée sous la brume juste au-dessus. […] J’ai fait remarquer à l’Amant “les gens qui lisent mon blog me disent que je suis observatrice… C’est quand même bizarre puisque, dans la réalité, on me reproche de ne pas l’être”. Il m’a expliquée “parce que tu ne regardes pas la même chose que les autres… Par exemple, si t’étais dans un bus, tu pourrais décrire les personnes qui regardent toutes par la fenêtre, leurs expressions, leurs exclamations de surprise… Et tu ne t’apercevrais pas qu’elles observent, en fait, l’incendie qui a lieu dans la rue. Longtemps après, par hasard, quand tout le monde s’est détourné de l’événement, tu te demanderais d’où vient la fumée que tu aperçois”. […]