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I’m feeling like the ice cube in your glass melting away. I could close my eyes and go to sleep right here in the ashtray. Does anybody ever got what they want ? What do you mean when you talk about love, love…

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“Est-ce que vous savez comment aller à Y ?” Monsieur me regarde avec méfiance. “Parce qu’en fait je ne sais pas où je suis là, mais je crois que je suis tout en bas quand je dois aller tout en haut et il n’y a plus de métro, alors si vous pouviez me donner une direction à suivre…” Désignant mon amie d’un hochement de tête : “ça n’a pas l’air d’aller pour elle”. “Si ça va, elle a trop bu mais elle vit encore”. Elle pèse de tout son poids sur mon épaule et je la trouve très lourde malgré sa minceur. “Vous êtes bien tout en bas comme vous dîtes, autant prendre un taxi”. Non, je vais y arriver. Il me donne un itinéraire qui me paraît interminable, un peu comme si je lui avais demandé de m’expliquer comment aller jusqu’en Australie à pieds, ou presque. L’amie crie un retentissant “je veux boire, buvons !” qui me fait me sentir un petit peu honteuse. Enfin de toute façon, il n’y a déjà plus personne ici, juste de la pluie et du vent, même les voitures sont inexistantes. Si les conditions climatiques n’étaient pas aussi catastrophiques, je pense que je m’allongerai sur les pavés en attendant l’ouverture des métros. Je vérifie quand même l’état des dégâts : ça va ? T’as la tête qui tourne ? Sommeil ? Envie de vomir ? Tu ne vas pas me faire un coma éthylique au moins ? “Oui”, répond-elle posément, sur un ton absent. Oui à quoi ? “Euh j’ai oublié, qu’est-ce que t’as dit ?”. Je me sens exténuée. J’ai besoin de la poser, de m’assoir, et de lui piquer une cigarette, donc je me dirige difficilement vers un minuscule espace sec sous une gouttière. Machinalement je lève les yeux vers le ciel qui s’abat sur nous. Je m’exclame : t’as vu c’est joli là ! en lui montrant une longue ligne lumineuse qui transperce un nuage violet. “Hé j’ai une idée ! On va dans les nuages ?” Ils sont trop loin. “Pfff t’es pas drôle, t’as aucun sens de la répartie” articule-t-elle péniblement. Ou alors je n’ai pas assez bu. Dans quelques heures je dois partir travailler et je suis au milieu de nulle part sous la pluie avec une nana qui me propose d’aller dans les nuages. C’est aussi drôle que décourageant. “Je pourrais dormir chez toi ?” Si on arrive un jour chez moi, tu pourras. Mais s’il-te-plaît, tu ne veux pas faire l’effort de m’aider un petit peu à rentrer chez moi ? Seul le bruit des gouttes de pluie tombant de la gouttière sur mes Docs me répond. L’amie semble s’être endormie sur mes genoux. Je suis vraiment décontenancée. J’ai l’impression d’être remonté dans le temps et d’avoir changé de corps. Il y a quelques années, j’étais celle qu’on porte, celle qui comptait sur les autres, celle qui les laissait décider où aller, quoi faire et comment… J’adresse mentalement mes plus sincères excuses aux amis qui, par le passé, ont été obligés de me porter, complètement bourrée, quand j’étais perdue loin de chez moi. J’ignorais à quel point ils devaient avoir envie de se débarrasser de mon corps.
Je passe des visages connus en mémoire, dans l’espoir de repérer quelqu’un qui possède une voiture tout en étant assez intime pour accepter d’être réveillé à 3 heures du matin. Je n’en vois qu’un : l’amoureux de l’amie, sauf que si elle est dans cet état là c’est essentiellement parce qu’elle n’a plus d’amoureux. Finalement, je me résous à appeler un taxi, lequel met très longtemps à arriver. Le chauffeur, au regard goguenard, m’aide à porter l’amie dans la voiture. A travers la vitre, toute la ville défile dans ce flou lumineux propre à une ville la nuit sous la pluie, l’un des spectacles que je préfère. “Et vous êtes allé de Y à W à pieds ?” Oui. “Mais vous avez dû marcher pendant des heures !” Je ne sais plus vraiment en fait, je ne comprends pas comment cette nuit a pu passer aussi vite… L’idée de départ se résumait à “prendre juste un verre” pourtant, ensuite je me suis laissé entraîner. Si personne ne dit “je rentre”, je n’arrive jamais à prendre cette initiative toute seule, ce n’est pas nouveau… Dans la radio il y a Tom Waits, bande-son particulièrement appropriée, ça me fait du bien de l’entendre. Dans le rétroviseur, je regarde ses cheveux sombres qui retombent sur son visage fatigué, les traces noires des larmes sous ses yeux, et sa main qui tient une bouteille vide. Elle me renvoie tellement une image de mon moi passé… Ce reflet suscite chez moi un étrange mélange d’affection, de nostalgie et de tristesse. Au moment où je la pose dans le lit, elle se réveille à peine, le temps de murmurer “Tu sais que je t’aime beaucoup, je t’aime beaucoup tu le sais hein ?” Tiens, je faisais ça aussi, dans cet état là, la perte de l’inhibition ajoutée à la reconnaissance, la conscience d’avoir été pénible à supporter, un “je t’aime” qui signifie aussi “pardon” et “merci”. Oui je sais, je t’aime beaucoup aussi, dors… Je regarde le réveil : est-ce que ça vaut la peine de dormir pour deux heures ? Non. Autant occuper ces minutes à boire du café pour supporter la journée de travail qui s’annonce. J’écoute ma playlist en aléatoire au casque, ça donne des choses bizarres : Clem Snide, Radiohead, Tool, Nico, Cure, Kirlian Camera, Ladytron, Léo Ferré, Virgin Prunes, Belle & Sebastian, Antony And the Johnsons, Cocorosie, Vitalic, Cat Power, Franz Ferdinand, Mogwaï, Janis Joplin, Junip, Bearsuit… s’enchaînent dans la plus parfaite anarchie, toutes les périodes musicales de ma vie, y compris celles que j’ai tenté de renier, se confondent. Je pense au chemin parcouru, c’est un sentiment bizarre, vertigineux… En partant, je lui laisse un petit mot : je suis obligée de t’enfermer le temps d’aller travailler, tu peux utiliser l’ordi, le frigo, la télé, bref tout ce que tu veux. Je laisse la boîte de Nurofen en évidence, présageant la migraine qu’elle ne manquera pas d’avoir en se levant.
En fin d’après-midi, je la retrouve dans un état d’excitation joyeuse. Les yeux brillants, elle me raconte le coup de téléphone de son amoureux, comment ils ont décidé de se laisser une autre chance, etc. Elle semble tellement optimiste que je n’ose pas lui dire qu’il y a un moment où il faut renoncer. Cesser de gaspiller de l’énergie et de l’espoir quand les conflits se répètent à l’identique depuis plusieurs semaines. Parce que j’en ai assez de devoir la récupérer désespérée à chaque fois, puis de la voir repartir heureuse en sachant qu’elle reviendra en lambeaux. On peut recoudre tant qu’on veut, les blessures ne s’effacent pas aussi facilement. Lorsque tout sera définitivement terminé, elles se rouvriront intégralement, et ce ne sera pas joli à voir… Je me contente de lui souhaiter bonne chance car de toute façon, elle ne me croirait pas. Bises, porte claquée, frottement des chaussures dévalant l’escalier, ronronnement de l’ascenseur, ouverture-fermeture des portes, descente de la machine dans un crissement métallique. Son départ laisse un grand vide, calme et silencieux, à l’extérieur comme à l’intérieur.

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