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Fallait pas l’inviter

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Quelqu’un de l’entreprise fait un pot pour fêter son départ à la retraite, à midi. J’essaie de sortir subrepticement et “où tu vas ?” Et bien euh… “Reste ! Tu fais partie de la maison !”. C’est-à-dire que… je ne l’ai jamais vu ce Monsieur, il était en congé maladie depuis mon arrivée, et d’ailleurs il y a plein de têtes que je ne connais pas, et je n’ai pas participé au cadeau, ni au buffet, ni… D’accord, c’est ma maison, c’est mon foyer, c’est ma famille, on me le répète tout le temps. Je dois rester. Je me sens extrêmement mal à l’aise sur ma chaise.

“Alors, qui est cette demoiselle ?”, tout le monde s’empresse de répondre à ma place : “c’est la petite stagiaire, elle est très gentille”, “elle parle pas beaucoup, elle est toute sage”, “elle travaille au lieu de parler, elle est sérieuse”, “qu’est-ce qu’elle fume !”

Il me demande mes études, j’explique.

15 minutes plus tard, un nouveau venu arrive. “Mademoiselle… ?” “c’est la petite stagiaire, elle est très gentille”, etc. Aux phrases de tout à l’heure, Monsieur à la Chemise bleue ajoute : “elle a fait une licence de psycho”. Euh non, une maîtrise de philo en fait et puis un master 2 pro à l’E…

Je m’accroche à ma coupe de champagne. Ils parlent de clients, de rachat, de retraiter avec d’autres sous-clients, de… Je ne comprends pas grand chose, je ne sais pas comment me comporter, alors je bois trop vite. A chaque verre fini, une main me ressert systématiquement. Le Monsieur à la chemise bleue a décidé de s’intéresser à moi, il parle, il parle, il fait trop chaud, les coupes de champagne me montent à la tête, je n’arrive pas à me concentrer. En revanche, je capte sa jambe qui s’entête à se coller contre la mienne. Je me déplace toutes les 5 minutes, sa peau moite gluante me suit systématiquement, ça m’agace. “Alors, vous qui avez fait psycho, vous êtes freudienne ou lacanienne ?”, dit-il les yeux toujours fixés sur mes jambes. J’ai fait philo, pas psycho. C’est la dixième fois que je te le répète, j’ai bien compris que mon anatomie t’intéressait davantage que mes paroles, mais quand même, fais un petit effort. “Tu prendras bien une coupe de rosé ?” C’est-à-dire que, après 6 coupes de champagne, est-ce vraiment une bonne idée ? Trop tard, je suis déjà servie. Je rêve où il vient de poser sa main sur ma jambe ? Je l’enlève fermement. “Tu prendras bien un peu de blanc ?” Bah, puisque vous me servez avant de poser la question…. Il la remet, je l’enlève plus violemment en lui jetant mon regard le plus noir. “Un peu de rouge ?” J’ai la tête qui tourne, et plus grave encore : j’ai envie de parler. Je lutte pour m’en empêcher. Si je parle dans cet état je vais forcément dire une connerie. “ENLEVE TA MAIN DE MA JAMBE GROS CONNARD !” Voilà, je l’ai dit, je l’ai même hurlé.

Silence interloqué de quelques minutes qui paraissent insoutenables, et puis vite, vite, on relance la conversation sur autre chose. Monsieur à la chemise bleue me regarde enfin dans les yeux, avec un regard exorbité et la bouche entrouverte. Je bredouille “je… je…”, mais les excuses ne veulent définitivement pas franchir mes lèvres. Je saisis mes clopes en tremblant, je fais tomber mon briquet trois fois, je trébuche deux fois, et je fuis vers l’endroit où il m’est permis de fumer.

Je tire voluptueusement sur ma roulée, après 2 heures où je crevais d’envie d’en allumer une. Une fille me rejoint et m’explique que ce n’est pas grave, parce que tout le monde déteste Monsieur Chemise Bleue. “Il n’était même pas invité, il est extérieur à la maison, alors que toi tu fais partie de la maison. Lui c’est un concurrent.”

Alors ça aurait pu être plus grave. D’ailleurs, l’après-midi, les gens en reparlent en riant beaucoup. Mais je suppose que la prochaine fois on ne me présentera plus comme “la petite toute sage qui ne parle pas”.

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