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Au bord des étoiles

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Ce récit a été publié sur un blog qui n’existe plus : « Shot by both sides ». Il s’agissait d’écrire un texte sur le thème des corps célestes.

LonelyNightSky

Le long du boulevard coloré par des lumières artificielles, je voudrais marcher régulièrement en suivant un rythme précis, mais la foule qui piétine devant le marché de Noël m’oblige à m’arrêter ou à zigzaguer. Les gens m’oppressent. Apparemment frigorifiés, ils sont trapus, tassés sous plusieurs épaisseurs de tissus, mais ils n’en restent pas moins immobiles sous les bourrasques, avides de se remplir la panse. Les réseaux de veines rougeâtres sur le nez dégoulinant de morve de celui-ci, la verrue hérissée de poils drus au bord de la bouche ridée de celle-là, le crachat glaireux qu’un adolescent expulse négligemment sur la chaussée, la bedaine flasque de cette femme au cheveux huileux tachetés de pellicules, l’haleine aigre du mendiant au visage boursouflé suintant de vinasse… Bruyante, lourde, malodorante, laide tout simplement, leur présence me rend nauséeuse.

Ils jettent parfois un regard appuyé sur mes jambes ou sur mes épaules, exprimant tour à tour la pitié, la frayeur ou le mépris… Mais j’en suis fière, car ainsi je sais que je ne suis pas comme eux. Je fixe mon ombre, longiligne et floue, dépourvue de courbes, si proche et pourtant lointaine, elle possède une beauté réconfortante. Les mains au fond de mes poches, je perçois les roulements de mes os, les bords pointus de mes hanches… et toujours revient cette sensation d’irréalité, de dissociation entre mes pensées et ce réceptacle, vulgaire morceau de viande. D’ailleurs, j’ai déjà été traversée par l’envie de le découper, comme on tranche les cuisses d’une volaille déplumée et rigidifiée par la mort, uniquement pour savoir si je ressentirais une quelconque douleur en les perdant, ou si je resterais la spectatrice d’un corps étranger.

Des flocons de neige déposent des taches fragiles sur le trottoir, mais je ne perçois pas leur humidité sur ma peau, je n’ai pas froid non plus. Au contraire, des vagues de chaleur s’étendent sous ma chair. Je reconnais avec joie ces bouffées brûlantes, ce vertige, la faiblesse qui rend mes muscles insensibles, cette apesanteur… Encore quelques mètres, et j’atteindrai la petite place encerclée d’impasses. Durant la journée, les mères de famille du quartier y amènent leurs enfants jouer au toboggan ou à la balançoire au soleil. J’observe souvent les gamins depuis la fenêtre de l’appartement parental… Leur apparente insouciance et leurs silhouettes légères encore androgynes me rendent probablement un petit peu jalouse. À la nuit tombée, il n’y a plus personne sur le terrain de jeu dépourvu d’éclairages.

Là, je me confonds avec mon ombre désormais invisible. Loin des lampadaires et des guirlandes de Noël du boulevard, le ciel est sublime. J’écarquille les yeux pour mieux me nourrir de son infinité et de sa lumière. Je me rappelle de ces soirées où, petite fille, je restais longtemps sur la terrasse de la maison de campagne… A l’heure où les perles de rosée se déposaient sur les pétales des fleurs, je m’allongeais sur le bois gorgé d’humidité du banc afin d’être encerclée par la voûte céleste. J’arrondissais mes mains pour enfermer les étoiles à l’intérieur de mes paumes… Elles étaient si faciles à saisir en apparence. Sans rien savoir des constellations, sans avoir de foi particulière, je sentais obscurément la perfection du ciel, celle que les croyants doivent attribuer à une création divine. Il me fascinait et m’attirait, aimant intangible, aussi mystérieux et imprévisible qu’un rêve. Je ne voyais jamais d’étoile filante alors je ne formulais pas de souhait, mais je m’imaginais néanmoins parmi les corps célestes, à l’écoute du rire du Petit Prince quelque part dans cette immensité… Soudain, en l’espace de quelques secondes, un voile recouvre les jeux d’enfants, des étoiles en forme de feu d’artifices multicolores se multiplient sous mes paupières, tandis que je perds conscience sans douleur et sans m’entendre chuter.


Color Filter – Stars above you

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