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Horses in the sky

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Un samedi à sangloter, les traces collantes des larmes sur les joues, les yeux douloureux, sans comprendre ce qu’il m’arrive. “Je croyais que tu serais heureuse d’avoir du temps libre, être en vacances tout ça… Pourquoi tu as pleuré ?” Moi aussi, je croyais. Mais en fait, c’est peut-être à cause tous ces mois précédents pendant lesquels j’ai tout encaissé sans broncher. Je n’avais plus pleuré depuis tellement longtemps… Enfin parfois, ça remontait mais ce n’était pas pareil, je bloquais le processus immédiatement, ça ne durait pas longtemps, et puis ce n’était pas comparable, c’était les tremblements, les battements cardiaques accélérés, l’envie de taper dans n’importe quoi pour repousser toute la tension. Alors qu’hier, c’était la fatigue et la lassitude, le corps mou et vide, l’envie de rester en position foetale toute une journée, la sensation du j’y-arriverai-jamais.

L’omniprésence parentale, les gens que j’aime et que je ne peux plus voir, les choses que je dis depuis des mois comme “la semaine prochaine je serais moins débordée et je t’écrirai”. J’ai prononcé cette phrase pour la première fois en octobre. Six mois maintenant que le cercle dans lequel j’avais autrefois mes repères s’aggrandit et se distend, me rejettant inéluctablement dans la petite cellule que je désigne sous le nom d’Ecole. Oui, c’est un peu ça, deux cercles entremêlées qui petit à petit se séparent, et je ne suis pas dans le bon. Je veux retrouver les voix de mes amis, les pubs mal éclairés, les nuits de loose totale avec Caro, les conversations intimes avec L., la tendresse en montée avec C. L. et M., et ce qui précède mais pas ce qui suit. Je suis trop raisonnable pour ne pas avoir eu envie de quitter le premier cercle, trop instable pour ne supporter que le second, trop angoissée pour conserver les deux. Fatiguée des appels téléphoniques où quand à la question “tu fais quoi ce soir ?”, si je réponds : je vois une amie, je sors, je vais au ciné ou n’importe quoi d’autre dans ce genre, j’entends mon père dire “mais tu n’as pas du travail à faire ?” Je suis déjà très douée pour me mettre la pression toute seule, est-ce vraiment la peine de me verser une bassine de culpabilité glacée sur la tête en plus ? Evidemment j’ai du travail à faire, j’ai systématiquement du travail, car dés que je vois le bout d’un projet un autre surgit de toute façon. Et cette impression qu’il est sans arrêt accroché à moi, les bras serrés autour de mes jambes et ses hurlements dans mes oreilles, pour être bien certain que je prendrais toujours la direction qu’il m’impose. Même à des kilomètres de distance je ne sais pas m’échapper. Immature, à Paris, me faisait remarquer : “c’est pour ça que tu as tout le temps peur de te perdre, tes parents passent leur temps à te répéter que tu vas forcément te perdre”. Et je m’en veux de continuer à avoir la certitude qu’ils ont raison de ne jamais m’avoir fait confiance.

Au milieu de la nuit dernière, j’ai affronté la pluie pour acheter une bouteille de vodka. L’épicier ricane en me voyant lui tendre la bouteille quelques secondes après être rentrée dans son épicerie : “eh bé la miss t’as trouvé ton bonheur !”, je me sens ridicule et je plaide un mensonge : “non mais je suis dans une soirée là et y avait plus rien à boire”, “ouais bien sûr” dit-il, avant d’ajouter “avec ça, tu vas te sentir tout de suite mieux, ça va bien te remonter ma belle”. La belle ne se sent pas très belle et plutôt pathétique en fait, mais elle choisit d’en rire. Et puis je n’étais pas vraiment seule chez moi, car le MSN Messenger Picoling c’est tout un concept. Lamentable quand même. Et puis ce matin je me suis réveillée presque bien, sans mal de tête ni fatigue post-cuite, sans cauchemar lié à l’Ecole non plus. J’ai rangé et nettoyé mon appartement avec une énergie totalement inédite. Si j’avais pu, j’aurais fait de la boxe, couru dans un stade et sauté en parachute, mais ce n’était pas possible. Alors j’ai marché longuement et vite en sentant les gouttes glisser sur ma nuque, le regard attiré par les ronds dans les flaques, les gens grisatres et le parapluie animalier d’une gamine. Une clémentique naviguait sous le trottoir. Il y avait des centaines de pétales de fleurs roses pastel sur la route, déchiquetées et tâchée de noir. C’était beau et glauque à la fois. J’avais un besoin incroyable de bouger, comme si tout s’était muée en énergie, faite d’épuisement, de frustrations, de colère… mélange qui ne devait pas être très joli à voir, et mes nerfs en gros noeuds épais impossibles à defaire. Je suis rentrée échevelé, les joues roses, les yeux brillants et la respiration coupée. Il y a encore des fragments d’hier épars, mais ça va mieux déjà. Une grosse dose de Dresden Dolls et une pincée de Decemberists devraient suffire à extirper le reste. Aujourd’hui, se détendre, se faire plaisir un peu avec un roman, de la musique, un bain moussant, du chocolat, et n’importe quelle autre envie… et puis ensuite travailler, calmement. Se résigner pour repousser le plus loin possible la prochaine implosion.

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