J’attends assise dans l’escalier au soleil, recroquevillée et gigotant les jambes – si j’enregistrais le bruit de mes Docs tambourinant sur ces foutues marches j’aurais un bon rythme pour une chanson punk – en enchainant les cafés-clopes. Je ne viens que pour m’entraîner, enfin même pas vraiment d’ailleurs… alors je ne devrais pas être angoissée comme ça. Mais l’ambiance est contagieuse. Je regarde les différentes réactions humaines face au stress. A ma droite, ça trépigne en hurlant son insomnie et sa peur au téléphone. Un peu plus loin, il y a celle qui marche de long en large, elle a fait ça pendant 1 h 30 deux fois dans la journée pendant deux jours. Mine de rien, elle a dû faire des kilomètres sans même s’en rendre compte. Tout ce monde lit des fiches, ou des livres intitulés “s’exercer aux concours de catégorie A et A+”.

J’essayais de me concentrer sur une chanson de Piano Magic quand la jeune fille blonde et élancée est arrivée. Elle lisait des fiches surlignées au moment où son portable a sonné. Elle a décroché avec un ton assez enjoué et puis elle a dit : “quoi ? mais… oh non !”, en se mettant à pleurer. Tout en continuant à parler, elle est repartie, je l’ai vue monter dans le métro en sens inverse. Elle n’a pas passé ce concours. Un garçon un peu plus bas a dit à sa copine : “tant mieux ! ça fait une concurrente de moins !”. J’ai eu envie de le gifler ou de le secouer d’être aussi absurdement égoïste. Non mais c’est quoi une concurrente de moins sur 4000 candidats ? ! Ma réaction est peut-être disproportionnée, toujours cette tendance à m’identifier à ceux qui se sentent mal.

Chercher mon “numéro de table”, entendre les mises en garde habituelles, silence pesant pendant la distribution des sujets… Un texte anglais de William Boyd, je regrette de ne pas me souvenir du livre lu en version française, je me souviens que je l’avais bien aimé pourtant. La note de synthèse où je dois me répéter sans arrêt “ne sors pas des texte – ne donne pas ton avis – pas d’exemple – ni originalité ni personnalité – coller à la pensée dominante”, même que c’était agaçant, parce que j’en aurais eu des choses à dire sur “la citoyenneté européenne”. Et finalement l’épreuve de culture générale, tellement redouté par tous les autres. Je l’attends toujours avec impatience. Enfin une occasion de disserter et d’écrire. Comme toujours, je reste fascinée par ce processus mystérieux : lire le sujet la première fois en pensant j’ai rien à dire c’est une catastrophe, tout doucement les pensées viennent et s’enchaînent, la problématique apparaît, le plan se crée et après c’est le vrai plaisir, s’amuser à trouver des exemples, à argumenter, à soigner le style, s’amuser tout court. Et puis c’est rassurant de se voir parler de philosophes que je n’ai plus étudié depuis 4 ou 5 ans, mettre des citations dont je ne pensais pas me souvenir, etc. Se dire que finalement tout ça n’aura pas servi à rien, mes années de philo ne m’ont pas donné qu’un vernis de culture au bout du compte. Quand le temps a effrité la surface, les
connaissances sont toujours enfouies là malgré tout.

Signer le procès verbal, quitter la salle épuisée, éblouie par la lumière, encore trop dans le sujet, comme de sortir d’une salle de cinéma en plein après-midi après avoir été complètement plongée dans le film. Je regarde avec étonnement mes 4 ampoules sur les doigts… Vive les claviers d’ordinateur. Je cherche mon briquet sans le trouver et je demande du feu à un fumeur, échanges de points de vue sur les sujets. Une fille le rejoint, et je l’interroge : “tu n’étais pas à l’oral de ce concours il y a deux ans ?” Elle répond : “si j’avais été admissible ! Mais je suis désolée je me souviens pas de toi.” Je dis :”c’est pas grave, en fait je me rappelle de toi parce que tu croisais les doigts avant de passer et j’avais trouvé ça marrant, puis tu m’avais fait un sourire quand j’étais entrée juste avant toi, tu avais un tailleur blanc et un foulard bleu”. Elle me regarde avec de grands yeux, encore une que je viens d’effrayer. C’est un phénomène qui se produit très souvent. Je me souviens toujours des détails, l’heure, le lieu, les caractéristiques physiques ou vestimentaires, etc. A chaque fois ça provoque la même réaction de surprise effarée, j’ai la mémoire des visages et des détails inutiles. Bizarrement, ça ne fonctionne qu’avec les gens, dans le sens où je ne me souviens jamais des rues que je traverse. Je peux découvrir, après être resté un an dans une ville, que je n’ai jamais vu la statue devant laquelle je passais tous les jours. Souvent je préfèrerais, pourtant. Discuter un peu avec un garçon qui possède une maîtrise d’histoire, parce qu’en apprenant que j’ai une maîtrise de philo, il dit : “bienvenue dans le club des diplômes qui débouchent sur rien”. Et puis là j’ai envie de fuir, pour ne pas réentendre les gens expliquer qu’ils ne savent pas quoi faire après et nous sommes tous surdiplômés et nous finirons tous chômeurs et… fuir.

Dévaliser la médiathèque pour ne pas dépenser en CD et en livres, regarder les vitrines sans les voir, en essayant de faire comprendre à mon organisme que c’est terminé maintenant, tu peux respirer normalement et faire circuler le sang dans mes mains glacées. Maudire ce stress incontrôlable qui fait que, même si j’étais admissible, je serais muette à l’oral comme d’habitude. J’allume la télé pour ne penser à rien. Je tombe sur une publicité où une fille au regard pailleté danse et saute légèrement dans une jupe rose pastel, avec un sourire large et “éclatant de blancheur”. Je prends conscience de mon regard vide cerné, de mon pas lourd traînant, et de mon air de sortir d’un caveau poussiéreux, avec ma clope vissées entre mes dents tâchées par la nicotine et les cafés… C’est certain, je suis une anti-pub à moi toute seule. Regardez-moi et vous saurez tout ne qu’il ne faut pas consommer. J’éteins la télé. Et puis je tourne, tourne, à la recherche de mes envies.

Ecrire des lettres, puis les jeter. Lire Anna Gavalda et m’interrompre parce que ça me rend triste aujourd’hui. S’allonger par ennui, somnoler et rêver vaguement d’une course dans un terrain vague africain, d’une amie d’enfance, et d’un moineau qui a un bec crochu comme un aigle et des pattes pleines de griffes. Quand je me suis réveillée, c’était le déluge. J’ai photographié le ciel mauve couvert d’éclairs, j’ai eu envie de conserver l’odeur de la pluie en l’enfermant dans une petite boîte ou dans une fiole. J’ai regardé l’orage jusqu’à ce qu’il se termine. Longuement. Au moins c’est terminé. Peut-être même qu’un jour, je n’aurais plus de concours à passer… as if.

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