La pluie m’éclabousse par la fenêtre entrouverte. “Alors Mercredi, tu l’as ton orage !”. [Mes collègues ont décidé de m’appeler Mercredi depuis une quinzaine de jours]. Mercredi triture la mousse de son café au lait avec un bâtonnet en plastique, en se disant qu’elle aurait dû choisir un chocolat, mais elle n’arrive jamais à déterminer si elle préfère le “chocolat lacté” ou le “chocolat corsé”, alors elle a pris un café au lait car au moins elle sait qu’elle n’aime pas le café noir. Mercredi évite de dire ce genre de chose à voix haute, elle est consciente d’être la seule à se trouver logique. Quand elle me frôle, un picotement d’électricité statique me traverse, ça me fait frissonner. J’essaie de distinguer des formes dans les traces qui s’étalent sur les vitres sales. “Pourquoi tu t’es assise là ? Tu ne serais pas mouillée par la pluie si tu t’étais assise n’importe où ailleurs…” J’avais envie que la pluie me mouille “C’est vrai, je ne sais pas, je m’assois toujours là d’habitude” parce que c’est près de la fenêtre et je peux voir le ciel, les passants 3 étages plus bas, les gens dans les immeubles d’en face… il y a toujours quelque chose en mouvement dans mon champs de vision, ici. Mais pas aujourd’hui, à part les éclairs, tout est fixe et désert. Elle observe les mouvements de mes mains, “tu as fait du piano toi.” J’acquiesce, d’un mouvement de tête, même si c’était déjà une affirmation. “tu révises un morceau ?” “Pas vraiment, je ne sais pas, je fais ça machinalement en fait” Non, il y a Cat power qui répète “baby, black black black is all you see, Don’t you want to be free ?” dans ma tête, alors je m’accompagne sur un piano imaginaire. Elle soupire. J’essaie de ne pas soupirer parce que je crois que si je le faisais, je n’aurais plus la force d’inspirer après. “Elle est pas facile la vie qu’on a, hein ma minette”. Cette fois je soupire avec elle, par sollicitude. Bruit du plastique dans mon café au lait – ça ressemble de plus en plus à de la boue ce marron sale et pâteux – gouttes d’eau contre la table en plastique – j’ai envie de les étaler avec les doigts jusqu’à ce que ça couvre tout… Je ne sais pas pourquoi je pense à Asia Argento se barbouillant de maquillage en pleurant, dans Scarlet Diva – elle souffle fort en expirant la fumée de sa cigarette en parfaite synchronisation avec ma propre expiration – les volutes s’entrecroisent. “et si celle bulle pleine de rien pouvait se crever enfin. Un ange passe” Le grondement du tonnerre nous fait toutes les deux sursauter, elle rit nerveusement. “quand c’est comme ça, ma grand-mère dit, non elle di-sait, qu’il y a un esprit dans la pièce” Je demande : “quand ça ? Quand il y a un orage ou le tonnerre ?” “Non, enfin tu sais, dans ces moments là, comme l’atmosphère qu’il y a maintenant entre nous là” re-rire nerveux “tu ne dois pas comprendre ce que je raconte”. Si, je comprends parfaitement. Je ne saurais pas l’expliquer non plus, mais je le ressens aussi, comme une présence dans l’air qui nous aspire pousse dans un néant. Elle prend un ton faussement joyeux en faisant mine de bondir de sa chaise, mais son mouvement est trop lourd et calculé : “allez Mercredi ! pour chasser l’esprit, il faut travailler !” Retourner vers l’ordinateur, rouvrir les dossiers, se concentrer, suivre un objectif clairement défini afin d’oublier ces sentiments de vide et de futilité. Dans le baladeur, en entendant Piano Magic entamer “Disaffected” [Anything can happen in life. Especially nothing, mainly nothing. Once you know that, you’re fine. Once you know that, you can retire. Set your clock by your heart. Work’s over-rated and it will kill you. Finish nothing you start. And start nothing you think you’ll continue. I’m disaffected now (…) And the rain brings me out. The rain makes me happy], Mercredi retient un sourire ironique.

scarlet diva

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