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parce que c’est toujours quand tu dors que j’ai envie de te parler…

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J’attrape précautionneusement mon téléphone portable pour lire l’heure. Il est 3 heures du matin. Je réprime un soupir en me rallongeant. J’envie son corps détendu et sa respiration profonde, régulière. J’ai trop chaud, puis trop froid. Avec la fenêtre entrouverte le bruit des voitures me gêne, si je la ferme l’atmosphère orageuse m’oppresse. Je n’avais jamais prêté attention à la circulation auparavant, pourtant. Il règne un tel silence dans cette chambre que le moindre son extérieur semble être dans la pièce. Je décide de finalement de fermer cette fenêtre. Il marmonne quelque chose et puis se rendort instantanément. Tout est calme désormais. Je peux même distinguer le frottement de mes cheveux sur l’oreiller. Je pose un doigt au creux de mon cou, comme si mon cœur allait résonner moins fort grâce à ce geste. Le Chat se balade sur mon corps comme sur les touches d’un piano, et me montre sa satisfaction d’être caressé en enfonçant bien fort ses griffes dans ma peau.
Si j’étais seule, je choisirai un disque et j’irais fumer à ma fenêtre en contemplant la ville illuminée qui s’étend à perte de vue du haut de mes sept étages. Mais je ne veux pas le réveiller, ni lui infliger l’odeur d’une cigarette qui se consume.

Comme je ne peux ni bouger ni dormir depuis un certain temps, seules mes pensées s’agitent, et comme toujours pendant la nuit, elles ne sont pas des plus agréables. Les difficultés liés à mon travail me paraissent soudain insurmontables. Au lieu de chercher des solutions, j’envisage des fuites plus moins absurdes (et si je faisais une thèse de philo ? J’aimerais bien faire un travail de recherche, quel qu’il soit, ça me manque ; et si j’essayais un autre concours ; et si…). Je calcule la liste des choses à faire, celles qui attendent depuis des mois, et celles qui vont s’ajouter… Je me demande si je verrais tel ou tel ami dont je n’ai plus de nouvelle depuis trop longtemps… Je me vois surgir à l’improviste et frapper à sa porte, puis lui expliquer à quel point je regrette d’avoir été si peu présente l’année dernière car trop obnubilée par mon année scolaire, de ne pas avoir répondu à sa lettre, etc. Je sais que je n’oserais jamais de toute façon alors c’est nécessairement douloureux à imaginer. Je revois des disputes et je me reproche d’être incapable de devenir quelqu’un d’autre.
J’imagine un élastique entre nous, parfois la distance augmente brutalement et je le sens se tirer de plus en plus. A chaque fois, au moment où il s’apprête à se rompre, l’un se rapproche de l’autre et détend à nouveau le lien… Soulagement et espoir. Mais s’il finissait par se casser brutalement… Est-ce que je serais totalement effondrée, ou est-ce que je me sentirais beaucoup mieux ? I can’t live with ou without you. (…)
Mon coin de lit est un espace étroit et froid, peuplé d’idées parasites. Plus j’essaie de faire le vide, et plus les images s’insinuent sournoisement sous mes paupières. Certaines ricochent les unes contre les autres, en s’enchaînant dans des argumentations apocalyptiques. D’autres se contentent de titiller, picoter, là où ça blesse. Oppressée. Et puis, sans que je ne puisse la formuler clairement, il y a toujours cette vague angoisse irrationnelle de crever pendant la nuit.

Quand j’étais bébé, je pleurais toutes les nuits. Mes parents m’ont mis une veilleuse, m’ont raconté des histoires, m’ont fait des calins, m’ont mis des fessées… essayant au fil des mois toutes les techniques possibles pour me calmer. Aucune n’a fonctionné, mais à partir d’un certain âge, j’ai cessé de les appeler à l’aide et j’ai choisi de m’occuper en lisant en cachette, ou en jouant le plus silencieusement possible pendant qu’ils dormaient. De temps en temps, malgré tout il y avait des nuits comme celle-là, ou l’angoisse m’empêchait de me distraire. Ma chambre et la leur donnaient l’une sur l’autre, et la porte était toujours entrouverte. Je me levais sur la pointe des pieds et j’allais m’assoire par terre là où je pouvais les observer par la longue fente rectangulaire entre la porte et le mur, sans être vue. Je crois qu’en me rapprochant d’eux, j’essayais de me persuader qu’ils pouvaient encore me protéger malgré leur sommeil. Si soudainement quelque chose m’attaquait, ou si je me sentais mal, est-ce qu’ils s’en rendraient compte dans cette « réalité » distincte de la mienne ? Ils avaient en tout cas plus de chance de s’en apercevoir si j’étais à proximité d’eux. Mon lit était le lieu le plus dangereux de la chambre, plein de choses se cachaient dans tous les replis des draps, et si ce n’était pas dans les plis, c’était en dessous du lit. Quoi qu’ils aient pu prétendre à propos de l’absence des monstres, moi j’étais certaine de les avoir déjà aperçu, guettant le moment où je perdrais conscience de leur présence. Et puis, aussi, j’avais toujours la vague envie de les réveiller « par accident ». J’étais tentée de faire tomber quelque chose ou de créer un bruit, il ne fallait pas qu’ils m’identifient comme responsable de leur éveil, je voulais juste qu’ils reviennent à la vie… Alors peut-être, je pourrais oublier les monstres et m’endormir avant eux. Mais je n’ai jamais osé. J’ai appris très tôt qu’ils n’aiment pas être réveillés.

Même si je n’ai plus cinq ans, le fond de cette angoisse est la même. Je ne sais pas pourquoi j’ai toujours gardé ce sentiment absurde d’un sommeil entraînant la mort. J’ai beau me réveiller en vie tous les matins depuis plusieurs années, je garde cette appréhension. Vraisemblablement, tant que je suis éveillée, je ne devrais pas avoir peur. Sauf qu’il y a la même sensation d’isolement. D’être toute seule quand personne n’est conscient de ma présence. Il y a le monde des gens endormis d’un côté, et puis moi à l’écart. Donc ça paraît aussi dangereux, mis à part qu’en rêve, au moins, je n’ai plus conscience d’être en danger. Plus j’essaie de dormir, plus j’ai envie de bouger, plus le sommeil des autres est pesant…

Avec une délicatesse presque comique, je me glisse sur son épaule sans le réveiller, pour sentir au moins la chaleur de sa peau contre la mienne. A l’instant où je me blottissais contre lui, toujours endormi, il a refermé ses bras autour de moi.
J’ai rythmé ma respiration sur la sienne, j’ai fermé les yeux, et doucement, je me suis laissée saisir par la nuit.

[Anthony and the Johnsons – Fell in love with a dead boy]

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