Last Updated:

assassinat nocturne au coupe papier – brume – cynisme – livrophage – etc.

Catégories Non classé

Je regarde avec inquiétude un homme qui plie avec application le papier d’un très vieil ouvrage afin de pouvoir photocopier un paragraphe en format A3. Au début, je ne dis rien, persuadé qu’il ne va pas volontairement déchirer ce morceau d’histoire, mais en le voyant réduire une belle page manuscrite âgée de 800 ans en un amas de petits morceaux pliés en six, je finis par lui faire remarquer : “vous pourriez peut-être avoir un peu plus de respect pour ce livre, il est précieux”. Il ne répond rien, il continue à faire des pliages. En plus il est tellement concentré qu’il transpire. Des gouttes de sueur tombent sur la feuille qui se gondole. A cet instant, la rage m’envahit et je lui transperce le dos avec un coupe-papier en lui hurlant qu’il est un “livrophage de la pire espèce”. Et puis je me réveille, quelque peu perturbée et encore vaguement en colère.

Depuis quelques jours, chaque matin, l’allée qui mène à mon lieu de travail semble inachevée, brusquement interrompue par un épais nuage laiteux. Les pins et la bâtisse sont dissimulés par le brouillard. A la fin de l’automne, au début de l’hiver, en Normandie, les brumes matinales étaient épaisses et ne disparaissaient souvent qu’au cours de l’après-midi. J’aimais, à peine éveillée, m’enfuir à l’extérieur pour entrer dans la brume. De l’intérieur, je ne pouvais même plus distinguer la maison parentale, et je me racontais des histoires sur des fées cachées quelque part dans l’herbe mouillée par la rosée ou dans les branches des pommiers. Mes parents me reprochaient généralement d’être sortie en pantoufles et en pyjama, sans même les avoir prévenu… Je n’avais pas envie d’enfiler ces bottes en caoutchouc lourdes et larges dont les parois s’agglutinaient à mes pieds. J’avais aussi peur que la brume disparaisse avant d’avoir accompli mon rituel. Je rêvais de pouvoir, un jour, enfermer le brouillard dans un bocal, pour regarder l’opacité et les légères volutes de l’extérieur sans qu’elles ne puissent laisser place au soleil… A 26 ans, cette magie là s’est envolée, mais tout de même, j’aime bien ce bout d’allée où je peux disparaître de la vue de tous pendant quelques instants.

A table, après avoir fait rire tout le monde en racontant l’épisode “garcinia cola / bitta cola” à grand renfort de sketches mimant la suractivité excitée (parce qu’en ce moment je prends plaisir à sur-jouer les épisodes de ma vie), je suis prise à mon tour d’un fou-rire particulièrement néfaste pour ma bronchite. Plus j’essaie de respirer afin de pouvoir tousser correctement, plus ils me regardent avec inquiétude, et plus je ris de leur incompréhension. Heureusement, personne ne me demande ce qui me fait rire exactement. Sinon je serais obligée de répondre : “la mauvaise ambiance qui règne ici, vous tous avec vos conflits de directions, vos messes basses, votre hypocrisie”. Ces temps-ci, tout ce qui d’ordinaire m’attriste déclenche des rires, mais des vrais, de ceux qui viennent du ventre et vous font hoqueter jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. Finalement je crois que ce n’est pas de l’hystérie, c’est du cynisme. D’ailleurs, je recommande ce remède pour lutter contre la nervosité, je me sens toujours merveilleusement détendue après usage.

Comme je fais des recherches dans le cadre d’une prochaine exposition, je lis en diagonales de vieux journaux. Sur l’un deux, je vois une publicité pour du chocolat, qui affiche fièrement comme argument marketing “très calorique”, en gras et en majuscules. Les temps changent, cette pub serait un échec aujourd’hui, me dis-je. Ailleurs, je trouve un discours d’Hitler en 1936 : “je suis le représentant de la paix mondiale et de l’entente entre toutes les nations. Je ne suis pas seulement allemand, je suis européen.” Un tel mensonge politique me laisse pantoise. En fait les temps ne changent pas tant que ça, me dis-je.

Décidée à photocopier un extrait en format A3 sans tenir compte du reste de la page, je commence à plier un vieux journal soigneusement… Quand un effrayant sentiment de déjà-vu me saisit. Prise de pitié, je contemple ce papier jauni auquel je fais déjà suffisamment de mal comme ça en usant de la photocopie. Tant pis je découperais ce passage sur la photocopie, au milieu du reste. J’ai toujours eu des difficultés à me servir d’un ciseau, ça date au moins de la maternelle, systématiquement mes découpages ressemblent à des alternances de petites montagnes, sans le moindre trait droit. Aujourd’hui je constate que je n’ai faut aucun progrès, je reste nulle en travaux manuels. Mon collègue me demande pourquoi je n’ai pas “arrangé le journal de manière à avoir uniquement cet extrait” plutôt que de m’embêter. Je soupire “ce serait trop long à expliquer”. Comment vous dire, sans passer pour une folle, que je me sentais criminelle en le faisant ? Je ne peux quand même pas vous parler des “livrophages”.

[En vrac : c’est normal d’avoir envie de secouer la tête en écoutant “The truth about cats and dogs” de Pony Up! ? – Pourquoi est-ce que mon chat me réveille à 5 h 45 toutes les nuits en se faisant les griffes sur mon piano ? – La lettre écrite en violet, je suis sure qu’elle sentait la myrtille – J’ai envie d’un lait-fraise et d’entendre une histoire avant de m’endormir – J’ai osé regarder le garçon dans le bus et il m’a souri – Est-ce qu’il va me parler ? – Tous les soirs je n’ai pas envie d’aller me coucher parce que ça signifie que la journée est finie, tous les matins j’ai envie de me lever même si j’ai encore sommeil parce que la journée n’a pas encore commencé – Quand tu viendras je te confierai un secret fait pour être répété – Pourquoi est-ce que l’écriture nocturne me rend incohérente ? – Elle a murmuré “n’oublie pas de rêver” au téléphone, ça m’a fait sourire – …]

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


5 + = six