Il y a trop de couplets et de musique dans ma tête. Toutes ces voix m’empêchent de penser à quoi que ce soit. Je le fais peut-être exprès d’ailleurs. J’aimais bien cette conversation sur les hauteurs mais je crois que j’ai été trop bavarde. Je parle beaucoup en ce moment. Est-ce qu’une inconnue m’a tendu une grenouille morte alors que j’étais assise dans ma douche ? Je dois l’avoir rêvé. Mes nuits sont incongrues et peuplées de visages étrangers, entre autres. Pourquoi est-ce que ce pigeon ébouriffé s’obstine à essayer d’avaler un mégot de cigarette ? Est-il stupide, ou suicidaire, ou les deux à la fois ? Ils sont assis tous les deux sur ce banc, mâchonnant leur chewing-gum en chœur. Je me le suis déjà dit auparavant : imiter les ruminants ne donne pas l’air intelligent. Mais, je me demande pourquoi lui il rit et elle, elle pleure ? Il y a des céréales par terre depuis que le paquet s’est renversé la semaine dernière. Je le ramasserais si je n’étais pas seule ici, car en réalité, ça ne me dérange pas de devoir monter haut les genoux pour traverser la pièce ; d’avoir à escalader des CDs, des chaussures, un sac, des coussins, un téléphone, des vêtements, des céréales… Si tu entrais ici tu aurais une attaque mon cher et tendre, cette idée me plaît assez. Quand on dit aux gens “ta gueule” ils se taisent enfin, j’ai fait cette découverte extraordinaire récemment. Je ne suis plus du tout introvertie en fait, je suis même tellement extravertie que ça peut en devenir obscène. J’ai beaucoup changé ces dernières années, pourtant je me reconnais encore quand je relis le passé, surtout en ce moment. Dommage. Comment fais-tu pour sauter du toit à la cathédrale sans tomber ? J’ai posé cette question à un inconnu dans un rêve. J’ai oublié sa réponse. D’ailleurs, je crois qu’il est tombé avant d’avoir pu me confier son secret, je n’en suis plus sure. Toutes ces silhouettes impersonnelles, tous ces automates, toute cette foule grise, on s’y perd. Tu ne comprends rien à ce que j’écris ? Moi non plus. J’essaie de savoir où je veux en venir. En ce moment les mots m’obsèdent. J’écris un roman qui n’en finit pas, je poste des nouvelles avec les doigts croisés au moment de mettre l’enveloppe dans la boîte, des lettres aussi, mais en fait, ce que je veux dire ici ne s’exprime jamais. Alors je pars au hasard, sur de longs fils monochromes, et je tisse en aveugle, dans l’espoir qu’il en sortira quelque chose de construit, tôt ou tard… Pourtant j’ai une nouvelle idée par jour, elles surgissent comme les lampes qui s’allument au dessus des personnages de B.D., mais elles s’éteignent toutes très vite, parce que je n’arrive pas à me concentrer sur quoi que ce soit à part la musique. Pourquoi est-ce que la musique me touche toujours davantage quand je suis mélancolique ou un peu triste ? Quand est-ce que tu viens me voir comme tu me l’as annoncé ? Je t’avertis, ce n’est pas particulièrement joli ici en ce moment. D’habitude j’aime bien l’automne. Cette année, je la trouve terne comme mes mots, mon regard, mes cernes, les bleus sur mes jambes, la brume ce matin, la couleur de mes draps, les banalités échangées autour de ce café avec toi… etc. etc. etc.