Parce qu’il y a des jours comme ça, où l’envie de pleurer est omniprésente. Des matinées froides avec la gorge serrée, le tabac desséché, la fumée irritante et les yeux cernés. Sur la vitre du bus, les taches forment des visages, avec un seul oeil, une dent de travers, un rictus, de grandes oreilles… il y a plein de monstres tout autour de mon reflet gris. J’entends des klaxons et le chauffeur qui crie, s’énerve, insulte des automobilistes et des piétons. Autour de moi, des enfants surexcités s’agitent et parlent fort, m’assommant avec leurs cartables.
Il y a des jours où je suis une chose toute molle, de la peau flasque sans os à l’intérieur, où je ressemble à un pull sale chiffonné abandonné sur le fauteuil. Des jours où je voudrais me blottir tout au fond d’une couette avec les genoux sous le menton et de la musique fort dans les oreilles. Ne plus bouger tant que mon squelette n’aura pas redonné forme à ma carapace. J’essaie de contrôler mes pensées où de faire le vide en regardant la ville défiler, mais ça démange derrière, ça afflue à proximité des yeux. A fleur de peau et à vif. Et ces jours là, évidemment, je dois cacher tout ça, répondre à tous ces gens, car je ne peux plus dire : “je me sens malade maman, fais-moi un billet d’absence s’il te plaît”, ni sécher comme en fac ou à l’Ecole.
Mon reflet se charge d’assurer le minimum de réparties et de sourire, mais il y a déjà trop de dialogues qui se déroulent dans ma tête, je ne peux pas entendre réellement ce qu’ils disent. La loi de Murphy sévit souvent ces jours là, tout se déroule de plus en plus mal. Garder le masque et ne pas s’effondrer.
Le soir, quand j’ai dû attendre deux heures le serrurier – “ne vous inquiétez pas, on arrive rapidement, dans un délai d’une heure 30 on est chez vous” – pour ouvrir la porte de mon appartement sur laquelle les cambrioleurs s’étaient acharnés, j’expliquais la situation avec humour à mes voisins, même si j’avais envie de sangloter depuis plus de 12 heures. Monsieur Troisième Etage à Droite a dit : “vous le prenez bien, c’est très agréable, il y a des gens qui en feraient une montagne”.
Parce qu’il y a des jours où la montagne grandit, et on ne veut pas la laisser percer la surface. Plus elle augmente et plus elle est douloureuse à camoufler.
Des jours qu’ils faudrait passer sans bruit, sans agitation, sans téléphone, sans sociabilité, sans personne… Evacuer autour et dedans.
Le soir, débrancher rageusement les “moyens de communication”, laisser le flot déborder, et s’endormir artificiellement, épuisée.
Le masque trompe les autres, mais il est toujours pesant, étouffant. Même quand il est parfaitement ressemblant, je n’y crois jamais moi-même. A se demander s’il ne devient pas plus insupportable que ce qu’il doit cacher.